Diabète, prescriptions, abus… Le plan de l'Assurance maladie pour faire 1,2 milliard d'euros d'économies

08/07/2022 Par Louise Claereboudt
Assurance maladie / Mutuelles

Dans un contexte de tensions sur le système de santé et de résurgence de l’épidémie de Covid, l’Assurance maladie compte poursuivre sa politique de maîtrise des dépenses, d’autant que son déficit a atteint un niveau historique (26 milliards d’euros en 2021). Dans son traditionnel rapport annuel "Charges et produits", elle projette de réaliser 1.2 milliard d’euros d’économies en 2023, soit un peu plus qu’en 2022 et 2021. Une grande partie de ces économies souhaitées devrait concerner la pertinence des soins et la lutte contre la fraude et les abus. Ce rapport a été remis au Gouvernement en vue du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui aura lieu à l’automne.   C’est dans un contexte encore particulier que l’Assurance a remis au Gouvernement son traditionnel rapport annuel "Charges et produits". Alors que la 7e vague de Covid-19 est en train de déferler – avec plus de 200.000 cas enregistrés quotidiennement, les tensions sur le système de santé n’ont jamais été aussi fortes : crise des urgences, manque cruel de médecins dans les territoires, crise des vocations… Ainsi, les économies prévues pour 2023 - 1.2 milliard d’euros - sont moindres qu’avant l’épidémie, mais le plan n’en est pas moins ambitieux. Pour rappel, un plan d’économies à hauteur de 1,015 milliard d’euros avait été présenté l’an dernier pour l’année 2022. Estimant que la période nécessite "de profondes évolutions pour faire face aux urgences de très court terme et mieux répondre aux besoins de santé de la population", l’Assurance maladie propose pour 2023 une toute nouvelle approche, déjà amorcée il y a deux semaines avec le lancement de sa plateforme "Data pathologies", qui met à disposition de tous une cartographie médicalisée des dépenses. Elle met désormais encore plus l’accent sur la prévention, l’approche pathologie et l’approche dite populationnelle, avec un focus pour l’année 2023 sur l’enfance et la maternité.

Par ailleurs, l’Assurance maladie inscrit ce rapport dans un cadre pluriannuel, prenant acte de "la nécessité d’inscrire les constats et actions de gestion du risque dans une temporalité qui ne peut être réduite à une succession de réflexions et d’actions annuelles, indépendantes les unes des autres". A plus long terme, 300 millions d’euros d’économies – dont 270 millions d’ici les cinq ans à venir – sont ainsi estimées pour certaines actions, notamment de prévention.   

  Impacts sur 2023
Approche pathologies 136
Maladies cardiovasculaires 36
Diabète 36
Santé mentale 45
Autres pathologies  18
Approche populationnelle 25
Enfance-jeunes 15
Maternité 10
Efficience-pertinence 754
Actes 112
Médicaments 149
Dispositifs médicaux 146
Biologie 180
Transports 94
Indemnités journalières 74
Contrôles et LCF 299
Actes 51
Médicaments 23
Dispositifs médicaux  15
Indemnités journalières 5
Lutte contre la fraude et les abus 206
Total général 1 213

Source : Caisse nationale de l'Assurance maladie   Une meilleure prise en charge du diabète Premier des fils rouges que déroule l’Assurance maladie dans son rapport : l’approche pathologie, pour laquelle 136 millions d’euros d’économies sont attendues. Elle porte, pour 2023, sur l’insuffisance cardiaque, la santé mentale, et le diabète, une nouveauté qu’elle a souhaité introduire cette année. L’Assurance maladie a en effet mis en exergue plusieurs signaux d’alerte concernant cette pathologie. D’abord, elle observe une concentration des dépenses sur patients les plus graves (niveau 4). Elles sont estimées à 60.000 euros par patient par an, contre 3.800 euros pour un patient sans complication (niveau 1). Elle note par ailleurs que 20% des nouveaux patients en 2019 entraient directement au niveau 3, c’est-à-dire au stade des complications pouvant entraîne une hospitalisation (rénales, rétinopathie…). Entre 2018 et 2019, 10% des patients des niveaux 1 (pas de complication) et 2 (traitements injectables) sont passés à un niveau de complexité plus élevé. Afin d’éviter ces passages à des niveaux supérieurs, la Cnam veut permettre aux patients diabétiques d’être "pleinement acteurs de leur santé" et cela, grâce aux innovations numériques. Elle propose ainsi de déployer les innovations connectées (suivi de la glycémie, administration automatique d’insuline) et la télésurveillance. Mais aussi ouvrir le service Sophia en ligne et le rendre accessible à tout patient diabétique. Autre proposition :  personnaliser Mon Espace Santé pour les diabétiques. Concernant l’insuffisance cardiaque, qui faisait déjà partie du précédent rapport "Charges et produits" de la Cnam, un renforcement du parcours de soins est proposé. Celui-ci passe par une importante campagne de communication sur les 4 signes d’alerte, à destination du grand public, prévue pour la fin du mois de septembre. L’Assurance maladie entend également amplifier le déploiement du service de retour à domicile Prado, et créer des équipes de soins spécialisées...

de cardiologie couvrant l’ensemble du territoire (avec des infirmières aux missions élargies en plus des cardiologues). Enfin, elle suggère de proposer une télésurveillance à l’ensemble des patients présentant une insuffisance cardiaque sévère.   Un nouvel entretien post natal 25 millions d’euros d’économies sont attendues en 2023 dans le champ de la maternité et de la petite enfance (approche populationnelle), où des inégalités sociales et géographiques importantes sont observées. L’objectif est d’améliorer l’accompagnement des femmes durant la grossesse et après l’accouchement avec un accent mis sur le repérage et la prévention de la dépression post-partum, alors que le suicide constitue la première cause de mortalité maternelle dans l’année qui suit l’accouchement. Pour cela, la Cnam déploie plusieurs recommandations : un nouvel entretien post-natal, l’ouverture de MonPsy aux sages-femmes, la promotion de la vaccination chez les femmes enceintes, et le recours aux sages-femmes référentes. La Cnam liste plusieurs constats inquiétants sur le suivi des enfants de 0 à 6 ans. D’abord, une consommation médicamenteuse des enfants nettement supérieure aux pays comparables (deux fois plus qu’en Suède). Elle rapporte également que 25% des enfants ont eu moins de 8 consultations avec un généraliste ou un pédiatre au cours de leur première année de vie alors que 11 examens sont recommandés et pris en charge. L’Assurance maladie recommande ainsi un repérage systématique des troubles visuels et du langage à l’école pour tous les enfants de 3 ans. Elle ambitionne par ailleurs de faire de Mon Espace Santé, le carnet de santé numérique de l’enfant.

  Régulation tarifaire pour les biologistes Les actions d’amélioration de l’efficience et de la pertinence des soins constituent le principal poste d’économies souhaitées par la Cnam. Cette dernière chiffre à 754 millions d’euros les économies qui pourraient être réalisées en 2023, dont 180 millions exclusivement pour le secteur de la biologie médicale, qui a atteint de très haut niveau de rentabilité depuis une dizaine d’années et en particulier depuis l’épidémie de Covid-19 (+ 23% de rentabilité en 2020). La Cnam indique une croissance "exponentielle" du chiffre d’affaires des labos, qui est passé de 5.1 milliards d’euros en 2019 à 9.4 milliards en 2021. Ainsi, alors doivent s’ouvrir à la rentrée des négociations conventionnelles avec les professionnels, l’Assurance maladie recommande de définir une nouvelle stratégie pour le secteur, avec entre autres de nouvelles missions pour les biologistes mais aussi une amélioration de la pertinence des examens de biologie. Surtout, elle compte mettre en œuvre une régulation tarifaire pluriannuelle pour contre balancer la très forte croissance de la rentabilité du secteur. Autre champ d’actions en lien avec l’efficience et la pertinence : les médicaments. La Cnam veut réaliser 149 millions d’euros d’économies en 2023. En premier lieu, elle compte poursuivre le développement et la pénétration des médicaments biosimilaires, ceux-ci étant "générateurs d’économies importantes" avec "des prix inférieurs de 15 à 30% en moyenne, à qualité, sécurité et efficacité équivalentes", estime l’Assurance maladie. Le deuxième enjeu est de renforcer le bon usage de l’antibiothérapie. Elle rapporte "plus de deux fois trop d’antibiotiques prescrits inutilement dans le cadre de l’angine, alors que les tests d’orientation diagnostic rapides (TROD) sont un levier puissant pour diminuer la prescription". L’Assurance maladie souhaite aussi promouvoir la dispensation adaptée (pansements, compléments nutritionnels oraux) et vérifier l’authenticité des ordonnances...

de médicaments onéreux. Si elle évalue à 146 millions d’euros les économies qui pourraient être réalisées sur les dispositifs médicaux, les actes, eux, pourraient générer 112 millions d’euros d’économies. Dans son viseur : les actes d’imagerie médicale. En 2021, ils représentaient une dépense de 4.8 milliards d’euros. L’Assurance maladie suggère donc de relancer les travaux de pertinence en matière d’imagerie médicale en lien avec les représentants des radiologues. Objectif : limiter les examens inutiles.  Elle veut aussi travailler sur le mésusage des produits de contraste.     Identifier les anomalies de facturation Alors que les dépenses d’indemnités journalistes (IJ) apparaissent comme toujours "dynamiques" (13.8 milliards en 2021), la Cnam propose un nouveau plan d’action sur la pertinence des arrêts de travail, avec de la formation pour les professionnels (MMOC). Objectif : 74 millions d’euros d’économies. Elle inscrit dans son rapport le renforcement des contrôles des "prescripteurs atypiques". Les transports devraient quant à eux permettre d’économiser 94 millions d’euros.

La lutte contre la fraude et les abus devrait quant à elle permettre d’économiser 300 millions d’euros (soit 25% des économies totales souhaitées). C’est donc deux fois plus d’économies qu’en 2022 que l’Assurance maladie entend réaliser sur ce champ en 2023. La Cnam souhaite sécuriser la facturation des soignants libéraux à l’Assurance maladie, en accompagnement notamment de nouveaux professionnels installés via des contrôles pédagogiques. Un dispositif qu’elle avait déjà mis en place pour les infirmières libérales, et qu’elle veut étendre aux masseurs-kinésithérapeutes. Le rapport "Charges et produits" intègre également la volonté de déployer un nouvel outil d’identification automatique des anomalies de facturation, qui doit permettre de "construire un plan d’accompagnement personnalisé par professionnel de santé". La lutte contre la fraude et les abus devrait également passer par le blocage a priori d’associations d’actes incompatibles, c’est-à-dire des cotations incompatibles dans la nomenclature.   Une ébauche de la future convention ? L’Assurance maladie suggère par ailleurs dans son rapport d’autres propositions, qui pourraient prendre place lors des négociations pour la future convention médicale, en septembre. Notant que 11% des Français n’avaient pas de médecin traitant en 2021, elle veut déployer une "boîte à outils" pour améliorer l’accès. Pour cela, elle entend miser davantage sur les assistants médicaux pour libérer du temps médical, faisant valoir leur efficacité. Ces derniers permettent de prendre 10% de patientèle en plus. Thomas Fatôme avait déjà fait part de sa volonté de consolider et de développer le modèle lors du Congrès organisé par MG France fin juin. La Cnam souhaite également accroître les installations d’IPA en ville en revalorisant leur modèle économique, et proposer des modèles innovants de collaboration médecins-infirmières. Nouvelle qui devrait ravir les praticiens : l’Assurance maladie dit vouloir alléger la charge administrative des médecins. Le numérique en santé doit également être davantage renforcé, souhaite la Cnam. La téléconsultation sera un pan important de ce volet.

D’autres propositions concernant les soins non programmés en journée ont été formulées, notamment le déploiement d’un Service d’accès aux soins (SAS) dans chaque territoire. Si ce dispositif n’a pas décollé, les médecins estimant que le compte n’y est pas en termes financiers entre autres, l’Assurance maladie entend simplifier les modalités de fonctionnement et de rémunération en se basant sur les simplifications proposées par la mission Braun, et que la Cnam évaluera à la rentrée.

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