"Quelle profession accepterait de perdre 30% de sa rémunération?", la colère des médecins intérimaires

26/06/2018 Par Fanny Napolier

Les médecins intérimaires sont furieux, contre le décret qui, depuis le début de l'année, plafonne leurs rémunérations. En réponse, le syndicat des médecins remplaçants (SNMRH) invite les intérimaires à ne plus remplacer dans ces établissements. "On nous insulte, on nous nous cloue au pilori alors que nous ne sommes pas responsables de l'incurie des gouvernements", s'agace le Dr Christine Dautheribes, porte-parole du syndicat.

  Egora.fr : Vous avez appelé à durcir le boycott des établissements qui appliquent le décret plafonnant votre rémunération… Dr Christine Dautheribes : Je vous arrête tout de suite sur le mot boycott. On est tous médecins remplaçants, adultes et responsables de nos actes. Chacun a son libre arbitre. Nous indiquons les hôpitaux qui appliquent le décret et nous invitons plus fermement qu'auparavant nos confrères à ne pas remplacer dans ces hôpitaux. Après chacun fait ce qu'il veut.   Pourquoi dénoncer ce décret qui plafonne vos rémunérations ? Il ne les plafonne pas, il les baisse de 30%. Voilà. Quelle catégorie professionnelle, qualifiée, accepterait de voir sa rémunération baissée de 30% sans aucune concertation, sans discussion ni contrepartie ?   A quel niveau étaient plafonnées vos rémunérations avant le décret ? A 1 300 euros par 24 heures, soit 54 euros net de l'heure. Si vous prenez le tarif de votre électricien ou de votre carrossier, ce sera la même chose. Je ne critique pas les rémunérations de ces artisans. Mais qu'on ne critique pas notre rémunération. Nous avons 10 ans d'études, une énorme responsabilité médicale. On travaille le jour, la nuit, le dimanche, à Noël… Et s'il y a des intérimaires, c'est la conséquence de l'incurie de 30 ou 40 ans des gouvernements qui n'ont jamais pris la peine de traiter les problèmes de démographie médicale et de burn out, et de l'explosion de la demande de soins. Aujourd'hui, on veut faire de la médecine à bon marché. On brade la santé des gens. Deux décrets sont parus en début d'année autorisant des médecins formés hors Union européenne à exercer à l'hôpital. Ce qui signifie que des patients seront soignés par des médecins qui n'ont pas les qualifications de l'Union européenne. Et ces médecins seront payés à coups de lance pierres.   Vous avez le sentiment d'être mis en cause par ces nouvelles règles ? Pourquoi, sous prétexte que la santé coûte cher, nous serions stigmatisés en tant que profession intérimaire ? Pourquoi faut-il clouer des gens au piloris, les désigner comme coupable et baisser leur rémunération de 30% ? Le problème de la santé est national. Nous ne sommes pas responsables des problèmes dans la santé, du déficit médical, de l'augmentation de la demande de soins, du burn out de nos confrères dans les hôpitaux… Nous ne sommes pas responsables de l'incurie des gouvernements précédents qui n'ont pas pris le problème en compte. Quand on nous traite de mercenaires, de cancer de l'hôpital, quand on dit qu'on se vend au plus offrant… Ce sont des insultes. Nous sommes médecins, nous travaillons pour des employeurs, nous soignons des gens. Nous sommes auprès de nos patients dans le respect de la déontologie médicale et de la qualité des soins que nous leur devons. Notre action n'entache en rien notre déontologie ou notre éthique. Nous défendons nos intérêts, certes, comme n'importe qui le ferait, mais nous sommes avant tout des médecins.   Admettez-vous que dans vos rangs, certains aient des pratiques abusives ? Dans toutes les professions il y a des moutons noirs. Nous ne les approuvons absolument pas. Les rémunérations sont encadrées depuis une quinzaine d'années. Elles sont très homogènes dans tous les hôpitaux et certains abusent lorsqu'un hôpital est en détresse. C'est arrivé. Mais si cela représente 1% de la corporation, cela veut dire que les 99% autres respectent les règles et sont des gens corrects. En plus, je n'ai pas d'exemple personnel de comportement abusif autour de moi. C'est tout à fait exceptionnel, et faire une généralité à partir de certains qui peuvent avoir des comportements abusifs, c'est malhonnête.   Le problème ne serait-il pas différent si les médecins dans les hôpitaux étaient mieux rémunérés ? Oui, ce n'est pas qu'un problème de rémunération mais plus largement de conditions de travail. Pour les PU-PH, entre 35 et 39 heures il y a des RTT, et entre 39 et 48 heures il y a un grand no man's land. C'est un flou artistique. Je ne suis pas du tout certaine que les PU-PH soient payés prix où ils devraient l'être.  Les gardes sont fort mal payées. La moyenne, c'est cinq gardes par mois. Sur une carrière de 30 ans, ça fait 1 500 gardes soit quatre ans de travail. Ces quatre ans de travail ne sont pas comptabilisés ni financièrement ni en temps de travail dans les calculs de retraite. Il y a quand même un problème là, non ? Et il y a un grand nombre de burn out. Les confrères se sortent du soin parce que c'est leur bouée de sauvetage.  Le système de soins tient grâce à l'abnégation et l'altruisme des professionnels. Probablement que si les salaires des PH et leurs conditions de travail étaient revues, des intérimaires retourneraient prendre des postes. Mais pas tous. Certains ne veulent pas avoir de poste, pour des raisons de souplesse. Beaucoup d'entre nous avons eu des postes hospitaliers et on n'en pouvait plus.   C'est votre cas, personnellement ? Oui, j'ai eu des postes hospitaliers. J'ai eu des périodes d'intérim, et là ça fait trois ans que je ne fais plus que cela. J'ai eu besoin de reprendre ma liberté par rapport au poids de la hiérarchie, pour le dire poliment. La lourdeur des gardes, la lourdeur du système, c'est étouffant. Et c'est mal payé, mal reconnu. C'est une profession à stress, où les taux de suicide sont très élevés.   Peut-on dire que si le système fonctionnait correctement, on n'aurait pas besoin d'intérimaires ? Il y en aurait moins, évidemment. Mais on en aurait toujours besoin pour les périodes de pointe, pour assurer la continuité des soins.   Que demandez-vous aujourd'hui ? Déjà, on voudrait être reçus au ministère. Pour demander quelque chose, il faut un interlocuteur. Ensuite, on veut l'abrogation du décret. Nous n'avons pas initié la guerre. On ne cherche pas à déclarer la guerre à qui que ce soit, ni aux hôpitaux ni aux patients. On n'est pas des parias, on veut continuer à travailler comme on travaillait avant.

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