Agnès Buzyn a annoncé lundi le deuxième volet de mesures destinées aux urgences. Service d’accès aux soins pour tous les Français, guerre à l’intérim, accès direct aux services pour les personnes âgées, fin du paiement à l'activité : se dessine une refonte assez profonde du système des urgences, que l’avenue Duquesne évalue à 750 millions d’euros d'ici 2022. Tour d'horizon. "L’heure n’est plus aux constats mais aux solutions." Le ton est donné d’entrée de jeu par Agnès Buzyn, à l’heure d’annoncer le deuxième volet de mesures destinées aux urgences. Le plan concocté par la mission Carli-Mesnier, qui doit refonder des urgences au bord de l’asphyxie, est désormais doté d’un budget : 750 millions d’euros sont mis sur la table d’ici la fin du quinquennat. Ce "pacte de refondation" contient 12 nouvelles mesures, audacieuses pour certaines, encore très schématiques pour beaucoup. Il faut dire la ministre de la Santé ne pouvait pas se payer le luxe de temporiser alors qu’une moitié environ des services d’urgences se déclare toujours en grève. Une plateforme unique de santé à 340 millions d’euros Au rayon des grandes nouveautés figure sans conteste le service d’accès aux soins (SAS, prononcer "sas") : une plateforme destinée à répondre 24/24h, par téléphone ou via internet, à toutes les demandes de soins de la population. En fonction des besoins identifiés, il permettra au patient d’avoir accès à un conseil médical et paramédical, prendre rendez-vous chez un généraliste dans les 24 heures, procéder à une téléconsultation ou être orienté vers les urgences. Il aura aussi pour vocation de renseigner sur l’ensemble des structures de soins existantes sur un territoire donné. Ce service devrait associer médecine de ville et hospitalière mais sa gouvernance et ses contours demeurent pour l’instant extrêmement vagues. "Je pense qu’il existe un continuum, qui va du conseil médical et demande d’orientation à la vraie urgence vitale, et nous devons répondre à ces besoins qui sont intimement liés", a indiqué Agnès Buzyn, qui appelle à cesser la "guerre de tranchée" entre les médecins libéraux, les hospitaliers et les secours d’urgence. Reste de nombreuses questions : quel numéro d’appel ? qui aura la main ? qu’adviendra-t-il du numéro pompiers ? et du 116 117 ?... Seule certitude : un modèle doit être proposé dans les deux mois, sous l’égide de la mission Carli-Mesnier qui reprendra les travaux d’une "mission interministérielle de modernisation des appels d'urgence" lancée en juillet et pilotée par un général des pompiers et un médecin urgentiste. Le temps presse, car le SAS aura vocation à être opérationnel dès l’été prochain. D’un point de vue budgétaire (340 millions d’euros) comme organisationnel, cette mesure est de loin la plus ambitieuse du plan de refondation des urgences. Du côté de la médecine de ville Après les pharmaciens (grippe, TROD, délivrance de médicaments sous ordonnance) et les infirmiers de pratique avancée, c’est au tour des masseurs-kinésithérapeutes de s’affranchir partiellement de la tutelle médicale, dans le cadres de protocoles de coopération validés par la HAS. D’ici la fin 2019, ces derniers pourront prendre en charge des cas de traumatologie bénigne (lombalgie aigüe et entorse de cheville) en accès direct, sans que le patient n’ait à passer par un médecin au préalable. Au rayon des nouveautés figure aussi la création de 50 maisons médicales de garde (MMG) à proximité des services d’urgences les plus saturés (plus de 50 000 visites par an).
C’est tout pour les nouveautés concernant la médecine de ville, où les CPTS auront logiquement pour tâche de servir d’interface vis-à-vis des urgences. À noter, l’instauration du tiers-payant pour les gardes libérales sur la partie assurance maladie obligatoire, annoncée lundi dernier. (La ministre garde espoir de trouver un accord avec les médecins libéraux pour étendre le tiers-payant à la part complémentaire.) Autres annonces en date de la semaine dernière : les urgences seront désormais en mesure d’avoir recours au transport sanitaire vers les structures de ville, et la biologie délocalisée fera son apparition dans les cabinets et les maisons de santé.
"Zéro passage" aux urgences pour les personnes âgées En matière d’organisation des urgences, un des points les plus ambitieux consiste à organiser une admission directe des personnes âgées dans les services, depuis leur domicile ou les Ehpad. D’ici cinq ans, l’objectif est qu’aucune personne âgée de plus de 75 ans ne passe par les urgences, où elles sont bien plus à risque d’événement indésirable. C’est la seconde mesure la plus coûteuse du lot : 175 millions d’euros sont prévus pour aider les hôpitaux à organiser cette filière, qui sera confiée à la charge d’une équipe hospitalière. Des équipes mobiles de gériatrie seront également mises en place pour appuyer les Ehpad et les professionnels libéraux. Du pré-hospitalier paramédical C’est une des mesures destinées à gagner du temps médical d’urgentiste : aux côté des Smur médicalisés sera créée une "offre de transport paramédicalisée". Rien d’autre n’a filtré sur cette petite révolution au sein des transports d’urgence. Des nouveaux métiers au cœur des urgences Des protocoles de coopération seront mis en œuvre afin d’autoriser les infirmiers des urgences à pratiquer des actes techniques : suture de plaies, demande de radiologie anticipée, et techniques d’immobilisation (gypsothérapie). Plusieurs autres protocoles sont prévus d’ici 2019, pour permettre l’orientation des patients vers la ville ou la demande de biologie anticipée. La participation à un protocole donnera lieu au versement d’une prime de 80 euros net par mois. L’annonce avait déjà été faite à Poitiers : l’avenue Duquesne entend par ailleurs créer une filière d’IPA "urgences", afin de faire gagner du temps médical aux urgences. Les missions et compétences de ces nouvelles IPA recoupent les protocoles de coopération susmentionnés, mais celles-ci devraient aussi être en mesure de poser des diagnostics infirmiers sur la base d’arbres de décision définis au préalable avec l’équipe médicale.
En début de chaîne, les nouveaux assistants de régulation médicale ont aussi vu leurs compétences renforcées. Contrairement aux IPA, pour qui les négociations sont en cours, leurs rémunérations sont connues : de 1800 euros brut mensuels en début de carrière à 3200 euros au dernier échelon.
De l’intérim public pour concurrencer l’intérim privé Haro sur le mercenariat : l’avenue Duquesne entend hausser le ton pour couper court aux dérives de l’intérim aux urgences. "Le décret [qui limite la rémunération de la grande garde à 1287 euros en 2019 et 1070 euros brut d’ici 2020] est visiblement contourné", constate Agnès Buzyn. Les médecins intérimaires seront désormais obligés de fournir à leur employeur intérimaire une attestation sur l’honneur qu’ils ne pratiquent pas de cumul d’activité avec un poste de PH. Mais surtout, l’État entend organiser une mutualisation inter-hospitalière de l’intérim d’urgences, à l’échelle des territoires. Ce système public sera conçu pour être compétitif par rapport à l’intérim privé : une garde de 24 heures devrait être rémunérée de l’ordre de 1270 euros brut. En parallèle, les urgentistes continuant à avoir recours à l’intérim privé devront désormais souscrire leur propre assurance de responsabilité civile professionnelle, qui ne sera plus prise en charge par les hôpitaux. Adieu le paiement à l’activité Le mode actuel de financement des urgences combine un forfait patient (accueil et traitement des urgences : 25,32 euros par patient) et une dotation annuelle partiellement indexée sur l'activité (forfait annuel urgences). Ce système sera remplacé par une dotation populationnelle de financement qui ne dépendra pas de l’activité mais des caractéristiques socio-économiques de la population prise en charge et la densité en structures de ville. Une part de financement continuera à dépendre de l’activité, mais elle demeurera très minoritaire et tiendra compte de la lourdeur de la prise en charge Une meilleure gestion de l’aval… mais pas de création de lits La question des lits d’aval a depuis longtemps été identifiée comme un problème récurrent des services d’urgence. Pour y remédier, le gouvernement propose de mettre en place une cellule de gestion interne des lits dans tous les GHT dès 2020. La mesure, budgétée à 105 millions d’euros, devrait être couplée à la mise en place d’un indicateur sur les besoins en lit de façon à anticiper la demande. "Il n’y a rien de plus prédictible que les besoins en lits non programmés", estime la ministre. Il sera également demandé aux hôpitaux de se doter de faire la transparence sur l’ensemble des lits disponibles, afin de pallier le manque de solidarité parfois criant entre "les étages" et les urgences. Ceux qui attendaient une inflexion profonde sur le cap budgétaire en seront cependant pour leurs frais : contrairement à ce qui avait filtré avant les annonces, rien n’est prévu pour enrayer les fermetures de lits. "La fermeture de lits n’est pas une conséquence du budget, c’est un mouvement international lié à la diminution des durées moyennes de séjour dans les hôpitaux" et au tournant ambulatoire, s’est défendue Agnès Buzyn. La ministre laisse la porte ouverte à la création de lits en post-urgences (médecine ou gériatrie polyvalente), mais seulement après avoir tout mis en œuvre pour optimiser la gestion des lits d’aval.
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