"On n'a pas à gratter 6000€ aux médecins qui continuent à bosser dans les déserts": le coup de gueule d'un retraité écrasé par l'ASV
"Ils vont m'envoyer un recommandé, ils vont me mettre 10% de majoration, mais je ne me laisserai pas faire !" Chirurgien orthopédiste installé en secteur 2 à Poissy, dans les Yvelines, le Dr François Prigent ne décolère pas depuis le 26 avril. Ce jour-là, il a eu la mauvaise surprise de découvrir dans sa boite aux lettres un appel à cotisations de la Carmf… dépassant les 10 000 euros pour l'année 2022, dont 6319 euros au titre des cotisations ASV*. Un montant jugé exorbitant pour ce praticien en cumul emploi-retraite, dont le BNC l'an dernier s'est élevé, d'après la Carmf, à 29 591 euros. "Je sors de chez le comptable : mon BNC déclaré final de 2022 est de 25 400 euros", corrige-t-il. Soit 39% de son revenu repris sous forme de cotisations retraite à "fonds perdus", puisqu'elles ne génèreront pas de nouveaux droits, déplore François Prigent. Pour le praticien de 65 ans, il y a de quoi "s'offusquer"…
Surtout que le médecin, qui exerce en zone-sous dense, s'attendait à bénéficier d'une exonération. Depuis le 1er janvier 2020, en effet, les médecins en cumul emploi-retraite exerçant dans les zones sous-denses ne sont pas redevables des cotisations ASV si leur revenu ne dépasse pas les 80 000 euros, un plafond relevé à plusieurs reprises pour encourager la poursuite d'activité des médecins dans les déserts médicaux. "Pour moi, les textes étaient clairs", insiste-t-il.
Mais l'an dernier, François Prigent découvre que les cotisations ASV, contrairement à celles du régime de base et à celles de la complémentaire, sont en réalité calculées sur le revenu de l'avant-dernière année (N-2). Or, en 2020, François Prigent, en fin de carrière, a beaucoup travaillé : son BNC s'est élevé à 207 000 euros. "J'avais, je pense, la plus grosse patientèle des Yvelines en prothèses ; on m'appelait l'homme du genou", relève-t-il. "Après avoir pris ma retraite, fin 2020, j'avais la volonté de continuer à exercer. J'ai payé la Carmf plein pot en 2021 - pas de problème - et en 2022, Poissy est passé en zone sous-dense, et j'ai continué à exercer uniquement en consultations pour continuer à suivre mes patients. Le revenu est forcément inférieur…" Quand il comprend ce qui l'attend en 2023, François Prigent arrête les frais au bout de 6 mois.
Aujourd'hui, il dénonce une mesure de lutte contre les déserts médicaux dévoyée et contre-productive. "Ça empêche les médecins retraités de continuer à exercer", pointe-t-il. Car le seul moyen pour eux - en particulier pour les spécialistes de secteur 2 - d'éviter de payer trop d'ASV alors que leur revenu a baissé est...
d'anticiper en diminuant leur activité deux ans avant de prendre leur retraite, souligne le chirurgien. "Je le fais pas pour moi, assure-t-il. Il faut soigner les gens. On n'a pas à gratter 6000 balles sur le dos de médecins qui sont vieux et veulent continuer à bosser dans des territoires sous-dotés." Car pour lui, ce sont les patients qui sont les "dindons de la farce".
Contactée par Egora, la Carmf confirme que si les cotisations des régimes de base et complémentaires sont calculées sur le revenu "estimé" de l'année N et peuvent être "régularisées" a posteriori, ce n'est pas le cas pour l'ASV. Et seuls les médecins en cumul dont les revenus de l'année N-2 étaient inférieurs au plafond de 80 000 euros peuvent donc bénéficier d'une exonération, "sur demande".
Une mesure "dissuasive" pour le Dr Yves Decalf, président du Syndicat national des médecins concernés par la retraite (SN-MCR). "Il faut revoir cette règle, on l'a déjà signalée à plusieurs reprises. C'est un impôt sur le cumul", lance-t-il. D'autant que les médecins en cumul doivent par ailleurs faire face à l'"impact fiscal non négligeable" de ce complément de revenus. Pour le syndicaliste, le principe même d'un plafond de revenus pour bénéficier de l'exonération n'est d'ailleurs "pas logique" si l'objectif poursuivi est bien de renforcer l'accès aux soins dans les zones sous-denses.
"La Carmf n'est pas gestionnaire du régime ASV, elle ne fait qu'appliquer les textes", rappelle pour sa part le Dr Olivier Petit, administrateur à la caisse et syndicaliste FMF. Ce sont la Cnam et les syndicats qui sont aux manettes, la Carmf ne gérant de son côté que la retraite complémentaire. Sur le fond, le généraliste estime que le cumul est "un choix", qui n'est pas sans conséquences pour les médecins, comme d'ailleurs pour l'ensemble des retraités français. L'Etat aurait toutefois pu opter pour une réduction des impôts ou des cotisations Urssaf plutôt que pour une exonération des cotisations retraite, qui pénalise la caisse et in fine, les médecins libéraux eux-mêmes.
Raison pour laquelle la Carmf ne voit pas d'un bon œil l'exonération totale, portant sur l'ensemble des cotisations vieillesses dues pour 2023 et devant bénéficier à l'ensemble des quelque 12 000 médecins libéraux cumulants (pas seulement ceux exerçant en zone sous-dense), promise par le Gouvernement au travers de la dernière loi de financement de la Sécurité sociale. "C'est une perte de recettes de l'ordre de 7 à 8% pour la Carmf, pointe Olivier Petit. L'Etat va compenser pour le régime de base, mais pas pour la complémentaire et l'ASV. Ça revient à faire payer aux médecins les cadeaux faits par l'Etat."
La promesse a toutefois convaincu François Prigent de reprendre une activité au début du mois d'avril dernier. Problème : le décret d'application, qui doit fixer le plafond de revenus, n'est pas encore paru, au grand dam des syndicats, et notamment d'Yves Decalf, qui dénonce "l'inertie" du ministère de la Santé… ainsi que de François Prigent, qui menace d'arrêter d'exercer mi-juin si le texte n'est toujours pas sorti. Un plafond de revenus de 80 000 euros est là encore évoqué, mais "rien d'officiel", précise Olivier Petit. En attendant, la caisse de retraite collecte les cotisations, "qui feront l'objet d'un remboursement dès parution du décret", informe-t-elle.
Quant à la réforme des retraites, elle prévoit d'octroyer de nouveaux droits aux médecins retraités cumulants, mais toujours dans la limite d'un certain plafond. "Ce sera encore une usine à gaz", prévient d'emblée Olivier Petit.
*En secteur 1, les cotisations ASV sont prises en charge aux deux tiers par l'Assurance maladie ; en secteur 2, elles sont complètement à la charge du praticien.
En visite dans une maison de santé à Vendôme (Indre-et-Loire) le 26 avril dernier, le Président de la République a échangé un long moment avec des soignants, qu'Egora a suivi en direct sur BFMTV. A l'évocation des difficultés engendrées par le départ en retraite de nombreux médecins sur le territoire, Emmanuel Macron rappelle que des mesures ont été récemment prises pour favoriser le cumul emploi-retraite. Et le chef de l'Etat, croyant visiblement que l'exonération annoncée est belle et bien entrée en vigueur, de se retourner vers ses conseillers : "D'ailleurs, ça marche, on a un bilan?" Silence dans la salle...
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