Médecine libérale : la Cour des comptes charcute à vif

29/11/2017 Par Sandy Berrebi-Bonin
Politique de santé

Les médecins le savent. A chaque rapport de la Cour des comptes, son lot de tacles. Et le dernier fait particulièrement mal. Intitulé "L'Avenir de l'Assurance maladie, assurer l'efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs" le rapport préconise pêle-mêle le conventionnement sélectif, une limitation des dépassements d'honoraire sous peine de déconventionnement, ou encore une redéfinition du système conventionnel… Comme attendu, les propositions des Sages de la rue Cambon ont hérissé les médecins qui n'ont pas tardé à s'insurger.

  Appuyer là où ça fait mal, telle est la spécialité de la Cour des comptes. Dans un pavé de 285 pages, elle égraine des propositions radicales visant à réformer l'organisation et la gestion du système de santé pour maintenir la qualité et l'égalité d'accès aux soins. Et tant pis si ça ne plait pas aux médecins. "Le rapport de la Cour des Comptes sur l’avenir de l’Assurance maladie est une bombe à fragmentation qui, si elle était utilisée, détruirait notre système de santé, sans laisser la moindre issue de secours", a jugé le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML. Morceaux choisis.   Limiter les dépassements d'honoraires Les Sages de la rue Cambon préconisent la mise en place de règles de plafonnement des dépassements d'honoraires autorisés dans le cadre des dispositifs conventionnels. Les médecins récalcitrants pourraient être déconventionnés imagine la Cour. "Il faut réguler les dépassements de manière beaucoup plus forte. Cela doit figurer dans la cadre législatif", estime Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre, chargé de l'élaboration du rapport. Selon la Cour, 45%, des spécialistes libéraux pratiquent des dépassements d'honoraires contre 30% en 1985. Le taux moyen de ces dépassements tarifaires a de surcroît fortement augmenté, du moins jusqu’en 2013, date à laquelle il atteignait 56 %, alors qu’il n’était que de 23 % en 1985. Depuis, l’inflexion est à la fois limitée et coûteuse pour l’Assurance maladie.   Conventionnement sélectif C'est un peu le marronnier de la Cour. Une fois de plus elle propose un conventionnement sélectif de tous les professionnels de santé. "Un système de conventionnement sélectif par l'Assurance maladie, applicable à tous les professionnels de santé libéraux, conditionné à la vérification qu'un besoin de santé existe bien sur le territoire d'installation prévu devrait être sérieusement envisagé", a indiqué lors de son discours Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. De telles mesures ont déjà été prises dans d’autres pays. L’Allemagne vient pour sa part de les renforcer, note le rapport. Les magistrats envisagent deux scénarios d'application de la mesure : Le premier consisterait à étendre le conventionnement sélectif à toutes les professions de santé, au premier rang desquelles les médecins, dans l’ensemble des zones les mieux dotées. Une condition supplémentaire pourrait être envisagée pour les médecins spécialistes, en n’autorisant les installations dans les zones sur-dotées que pour des médecins exerçant en secteur 1. Un second scénario reposerait sur un conventionnement individuel généralisé à l’ensemble du territoire. Il serait subordonné à la prise en compte des besoins par zone au moyen de la fixation d’un nombre cible de postes conventionnés dans chacune d’entre elles. Ce scénario pourrait dans une version minimale ne porter que sur les nouvelles installations, ce qui réduirait le rythme de rééquilibrage et présenterait de forts effets d’aubaine. La proposition a fait bondir les syndicats de médecins. "Le conventionnement sélectif reviendrait à faire renoncer les jeunes à l’installation et à favoriser l’installation de praticiens non conventionnés, ce qui, dans les deux cas pénaliserait les patients", s'est indigné le SML. "Vouloir imposer de nouvelles contraintes à l'installation des jeunes médecins alors que le taux d'installation s'effondre et que les déserts médicaux s'étendent démontrent une capacité de réflexion sclérosée", a pour sa part commenté la FMF.   Repenser le numerus clausus "Nous nous posons la question de l'efficacité du numerus clausus. Il s'agit d'un dispositif inefficace qui mérite d'être revu", a taclé Antoine Durrleman. Ce point fera l'objet d'un prochain rapport a annoncé le président de la 6ème chambre.   Réorganiser les soins en ville pour désengorger les urgences "L'insuffisante disponibilité des médecins, en particulier tôt le matin ou en soirée, la réduction des gardes et celle des déplacements à domicile expliquent en effet largement le report vers l'hôpital", a dénoncé Didier Migaud dans son discours ajoutant que "le fait que les trois quarts des passages aux urgences ne soient pas suivis d'hospitalisation est un bon indicateur de la mauvaise organisation des soins entre la ville et l'hôpital". Il préconise donc de renforcer la réponse de soins de ville en conditionnant une partie des rémunérations des médecins au développement de la permanence des soins, de l’extension des horaires d’ouverture et de la réponse de soins non programmés. Des propos qui ont ulcéré la CSMF. Il s'agit d'"une idée simpliste qui ignore totalement les modalités d’application et les problèmes tarifaires. Alors que le moindre passage aux urgences coûte dix fois plus qu’une consultation chez un médecin généraliste… Les médecins libéraux, généralistes et spécialistes, peuvent largement assumer des urgences, à condition qu’on leur en donne les moyens", a commenté le syndicat.   Revoir le mode de rémunération des établissements de santé et des libéraux Le "principe commun de tarification à l'acte ou à l'activité qui a constitué un progrès réel se révèle désormais pour partie inadapté aux enjeux d'innovation, de pertinence et de qualité des soins", estime Didier Migaud. Il préconise donc "le développement des financements au parcours ou à l'épisode de soins en dépassant le clivage entre la ville et l'hôpital, mais aussi sur une révision à intervalle régulier (…) des prix et des rémunérations des actes". La Cour souhaite également augmenter significativement la part des rémunérations forfaitaires dans la rémunération des professionnels de santé libéraux.   Mettre en place un ONDAM différencié selon les régions Les Sages de la rue Cambon regrettent que l'ONDAM s'applique de façon indifférenciée à tous, quels que soient les besoins. Ils recommandent donc de le différencier selon les régions, pesant d'avantage là où il y a excès d'offre mais pénalisant moins les zones sous dotées. "Cette différenciation implique de renforcer les pouvoirs des agences régionales de santé en matière d'organisation et de restructuration des soins. Les conventions nationales doivent en ce sens pouvoir être déclinées régionalement. Des souplesses dans la répartition des enveloppes de l'ONDAM, aujourd'hui étanches entre la ville et l'hôpital, doivent être ménagées pour accompagner les initiatives locales et le "virage ambulatoire"", a plaidé Didier Migaud.   Revoir le système de négociations conventionnelles entre l'Assurance maladie et les médecins "Alors que beaucoup d'efforts ont été consentis, que de nombreuses négociations ont été entreprises sur des sujets très divers, qu'une procédure d'arbitrage en cas de désaccord entre les parties a été instituée, les résultats sont nettement insuffisants" a taclé Didier Migaud dans son discours. "Le système conventionnel a besoin d'être redéfini dans son cadre. Il faut simplifier les relations entre l'Assurance maladie et les professionnels de santé. Mettre en place une sorte de convention cadre qui pourrait se décliner par profession. On pourrait alors faire pivoter le dispositif pour insister sur une pratique collaborative des professionnels de santé", a proposé Antoine Durrleman. Les Sages de la rue Cambon souhaitent donc une réforme "ambitieuse" du cadre législatif en s'inspirant du modèle allemand où un conventionnement sélectif est en place mais où la rémunération des professionnels de santé libéraux est plus élevée qu'en France.   Création d'une Agence nationale de santé La Cour propose la création d’une Agence nationale de santé qui serait responsable de la mise en œuvre des politiques de santé et qui regrouperait les compétences exercées d’une part par le ministère de la santé, d’autre part par l’Assurance maladie. Cette agence, qui aurait autorité sur les ARS, disposerait de l’ensemble des instruments aujourd’hui dispersés entre plusieurs institutions et organismes. Dans un cadre défini par le Parlement et l’autorité ministérielle, il appartiendrait au directeur général de cette agence de veiller à l’atteinte des objectifs de l’ONDAM, des cibles de prévention, et des indicateurs de mise en œuvre et de résultat des politiques de santé. "Vouloir encadrer plus, créer une nouvelle agence assurément dispendieuse (les agences existantes coûtent 40 milliards chaque année à la nation) est l’image même de la volonté de poursuivre et d’accélérer la même politique qui a entrainé l’apparition des déserts médicaux et la fragilisation hospitalière" a taclé le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML.

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