Pilule sans ordonnance : un pharmacien et une généraliste s'affrontent

22/04/2017 Par Sandy Berrebi-Bonin & Fanny Napolier
Santé publique

Vendre la pilule sans ordonnance en pharmacie. C’est l’idée d’un collectif de pharmaciens qui a lancé une pétition et le #LiberezMaPilule, cette semaine. L’idée est de faciliter l’accès des patientes à la contraception, en bénéficiant des conseils d’un professionnel de santé. "Attention, danger !", répondent certains généralistes, qui mettent en garde contre cette "fausse bonne idée".

   

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"Il faut dédiaboliser la pilule"

Hygie Superbowl est l'un des pharmaciens à l'origine de la pétition pour que la pilule soit disponible en officine sans ordonnance. Il nous explique pourquoi.

  Egora : Qui a lancé cette pétition ? C'est le collectif de pharmaciens qui a lancé cette pétition. Après le combat contre la clause de conscience des pharmaciens, nous nous sommes tous réunis pour faire 10 propositions concrètes destinées à faire évoluer la pharmacie. Nous sommes nombreux à avoir été sensibilisés par les demandes et le travail du Planning familial, dont l'une des requêtes régulières était d'avoir une pilule sans ordonnance, accessible au public. Nous avons rencontré le Planning en début d'année pour voir comment on pouvait mener une action ensemble et arriver à avoir cette pilule sans ordonnance sur le marché. Nous avons estimé que le moyen le plus rapide était de demander un engagement public des laboratoires pour faire un changement administratif et passer de la prescription médicale obligatoire à une prescription médicale facultative. Tout cela sur une pilule dont la prise de risque est très bien identifiée, qui est la pilule progestative uniquement.    L'utilisation de la pilule progestative pose problème à un certain nombre de médecins, qui admettent qu'il y a moins d'effets secondaires mais surtout qu'elle est moins efficace… La pilule progestative fait partie des méthodes dites "hautement efficaces". Son taux d'échec est inférieur à 2%. Ses effets indésirables peuvent être pénibles, mais ne sont pas classés comme des effets indésirables graves. En termes de contre-indications, elle en a très peu. De mémoire, elle n'en a que 5 ou 6, qui sont toutes identifiables par un questionnement de la patiente. Mais effectivement, elle est moins efficace qu'un DIU et peut-être moins efficace que d'autres pilules, qui sont plus difficiles à manier en termes de profil de risque. Le profil de risque de la pilule progestative est aujourd'hui suffisamment maîtrisé pour permettre de l'avoir sans ordonnance. D'autant qu'elle est prescrite aujourd'hui, notamment pour des patientes qui ne prennent pas de pilule oestro-progestative. Elle peut être donnée à des fumeuses ou à des femmes qui ont de l'hypertension. Il nous a donc paru logique de jouer la carte de la sécurité avec la pilule progestative. C'était la plus évidente.   Pour les jeunes filles qui prendraient la pilule pour la première fois, n'est-il pas plus souhaitable de rencontrer un médecin pour choisir son mode de contraception ? Poseriez-vous cette question à un garçon qui achèterait un préservatif pour la première fois ?   Les garçons ont moins de choix de modes de contraception… Est-ce qu'on dit à un garçon quand il va acheter un préservatif qu'il devrait d'abord aller voir un médecin pour discuter des moyens de contraception? On peut aussi discuter avec lui des autres moyens de contraception qui sont la vasectomie, par exemple. Après 18 ans, c'est possible.   On ne peut pas comparer la vasectomie à une pilule… On ne peut pas comparer, mais on pourrait aussi discuter avec lui des IST. On pourrait discuter de la santé sexuelle…   Le préservatif, à la différence de la pilule, est un mode de contraception externe. C'est très difficilement comparable… Fait-on toutes ces demandes pour l'ibuprofène, ou pour le paracétamol ? Aujourd'hui, le paracétamol est la première cause d'intoxication médicamenteuse. Demande-t-on autant de contrôle lorsqu'un jeune vient acheter du paracétamol. On ne demande pas de consultation particulière. L'idée n'est pas de dire qu'il faut remplacer les consultations par la pilule sans ordonnance. Nous disons juste que ça ne justifie pas d'empêcher d'avoir accès à une contraception. L'important, c'est que la personne qui a besoin d'un contraceptif puisse l'avoir. Il ne faut pas mettre de barrières. Je ne remets pas en cause l'importance de la consultation. Elle est d'ailleurs importante pour les filles comme pour les garçons. La pilule sans ordonnance est le filet de sécurité pour les personnes qui n'iraient pas chez le médecin. Bien sûr qu'il est préférable d'aller voir un professionnel de santé pour que la santé sexuelle soit discutée, mais ça ne doit pas être un obstacle.   Le pharmacien aurait un rôle clé dans la délivrance de la pilule sans ordonnance ? Le pharmacien a déjà un rôle clé. Il faut dédiaboliser la pilule. C'est un médicament comme un autre, avec des bénéfices et avec des risques. Aujourd'hui, les pharmaciens font ça tous les jours pour tous les médicaments. Ils parlent des bénéfices et des risques. Ils le font aussi pour la contraception d'urgence. Ils font des entretiens, rappellent les bonnes pratiques et n'hésitent pas à aiguiller vers des professionnels. Je ne comprends pas pourquoi, tout d'un coup, sur la pilule qui est un médicament comme un autre, il y a un tel blocage moral.    Ça n'est pas forcément moral. Certains médecins ont signé la pétition sans voir qu'il s'agissait uniquement de la pilule progestative, et émettent des réserves sur ce type de pilule… Ils ont une réserve quant à l'efficacité. On peut toujours en discuter. La pilule progestative est plus efficace qu'un préservatif. C'est toujours plus efficace que de ne pas avoir de méthode contraceptive du tout. C'est aussi aux femmes de faire leur choix. La meilleure contraception est celle qu'elles auront choisie. Pas celle qu'on veut leur imposer. Je ne dis pas du tout que la pilule progestative est la panacée et qu'elle va remplacer toutes les pilules. C'est simplement un choix supplémentaire. C'est un point de contact en plus pour permettre un accès large à la contraception, de manière simple et sécurisée. J'entends la réserve sur l'efficacité mais il y a aussi d'autres médecins qui disent que le profil de risque des pilules oestro-progestatives est plus compliqué. En termes de balance bénéfices risques, la pilule progestative nous semble être la plus adaptée pour être la première pilule sans ordonnance. Mais il y a un vrai débat sur ce sujet. Nous ne sommes pas contre l'idée d'inclure d'autres pilules dans ce processus. Je crains que si nous avions inclut la pilule oestro-progestative, la polémique aurait été encore plus forte. Nous avançons pas à pas.  

*****  

"Ce n'est pas du féminisme, c'est du foutage de gueule"

 

Délivrer une pilule progestative sans ordonnance en pharmacie ? Une fausse bonne idée, estime Doc Arnica. La généraliste souligne qu'il n'y a pas de problèmes d'accès à la contraception en France, qu'il faut laisser les femmes choisir leur contraception et rappelle que la pilule progestative est la moins efficace de toutes…

  Egora.fr : Que pensez-vous de l'idée d'une pilule accessible sans ordonnance ? Doc Arnica : Honnêtement, je ne comprends pas l'intérêt. Je fais beaucoup de gynéco. Je fais à peu près tout ce qu'il y a à faire en gynéco, à part la chirurgie. De la contraception, des frottis, de la surveillance de grossesse, je fais une formation pour faire les IVG au cabinet… Dans un premier temps, je trouvais que ce n'était pas une mauvaise idée. Après j'ai réfléchi. Et non. Je trouve en fait que c'est une fausse bonne idée. Déjà, l'origine de cette pétition n'est pas vraiment louable, et des gens engagés l'ont signée de manière un peu naïve. Il y a un lobby pharmaceutique derrière. Cette pilule est vendue par les pharmaciens, donc il y a de l'argent à se faire. Ce qui me dérange c'est qu'il y a un transfert de compétences, alors qu'il n'y a pas de difficultés réelles à avoir la pilule en France. Je regrette, mais les pharmaciens ne sont pas formés à la consultation de contraception. Bien sûr, on peut discuter pour mettre la pilule en vente chez Leclerc, mais ça va poser un certain nombre de problèmes.   Concrètement, qu'est-ce qui vous dérange ? La pilule progestative est la seule qui va être proposée par les pharmaciens. Ils ne s'attaquent pas à l'oestro-progestative parce qu'ils ont la trouille des effets secondaires. C'est vrai que, pour cette pilule, les contre-indications sont faibles, même s'il y en a. Mais c'est la moins efficace des contraceptions qui existent en France ! Quand on prescrit ce type de pilule, c'est qu'on ne peut pas prescrire les autres. C'est celle où il y a le plus de grossesses en la prenant correctement, et il n'y a que trois heures de battement quand on l'a oubliée. C'est carrément du délire pour des filles qui ont déjà des problèmes pour aller chez un toubib. L'autre problème de cette pilule, c'est qu'on n'a pas de règles. Donc la nénette ne va pas savoir qu'elle est enceinte avant un moment, puisqu'elle n'a pas ses règles. Et quand ces nénettes vont se retrouver enceintes, elles ne vont pas aller chez le pharmacien. Elles vont venir chez nous. Cette pilule, je la prescris un minimum. Et, en général, je passe directement à l'étape suivante, c'est-à-dire soit je propose un stérilet, soit un implant. Finalement, ces femmes vont aller chez le pharmacien et n'auront pas le choix. Elles auront cette pilule ou rien, alors qu'elles pourraient prendre une autre contraception, puisque le pharmacien ne peut pas leur proposer autre chose.   Proposer la pilule en pharmacie, n'est-ce pas multiplier les accès à la contraception à l'heure des déserts médicaux ? On dit que les gynécos sont difficiles d'accès. C'est vrai, je suis d'accord. Et d'ailleurs, ils prescrivent parfois la pilule pour six ou trois mois, ce qui est un scandale. Mais les généralistes, les sages-femmes ? L'argument des déserts médicaux ? Faut pas exagérer. On a une pilule une fois tous les douze mois. On peut y arriver. Je trouve que cette proposition est un piège. Ce n'est pas du féminisme, c'est du foutage de gueule. On prend la femme pour une idiote. De A à Z. Il n'y a pas de problème d'accès à la contraception en France. Oui, il y a des gens qui sont hors circuit, mais ils sont aussi hors circuit des pharmacies. Là, c'est une autre situation. Il faut aussi arrêter avec ce discours qui dit "il faut améliorer l'accès à la contraception en France parce que le nombre d'IVG est un scandale." L'IVG n'est pas du tout un scandale en France. Le nombre d'IVG est tout à fait normal, très stable. Et l'IVG n'est pas un échec de contraception, ça en fait partie. Une femme, dans sa vie, prend 10 000 fois sa pilule. Et pour la prendre 10 000 fois sans se tromper, il faut être une sainte, une maniaque ou une obsessionnelle. Ça n'existe pas dans la vraie vie de ne pas oublier. L'IVG fait partie des recours possible. L'échec ce n'est pas l'IVG, c'est la grossesse non désirée. Il faut arrêter de culpabiliser les femmes.

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