Pro euthanasie, anti-Ordre des médecins : retour sur le parcours fracassant du ministre de la Santé le plus éphémère de la 5e république
Alors que la valse des ministres de la Santé se poursuit, Egora revient sur l'histoire de celui qui détient encore et toujours le record de brièveté : nommé au début de l'été 1988, le Pr Léon Schwartzenberg n'a tenu que 9 jours. Ses propositions, révolutionnaires pour l'époque, avaient fait polémique.
Il lui a suffi de 9 jours pour entrer dans l'histoire. Nommé ministre délégué à la Santé le 29 juin 1988, le Pr Léon Schwartzenberg a été contraint de démissionner dès le 8 juillet. Ce médiatique hématologue et cancérologue, décédé en 2003, reste avec Thomas Thévenoud* le ministre le plus éphémère de la Cinquième république, surpassant même dans sa brièveté Brigitte Bourguignon, restée 45 jours avenue de Ségur (du 20 juin au 4 juillet 2022). Adepte du "parler vrai", Léon Schwartzenberg est l'un de ces médecins engagés dont les prises de position lui ont valu d'être aussi populaire que controversé.
Premières greffes de moelle osseuse aux côtés du Pr Georges Mathé
Né en 1923 de parents juifs d'origine roumaine, réfugié à Toulouse durant l'Occupation, le jeune Léon entame des études de médecine avant d'en être interdit par les lois raciales votées par Vichy et appliquées sagement par le nouvel Ordre des médecins. Il s'engage alors dans la résistance avec ses deux frères ; arrêtés et déportés à Mauthausen, ces derniers n'en reviendront jamais.
Après la guerre, Léon Schwartzenberg, décoré de la Croix de guerre, reprend et achève ses études de médecine. Il débute sa carrière en tant que médecin attaché au service d'hémobiologie de l'hôpital Saint-Louis, à Paris. De 1958 à 1963, aux côtés du Pr Georges Mathé, il participe aux premières greffes de moelle osseuse sur des physiciens yougoslaves accidentellement irradiés à Vinca (Serbie), puis sur des patients atteints de leucémie. Il n'hésite d'ailleurs pas à servir de donneur.
C'est à l'hôpital Paul-Brousse, de Villejuif, que Léon Schwartzenberg effectue l'essentiel de sa carrière. En 1977, il se fait connaître du grand public avec son livre Changer la mort, dans lequel il milite pour "dire la vérité aux malades" et aborde sans détour la souffrance, le cancer et la mort. Invité de Bernard Pivot dans l'émission Apostrophes, le cancérologue brise un tabou : celui de l'"euthanasie". Il s'oppose à l'acharnement thérapeutique et revendique la possibilité pour le médecin de soulager les malades, en les aidant à mourir. "C’est vrai, je suis provocateur contre ceux qui laissent de côté des malades en promenant une existence, qui demeure la leur, pendant que des malades agonisent sur leur lit d’hôpital", lance-t-il en 1978, alors qu'un premier projet de loi est discuté.
Pour avoir confessé à demi-mots avoir lui-même accéléré le trépas d'une patiente cancéreuse dans un article du Journal du dimanche, en 1987, Léon Schwartzenberg se retrouve dans le collimateur de l'Ordre des médecins : le conseil départemental de l'Essonne, auquel il n'est pourtant pas rattaché, porte plainte contre lui.
Cela n'empêche pas ce cancérologue de gauche, devenu populaire, d'intégrer le deuxième Gouvernement de Michel Rocard au début de l'été 1988. Représentant de la "société civile", il est placé sous l'autorité de Claude Evin.
Tout bascule quelques jours plus tard, le 5 juillet. Claude Evin, entouré de ses quatre ministres délégués, donne une conférence de presse. "Il me passe la parole après avoir lu un texte dactylographié de 8 à 10 pages, que vouliez-vous que je fasse? J'ai été poussé à donner les grandes orientations", relatera Léon Schwartzenberg quelques semaines plus tard dans l'émission "L'Heure de vérité".
Dépistage systématique du VIH, carnet de santé et distribution de drogue
Face à la presse, le cancérologue plaide alors pour un dépistage systématique du VIH chez les femmes enceintes et chez les patients qui vont se faire opérer afin d'éviter tout risque de contamination du personnel soignant ; dans le même temps, il prône "des peines et des sanctions" pour les entreprises qui excluraient des salariés au motif de leur séropositivité.
Se présentant comme "le ministre des droits des malades", Léon Schwartzenberg annonce son intention de mettre en place un "carnet de santé" permettant aux patients de disposer à la sortie de l'hôpital d'un résumé d'hospitalisation et du compte-rendu opératoire.
Enfin, il fait de la lutte contre la toxicomanie l'une de ses priorités. Affirmant que "les malades ne seront jamais des délinquants", le ministre souhaite s'attaquer au trafic de drogue, allant jusqu'à envisager une distribution officielle.
Des propos qui font aussitôt polémique. Le 7 juillet, le médecin est convoqué à Matignon. Lui reprochant d'avoir rompu la "cohérence de l'action et de la communication gouvernementale", Michel Rocard demande sa démission. Dans un communiqué, le Premier ministre manifeste toutefois "l'estime" qu'il continue de porter au médecin "pour son action résolue dans la lutte contre les grandes maladies et pour la générosité dont il a toujours fait preuve tant auprès des malades que dans l'illustration des causes qu'il défendait". Le chef de l'exécutif assure que "le message d'humanisation du système hospitalier et de prise en compte du droit des malades dans une politique de la santé" sera au cœur de l'action du Gouvernement dans ce domaine.
Suspendu par l'Ordre des médecins
Sur le plateau de L'Heure de vérité, le 5 septembre, Léon Schwartzenberg ne cache pas sa déception d'avoir été "limogé au bout de neuf jours". "On ne peut pas ne pas être amère et ne pas se poser la question 'qu'ai-je fait d'irréparable' pour être démissionné alors même que je n'avais pas pu mettre en route les grandes réformes que j'aurais envisagées", confesse le médecin. Il juge que ses propos ont été "déformés, détournés, truqués". "C'est ce qui l'a le plus irrité. En outre, je ne faisais que des propositions, je ne donnais que des orientations. A partir de là, on m'a vidé. Parce qu'on n'a jamais utilisé mes propos pour les discuter sur le fond."
Un an plus tard, en juillet 1990, la sanction de l'Ordre tombe : pour avoir déconsidéré la profession avec ses propos, Léon Schwartzenberg est sanctionné d'un an d'interdiction d'exercice. Le cancérologue fait immédiatement appel de cette décision, ce qui lui permet de continuer à exercer. Reprochant à l'instance d'être née "dans le déshonneur" du régime de Vichy, Léon Schwartzenberg réclame une "réforme de cet ordre qui ne peut plus fonctionner de manière aussi rétrograde, aussi archaïque, aussi désuète".
Il est soutenu par son ancien ministre de tutelle Claude Evin, qui fait lui aussi appel de cette décision. "La condamnation ne s'appuie pas du tout sur des faits avérés, mais sur des propos tenus dans un média, sur un sujet difficile, sur un sujet de société pour lequel je pense qu'il est normal, qu'il est sain que les médecins s'expriment." Le Conseil d'Etat finira par annuler la sanction en 1993.
Infatigable, Léon Schwartzenberg enchaine les combats jusqu'à sa mort, défendant les sans-papiers ou les mal-logés. Atteint d'un cancer du foie, il s'éteint le 14 octobre 2003, un an et demi après la promulgation de la loi sur les droits des malades portée par son ami Bernard Kouchner, dans son propre service de l'hôpital Paul-Brousse.
*Ancien secrétaire d'Etat du Gouvernement Valls II atteint de "phobie administrative".
Références :
Ina, L'Homme en question, "Léon Schwartzenberg à propos de l'euthanasie", 12 février 1978
Le Monde, Droits des malades, lutte contre le SIDA et toxicomanie Le professeur Schwarzenberg présente les grandes lignes de son programme, 6 juillet 1988
Ina, L'Heure de vérité, Léon Schwartzenberg revient sur sa très brève expérience de ministre délégué à la Santé, 5 septembre 1988
Ina, Soir 3, "Léon Schwartzenberg suspendu", 18 juillet 1990
Le Monde, Suspendu par les instances de l'Ile-de-France pour des déclarations datant de 1987 Le professeur Léon Schwartzenberg en appelle au Conseil national de l'ordre des médecins, 19 juillet 1990
Le Monde, Léon l'insurgé, 15 octobre 2003
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Corinne Ohayon
Non
L’ostéopathie est une pratique médicale qui permet de façon vertueuse de débloquer des patients. Je l’ai constaté à de multiples ... Lire plus