Ordonnance numérique

Désormais obligatoire, l'ordonnance numérique divise médecins et pharmaciens : "Nous n'avons pas la formation, le temps ou l'envie"

Déployée depuis 2022, l’obligation de prescrire par voie électronique est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. "Un tiers voire un quart" des pharmaciens ne "peuvent pas honorer la e-prescription" faute de logiciel adapté. Quant aux médecins, certains se disent prêts à désactiver l’option pour ne pas l’utiliser.

02/01/2025 Par Mathilde Gendron
Ordonnance numérique

Prévue par la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019, l’ordonnance numérique vise à sécuriser la délivrance des produits de santé. Elle doit aussi permettre aux professionnels et aux patients de "retrouver leurs ordonnances au format numérique dans Mon espace santé (MES), grâce à l’alimentation automatique du DMP", rappelle l’Assurance maladie sur son site. Lors de la consultation, le médecin imprime une ordonnance comportant un QR code*. Il est ensuite scanné par le pharmacien, pour délivrer les produits au patient.

Le dispositif a été déployé en novembre 2022, en vue d'une généralisation à l'ensemble des professionnels de ville au 31 décembre 2024. L'obligation de prescrire électroniquement est donc officiellement entrée en vigueur ce mercredi 1er janvier 2025. "La dématérialisation des ordonnances est en principe une fonctionnalité obligatoirement intégrée aux logiciels médicaux puisque cela fait partie de leurs cahiers des charges 'Ségur'", indique le Dr Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste et secrétaire général adjoint du syndicat MG France. Pour lui, la facilité d’utilisation dépendra justement des logiciels, entre ceux "qui l’intègrent 'bien' en rendant son usage facile et ceux qui sont moins 'réussis', qui obligent à multiplier les clics".

Si au sein de son syndicat la mesure n’était "ni attendue ni crainte", le médecin soulève un point négatif. Il lui arrive, dans sa pratique, d’être confronté à des "patients, qui une fois la consultation finie [lui] disent : 'Au fait Docteur, j’ai oublié de vous montrer ça'". Mais une fois la e-prescription terminée, elle n’est plus modifiable. "On sera obligé d’en faire une autre, puisque la précédente sera déjà [envoyée au serveur], ça fera des clics supplémentaires", pointe-t-il.

Le Syndicat de la médecine générale (SMG) a quant à lui un avis bien plus tranché sur la question. "Dans le cadre de ma pratique, je ne vois pas l’intérêt de la e-prescription", déclare Marion**, généraliste installée depuis deux ans dans l’Aveyron et membre du syndicat. "On connaît mal le fonctionnement d’un logiciel de e-prescription, rajoute Ariane**, généraliste installée depuis un an dans le sud-ouest et également membre du SMG. Il faut rajouter du temps dans la consultation si on veut donner une information appropriée pour que les patients puissent avoir un consentement libre et éclairé."

 

Quid des données ?

Les deux praticiennes regrettent cette nouvelle obligation, décidée sans avoir consulté les médecins. "Tout ça arrive et s’impose aux professionnels sans que nous ayons forcément la formation ni le temps et l’envie de faire ça. Il n’y a pas vraiment de pertinence sur les soins, donc ça pose vraiment des questions, sachant qu'il y a des risques pour le secret médical, pour le contrôle des actions…", poursuit Ariane. Car si la e-prescription doit permettre de centraliser les informations des patients, les deux médecins craignent des problèmes au niveau de leurs données. "Elles sont collectées, mais pour en faire quoi ?", se demande Ariane.

De son côté, Sébastien Lagoutte, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) de Saône-et-Loire, est beaucoup plus confiant. "Les questions de sécurité entourant la e-prescription sont assez draconiennes", explique-t-il. "Lorsque les données sont déposées sur les serveurs par les médecins, elles sont anonymisées. Tant que la e-prescription n’est pas délivrée, il y a une ordonnance sur un serveur mais on ne sait pas pour qui elle est."

Un quart voire un tiers des pharmaciens ne peuvent pas aujourd’hui honorer la e-prescription

Le pharmacien utilise déjà la e-prescription depuis "18 mois" au sein de son officine. Il confie cependant qu’il a fallu attendre plusieurs "évolutions" des logiciels. Car au début, ses confrères qui expérimentaient l’outil "s’arrachaient les cheveux", se souvient-il. "Le système était beaucoup trop complexe et chronophage pour les pharmaciens. On nous demandait de justifier tous les changements, c’est-à-dire que si on mettait de l’amoxicilline Biogaran au lieu de l’amoxicilline Viatris, il fallait le justifier. [Depuis], il y a beaucoup de motifs qui ont été automatiquement supprimés. Par exemple, si je donne du Doliprane en gélules au lieu du Doliprane en comprimés, normalement le logiciel doit être capable de le gérer."

Si le pharmacien semble aujourd’hui plus convaincu par l’ordonnance numérique, il regrette cependant que les officines ne l’utilisent pas plus. "Un quart voire un tiers des pharmaciens ne peuvent pas aujourd’hui honorer la e-prescription. C’est énorme ! Il y a toute une frange de pharmaciens qui ne savent pas que leur logiciel est compatible donc les paramètres ne sont pas activés, d’autres [n’ont pas les] logiciels compatibles, mais ça va arriver", confie-t-il, optimiste.

 

Pas d'obligation pour les hôpitaux

S’il ne voit pas de gain de temps particulier en scannant une ordonnance numérique, il voit en revanche un autre avantage. "Je n’ai pas besoin de faire toute la partie authentification puisque s’il y a un QR code, que ma e-prescription sort sur mon ordinateur et qu’elle est conforme au papier que j’ai à côté, c’est que ce n’est pas possible qu’elle soit falsifiée", indique-t-il. En revanche, il a une étape supplémentaire qui survient "1 fois sur 100" lorsqu’il dispense un médicament différent de celui indiqué sur la e-prescription. "Il me suffit de le rapprocher du médicament qui a été prescrit et de le modifier en mettant un motif derrière", poursuit le pharmacien.

Il déplore cependant que les ordonnances "établies et exécutées au sein des établissements de santé" ne soient pas incluses dans cette obligation de e-prescription. "Le problème c’est qu’aujourd’hui les ordonnances falsifiées viendraient à 99% des hôpitaux, [...] pour des produits chers. Donc, c’est là où l’intérêt de la e-prescription est immense."

Pour les deux membres du SMG, l’argument de la sécurisation de prescription grâce à l’ordonnance numérique n’a pas de poids. "Est-ce que la fraude des ordonnances est un problème majeur en France ? Moi, je n’en ai pas l’impression dans ma pratique", s’interroge Marion. "Les pharmaciens ont une tâche très importante de contrôle de l’ordonnance, et j’espère que l’ordonnance numérique ne va pas leur enlever cette tâche", renchérit Ariane.

Elles voient davantage l’ordonnance numérique comme une "énième responsabilité" qui se rajoute à leur activité. Ainsi, dès qu’elle a vu l’option "ordonnance numérique" arriver sur son logiciel, Marion l’a tout de suite désactivée, se souvient-elle. Ariane aussi travaille avec cette option désactivée. À chaque consultation, elles impriment des prescriptions sans QR code. Et elles ne comptent pas changer de fonctionnement. "Je vais essayer de continuer comme je fais actuellement, tant que la balance bénéfices-risques ne sera pas évaluée", assure Ariane.

 

Aucune sanction pour son non-usage

Aucune sanction n’a pour l’heure été prévue pour les professionnels de santé qui ne se soumettent pas à l’obligation de e-prescription. "A priori, il y a une exception d’utilisation pour les cas où la transmission informatique n’est pas possible", précise le Dr Nogrette. C’est par exemple le cas dans les zones où la connexion est trop faible ou pour les visites à domicile.

Les deux membres du SMG craignent cependant un monde où les ordonnances ne seraient plus imprimées. "À terme ce qui est prévu, c’est que la e-prescription soit envoyée directement sur MES et à la pharmacie destinataire", alerte Marion. Mais pour Ariane, cet objectif est peu envisageable. "Je pense que c’est une illusion de croire que le zéro papier et le tout numérique va arriver."

Sur ce point, les professionnels interrogés partagent tous le même avis. "Il est hors de question de supprimer le papier", avertit Stéphane Lagoutte : "Il nous permet d’avoir un lien entre le médecin, le pharmacien et le patient. Si on le perd, on perd la sécurité du traitement." Pour les médecins, c’est aussi un rituel important de fin de consultation. "Il y a plein de stratégies de sécurité qui se font à ce moment-là, parce qu’on n’est pas égaux sur la compréhension des informations de santé", ajoute Ariane. Pour l’heure, aucun texte n’a évoqué une date concernant la fin des ordonnances papier.


*Le patient peut s’opposer à ce dispositif et demander à recevoir uniquement une ordonnance électronique, sans format papier.
**Les deux généralistes ont choisi de dévoiler uniquement leur prénom.

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Michel Rivoal

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6 débatteurs en ligne6 en ligne
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5,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 20 heures
J'ai débuté en libéral en juillet 1985 : à cette époque, il n'y avait que des dossier papiers. L'informatisation est arrivée à partir de la fin des années 80 puis sont apparus des logiciels médicaux.
Photo de profil de Herve Renet
97 points
Médecins (CNOM)
il y a 1 jour
Comme toujours nos politiques sont à côté de la plaque...Je ne regrette pas d'avoir arrêté l'exercice libéral. Je pensais faire 2 à 3 ans de plus, mais ce type de décision va faire partir en retrait
Photo de profil de Corinne Dematons
50 points
Anesthésie-réanimation
il y a 1 jour
Effectivement ,quid des médecins retraités qui pour beaucoup assurent des renouvellements de prescriptions pour pathologies chroniques et peuvent diminuer la charge de travail des "actifs". Sans logi
 
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