"Pas un jour sans que ne soient piétinées nos blouses" : la lettre d'une généraliste à Emmanuel Macron

27/02/2024
Courriers des lecteurs
"Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la Santé, avec tout le respect que je vous dois, je vous intime d’en faire preuve à l’égard des soignants", exhorte une généraliste nantaise dans une "lettre" transmise à Egora, que nous publions en intégralité. Elle y dénonce les "attaques incessantes" envers la profession.

   

"Lettre à Manu

Manu l’autre soir, quand je t’ai vu dans la petite lucarne, tu m’en as mis plein les mirettes.

Manu, je me permets, hein, on ne se donne pas du Docteur ou du Monsieur le Président entre nous. Après tout, tu es d’une famille de médecins, que tu nous as dit. Bah moi, j’ai été délégué de classe, je suis syndiquée, j’écoute France Info. Ça nous met donc sur un pied d’égalité. Toi, tu t’octroies le droit de donner ton avis sur la façon dont moi et mes confrères, on devrait travailler pour sauver le système de santé français. Et moi, je me permets de te donner mon avis sur la façon dont toi et tes collègues à l’assemblée nationale, vous êtes en train de dynamiter les piliers de notre République. Tu pourrais nous taxer d’ultracrépidarianisme, et je te renverrais alors le compliment.
Tu vois Manu, non seulement tu n’as pas mis des paillettes dans mes yeux, mais en plus tu m’as fait saigner des tympans. Vous formez une sacrée équipe avec Gabriel et notre bien-aimé Frédéric ! Dans vos hautes sphères, complètement déconnectés de la réalité, ignorants les cris assourdissant de désespoir des soignants, persuadés de mieux savoir, mieux que les acteurs de terrain. Vous vous tenez là, bien droits, le regard fier et le verbe haut, face aux français, déversant votre soupe habituelle. Une pincée de langage guerrier par ici, deux, trois promesses d’économie par là, quelques milliards pris à Paul pour donner à Jacques et voilà la recette d’une bonne série politicarde, à servir à volonté.
Mais moi, quand je vous vois les gars, j’ai l’impression de voir le remake d’une vieille série, après « chapeau melon et botte de cuir », sur nos écrans « gros melon et langue de bois » ! Mais, vous êtes fiers de quoi sérieusement, entre nous ? De voir que notre système de soins, tant envié dans le monde entier, par son excellence et par son accès à tous, est passé de la première à la vingtième place en 20 ans ? Faudrait applaudir, vous féliciter ? Non mais, expliquez-moi ? Pourquoi vouloir, et acter en coulisses « un virage à l’anglaise », système au combien décrié, alors qu’on avait l’excellence à la française ?
Et on en parle, des vieux relents colonialistes ? Manu, tu vas nommer un « émissaire » pour aller piquer aux autres pays des médecins, pour pouvoir les exploiter et faire tourner nos hôpitaux. Alors que des médecins, on en a, on en forme ! Mais bon ils sont chiants aussi ! Ils veulent pouvoir travailler dans de bonnes conditions et être rémunérés à la hauteur de leurs responsabilités. Du coup, on forme des soignants, qui vont bosser à l’étranger, et on va chercher à l’étranger des soignants pour bosser chez nous. C’est votre vision de l’économie circulaire : je participe à l’esclavagisme moderne en faisant venir des médecins cubains mais les médecins que j’ai formés vont travailler en Belgique, en Suisse... Qu’est-ce qu’on se marre ! Des génies ! Vous savez, ou pas les gars, que les amphis sont remplis de jeunes portant leur stéthoscope à côté du cœur, en bandoulière ? Et qu’avec ce que vous leur promettez, pour leur survie, ils n’auront d’autre choix que de renoncer à la médecine libérale, puisque incompatible avec une vie de famille équilibrée, ou avec son exercice en étant malade, handicapé. Impossible de rentrer dans les cases, de tenir la cadence, de couvrir charges professionnelles et personnelles.
Savez-vous ce qu’est la relation si précieuse du médecin et de son malade ? On parle de la rencontre d’une confiance et d’une conscience. Sérieusement les gars, vous pensez que cette rencontre elle aura lieu dans la cabine de téléconsultation installée dans la galerie du Leclerc ? Qui s’occupe du « sale boulot », hein ? Qui s’occupe des personnes âgées isolées, des ados suicidaires, des salariés en burn out, des parents en deuil, de la misère sociale ? Ce sont les travailleurs du soins, assistantes sociales, IDE, kiné, médecins, main dans la main, ils maillent nos villes et campagnes, et sont les garde-fous, les derniers remparts dans une société en souffrance.
Vous voulez une médecine non inclusive pour ses propres soignants? Des soignants “purs, obéissants et méritants“, et des soignants “feignants ou malades, ou handicapés, et/ou plus préoccupés par leur bien-être et celui de leur famille, que de servir la nation !”
Je pense que le dernier fusible a sauté ! La guerre est déclarée. Pas un jour sans que ne soient piétinées nos blouses. Quand hier, vous nous applaudissiez à 20 h tous les soirs, aujourd’hui vous nous crachez à la figure sur les plateaux TV, sur les ondes radio, à la bonne heure ! Tout ça pour te dire Manu, que là, on en a vraiment gros, au cas où toi et tes collègues vous n’auriez pas compris.
Apparemment Frederic ne se sent « pas préoccupé par le sort des professionnels de santé ». Quand j’ai entendu ça, j’ai l’estomac qu’est venu me chatouiller les amygdales. Je me suis dit, le gars il fait un AVC, il ne peut pas dire ça, il vient d’être nommé ministre de la Santé. Il est dans le déni le gars, parce que 50 % des soignants sont en burn out, que c’est la profession où le taux de mortalité par suicide est le plus élevé. Là, il a carrément dépassé les bornes des limites.
Quand des personnes consciencieuses et dévouées à leur travail se sentent méprisées, elles craquent et dégoupillent. Nous allons devoir ”choisir” entre la peste et le choléra, entre se déconventionner ou signer. Dans les deux cas il faudra renoncer à certaines de nos valeurs, principes. Deux voies sans issue. Les gens ne tiennent pas longtemps quand ils renoncent à leurs convictions, le couteau sous la gorge.
Alors, monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la Santé, avec tout le respect que je vous dois, je vous intime d’en faire preuve à l’égard des soignants. Écoutez-les, ils sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin pour que restent pérennes les fondements de la protection sociale en France : égalité d’accès aux soins, qualité des soins et solidarité."
 
Un médecin attaché à sa blouse blanche et à son stéthoscope à paillettes
 
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