Certificats de virginité : "Punir les médecins ne résoudra pas le problème du séparatisme"

27/10/2020 Par Louise Claereboudt
Dans le cadre du projet de loi contre les séparatismes, le Gouvernement a fait savoir qu’il comptait mettre fin à la pratique controversée des certificats de virginité, qui constitue pour l’exécutif "une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme contrainte par son entourage de s’y soumettre". Il envisage ainsi de sanctionner les médecins qui délivrent ces certificats. Ces derniers encoureront une amende de 15.000 euros et une peine d’un an d’emprisonnement. “Une mesure qui n’aura aucun impact”, juge de son côté le Dr Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue et fondatrice de la maison des femmes de Saint-Denis. Pour Egora.fr, la praticienne explique en quoi cette interdiction serait davantage “une perte de chance” pour ses patientes et pour quelles raisons elle continuera de leur en délivrer.

  Egora.fr : Punir les médecins permettrait il véritablement de changer les choses ? Dr Ghada Hatem-Gantzer : La réponse est évidemment non. Cela ne va en aucun cas changer quelque chose dans la société. Ça ne va pas faire en sorte que les parents qui sont dans ces exigences-là deviennent modernes et ouverts d’esprit. Par contre, cela va supprimer à ces jeunes filles, des possibilités d’aller discuter avec des professionnels qui peuvent leur apporter des réponses, les aider à réfléchir, à décider de certaines choses pour elles-mêmes. C’est à mon sens plutôt une perte de chance pour ces femmes qu'un grand geste pour la laïcité, l'intégration et la lutte contre le séparatisme. Je pense que ces consultations sont aussi de la prévention, quoi qu’on en dise. Or on ne peut pas faire de prévention si on ne peut pas discuter. Il faut avoir ces jeunes filles devant soi, pouvoir leur parler en toute franchise, et leur expliquer pourquoi on pense, par exemple, qu’il est dommage d’épouser un garçon qui exige que vous soyez vierge; parce qu’en général, il va exiger plein d’autres choses, mais il ne vous le dit pas tout de suite.   Vous considérez par ailleurs que ces examens ne prouvent pas la virginité d’une femme… Déjà ça ne veut rien dire être vierge. Bien sûr, examiner une femme ne permet pas du tout de prouver sa virginité. Il y a des tas de choses qui font que votre hymen peut être un peu plus élastique, un peu moins tendu que celui de votre voisine. Vous pouvez tout à fait ne pas saigner pendant votre premier rapport. C’est le cas une fois sur deux. Donc attendre de cela des réponses est complètement débile.

L’hymen est un fantasme. La virginité, c’est pareil, chacun y met ce qu’il veut : est-ce qu’une jeune fille qui a déjà des rapports anaux est vierge ? Je ne crois pas. Mais beaucoup de femmes s’obligent à avoir une sexualité anale pour conserver leur hymen. Dans le Maghreb, les filles ont l’impression, complètement illusoire, que si elles ont une sexualité uniquement anale, elles sont vierges. Alors oui la première personne à entrer dans leur vagin sera bien la première personne à entrer dans leur vagin. Mais sont-elles vierges pour autant ?   Qui sont ces jeunes femmes qui viennent vous voir pour demander des certificat? Les filles qui viennent sont dans des situations familiales complexes, et donc elles ont juste besoin d’une espèce d’autorisation à épouser l’homme que leur famille a choisi pour elles. Cette autorisation, c’est d’être vierge, sinon les mecs ne vont pas les épouser. Elles, tout ce qui peut les aider à tricher et à convaincre leur futur époux, cela leur convient. Elles ne sont pas là pour repenser leur sexualité ou quoi que ce soit. Mais de temps en temps, lorsqu’elles se marient vraiment malgré elles, cela peut arriver qu’en pointant les contradictions, cela les aide à réfléchir, à se dire “Mon dire, peut-être que je fais la connerie de ma vie”. C’est donc d’autant plus important de continuer à leur parler. Le motif de la demande est toujours religieux. Il y a beaucoup de choses autour de la pureté, parce qu’on a laissé croire à ces filles que la pureté était le plus important et allait avec la virginité. Je reçois beaucoup de jeunes femmes majeures qui pensent qu’elles sont coincées, parce que dans leur famille, personne ne peut entendre qu’elles ont déjà eu une vie sexuelle, donc elles sont obligées de faire semblant. En fin de compte, elles me demandent rarement de faire des certificats, mais bien plus souvent une intervention, une reconstruction de l’hymen. C’est ça la réalité du terrain.  Pour les reconstructions d’hymen, cela m’arrive à peu près une fois par mois. Après je suis très claire. J’ai toujours dit à ces jeunes femmes que ce n’était pas pris en charge par la Sécu, que c’était leur choix, que ce n’était pas lié à leur santé, mais comme un choix de chirurgie esthétique et que si elles avaient envie de dépenser 850 euros pour cela, c’était leur problème. Je suis donc d’accord avec le collège national des gynécologues-obstétriciens pour dire que la solidarité nationale n’a pas à s’occuper de ces actes. Après quand il s’agissait d’une femme qui avait été violée et pour laquelle il s’agissait d’une thérapie du viol, pourquoi pas. Là on répare quelque chose, on soigne, donc c’est normal que la Sécu paie.

  Combien de demandes de certificats de virginité recevez-vous chaque année ? Des demandes de certificats, j’en ai maximum deux par an. Mais il y a un mois, au plus fort de la polémique, j’en ai quatre d’un coup en quinze jours de temps. Je ne sais pas si les jeunes femmes se sont dit : “Il faut que je me dépêche avant que ce ne soit plus possible”. Hier soir, j’ai encore reçu un mail d’une jeune femme me demandant si j’en faisais encore. Ça m’a paru bizarre.   Craignez-vous des dérives qui découleraient de cette interdiction ? A partir du moment où c’est interdit, vous risquez d’avoir des gynécos qui vont vous faire ce certificat en disant : “C’est interdit, je prends des risques, donc tu vas me filer 3.000 euros sous la table”. Je n’exclus pas ce risque. C’est comme l’IVG, quand c’était interdit, certains professionnels le faisaient quand même, mais je pense qu’ils se faisaient payer.   Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’accepter ces demandes contribue à faire le jeu des oppresseurs ? C’est tellement plus facile de dire ça que de dire qu’on va s’attaquer au vrai problème. En quoi accompagner les femmes favorise les oppresseurs ? Ce n’est pas parce que j’aide une femme à tricher que je suis en train de lui dire qu’elle a raison. Il faut être raisonnable. On est en train de tourner la réalité, de la tordre, pour aller dans le sens du Gouvernement, mais non. Au contraire.   Vos confrères et consoeurs sont-ils contre une pénalisation ? Il n’y a globalement que le collège national des gynécologues-obstétriciens qui est pour, et principalement le Pr Nisand, qui est encore président du collège et s’exprime au nom des gynécos sans leur demander leur avis d’ailleurs. C’est une façon de voir la démocratie qui n’est pas la mienne. Nous sommes nombreux à ne pas être d’accord avec la position du collège.  

  Envisagez-vous de continuer à réaliser ces documents malgré les risques encourus ? Oui. Je pense que quand la situation me semblera nécessiter un tel certificat, je le ferai. Après je ne désespère pas que le Gouvernement fasse preuve d’un peu de bon sens. J'espère que ce qu’il s’est passé vendredi va donner à réfléchir (la décapitation d’un professeur d’histoire ayant montré des caricatures de Mahomet à ses élèves, ndlr). Ce n’est pas en punissant des médecins sur les certificats de virginité deux fois par an qu’on va lutter contre le séparatisme religieux, que le problème se situe bien en amont. Ce sont les parents qui sont à l’origine de toutes ces demandes et que ce sont peut-être de ce côté-là qu’il faut s’attaquer. Là j’ai vraiment l’impression qu’on donne un hochet pour que les gens pensent que l’on fait quelque chose, alors que c’est une mesure qui, à mon avis, n’aura zéro impact. Je ne sais même pas comment on va pouvoir “fliquer” les médecins qui font des certificats de virginité, quand on sait qu’il n’est utilisé que dans la sphère privée, entre les familles. Ou alors il faudrait fouiller les patientes qui sortent des cabinets… Pour moi, ça relève quasiment de la farce. Molière aurait pu faire une très jolie pièce là-dessus : le Médecin puni malgré lui.

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