Le caïd est entré dans la salle d'attente en criant qu'il avait déjà cogné le médecin précédent et qu'il fallait examiner sa fille sur le champ. Face aux insultes, à la rage, et surtout pour protéger l'externe présent avec lui, le Dr Thomas Cartier a accepté un rendez-vous. En huit ans d'installation en banlieue parisienne, ce généraliste n'avait encore jamais reçu de menaces de mort.
"Mon expérience de 8 ans de #médecindebanlieue n'aurait pas été parfaite sans des menaces de coups et de mort à mon cabinet. C'est chose faite aujourd'hui, par un caïd de la cité, qui a interrompu le fil de mes consultations pour m'ordonner de voir sa fille d'une dizaine de mois qui avait vomi toute la nuit et qui l'avait empêché de dormir. Il criait dans la salle d'attente avoir déjà cassé la gueule, quelques minutes avant, d'un autre collègue libéral et qu'il n'hésiterait pas à le faire à tout médecin qui refuserait sa fille. J'ai essayé de le raisonner, de trouver un entre-deux en lui proposant un rdv surnuméraire en début d'après-midi, non il voulait que ce soit maintenant.
Ça a fini, avec ses insultes, sa rage et surtout son poing tendu, prêt à frapper à quelques centimètres de mon visage... mais aussi de celui de mon externe. Parce que j'ai voulu, elle, la protéger, j'ai accepté de le voir en fin de matinée. "Ce fou avait raison" J'ai essayé de continuer la consultation avec les patients avec qui j'avais commencé. Ce fut très difficile. J'ai appelé la police pendant que je l'entendais maugréer dans la salle d'attente, en attendant son tour. 20 minutes après devant l'absence d'arrivée de la police, je leur ai demandé d'annuler. Ce fou avait raison. Il m'avait menacé que si j'appelais la police, il me retrouverait dans la cité et me pèterait la gueule et plus encore... La police serait arrivée, au pire l'aurait embarqué au poste, et ensuite ? Il aurait été libre de revenir au cabinet à tout moment ou me croiser dans la cité pendant une visite à domicile et effectivement me refaire le portrait ou pire. "Il m'a sorti un gros billet" Je me suis senti terriblement seul. Sans issue ou échappatoire à sa violence si jamais je ne me pliais pas à sa volonté. Je me suis donc plié à sa volonté. Et il a voulu ajouter une couche d'humiliation supplémentaire quand, au moment de payer, il m'a sorti un gros billet issu dont on ne sait quel trafic, en me disant : "prenez-vous 20 € là-dessus, pour le désagrément".
J'ai marmonné un truc du genre "ce n'est pas une question d'argent, mais une question de comportement" et il s'est barré. Sa fille allait bien. Elle jouait même dans la salle d'attente. J'ai appelé mon confrère, en fait, il ne lui avait pas cassé la figure du tout, il était arrivé moins énervé que chez moi (mais tout de même pas mal) et mon confrère l'avait refusé car il était en train de s'occuper d'une petite qui faisait des convulsions hyperthermiques. La consultation terminée, j'ai eu les larmes aux yeux J'ai tout fait pour protéger mon externe, qui, en plus, se trouvait physiquement entre moi et lui au moment où il avait failli me frapper et ça c'est le seul point positif que j'en retiens. Mais quelle image va-t-elle avoir de la médecine générale après cela ? Je débrieferai à distance avec elle, car je crois qu'elle a été tout aussi choquée que moi, mais ne l'a pas montré. Moi, j'avais les larmes aux yeux. Mon collègue kiné, qui bossait dans une pièce à côté, est venu me réconforter, heureusement. Depuis 6 semaines, j'ai donc enchaîné vol de mon portable dans un car-jacking, dégradations de mon cabinet, dégât des eaux chez moi (qui va repousser mon départ en NZ selon toute vraisemblance) et maintenant ça. Des patients insistants, véhéments, menaçants, j'en ai déjà eu à gérer. Mais des menaces de mort, une violence à deux doigts d'exploser, le tout devant mon externe, mes patients, sans aucune échappatoire que d'accepter l'humiliation histoire que tout rentre dans le calme, ça jamais. Il me reste 4 putains de semaines à tenir. 4 PUTAINS DE SEMAINES. "Le pire dans tout ça? La façon dont il a déshabillé son enfant" J'irai porter plainte ensuite, quand je sais que je ne remettrai plus les pieds dans ce quartier. Il y a au moins 5 témoins pour approuver mes dires. Mais bon, comme d'habitude à Bobigny, dans cette zone de non-droit, je suis à peu près certain que, malgré ma plainte, elle passera entre les mailles du filet judiciaire troué jusqu'à la lie. Et le pire dans tout ça, peut-être ? La façon dont il a déshabillé son enfant pour que je l'examine. Avec une brutalité que j'ai rarement vue. Le gamin s'en est mis à pleurer toutes les larmes de son corps. J'avais mal pour elle, d'être née et élevée dans une famille aussi conne, avec un père aussi violent. A vrai dire, je me rends compte que je ne sais même plus si c'était un garçon ou une fille que j'ai examiné(e), en faisant ce récit. Le choc, probablement. Demain on y retourne. Ou pas... Je témoigne pour éviter que d'autres refassent la même erreur que moi. Pour que les jeunes médecins qui voudraient potentiellement s'installer en ZUP ne le fassent pas. Je ne vois pas pourquoi, sans aucune aide ou protection face à la violence qui gangrène ces quartiers, les professionnels de santé libéraux devraient continuer à y aller. Quand je me suis installé, l'esprit de dévouement, je l'avais chevillé au corps. Maintenant que j'ai vu à quel point personne n'en a rien à foutre des efforts qu'on fait, que ce soit les politiques locaux, la Sécu, les tutelles ou même une sacrée belle frange de patients, franchement ça ne vaut pas le coup. Que du désincitatif..."
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