"De gré ou de force, on lui arrachera" : les internes en grève pour faire plier Véran sur le temps de travail

18/06/2021 Par Pauline Machard
Aujourd’hui et demain, à l’appel de l’InterSyndicale nationale des internes (Isni), tous les internes en médecine de France sont invités à raccrocher leurs blouses dans l’optique d’obtenir enfin un décompte des heures de travail et que soit respectée la loi sur le temps de travail hebdomadaire. Une manifestation aura aussi lieu demain à 13 h à Paris au départ de l’hôpital la Pitié-Salpêtrière. Retour sur les éléments du conflit avec Gaetan Casanova, président de l’Intersyndicale.
 

“La demande est simple : uniquement - ni plus ni moins - faire respecter la loi. Jamais de ma vie je n’aurais pensé avoir une revendication aussi démentielle, devoir me battre comme un chien nuit et jour contre un ministre pour faire respecter la loi”, peste Gaetan Casanova, président de l’interSyndicale nationale des internes qui a appelé à la grève et à la manifestation ces 18 et 19 juin, pour obtenir le respect du temps de travail. Ce que dit la loi à ce sujet ? “Elle est claire comme de l’eau de roche”, commente-t-il : le temps de travail hebdomadaire maximum des internes en médecine, comme pour tout autre travailleur, est de 48 h, “et basta”.

Or on est loin de ce cadre légal aujourd’hui, car selon une enquête sur le temps de travail réalisée par l’Isni en 2020 - soit pré-crise du Covid-19, la situation n’a pas dû s’améliorer depuis -, la moyenne hebdomadaire serait en réalité de 58,4 h... Dans 7 spécialités, elle dépasserait les 80 h, comme en neurochirurgie. Et pourtant, lors d’une de ses allocutions durant l’épidémie, le président Emmanuel Macron a demandé un : “effort supplémentaire” “des soignants d’abord”. D’en faire plus. “Le problème, c’est qu’on n’est pas dans le ‘plus’, on est dans le ‘trop’”, tonne le syndicaliste. Pour lui alors, c’est la goutte d’eau, d’autant que la profession est confrontée à plusieurs suicides d’internes depuis le début de l’année. Il réfléchit à une mobilisation, centrée sur l’épuisement professionnel.

Cette question, c’est l’un des trois gros sujets monitorés par l’Isni, avec ceux du harcèlement et des violences et de la rigidité des cursus, dans le cadre de son mouvement #ProtegeTonInterne, lancé depuis mars pour sensibiliser au mal-être des internes. Pour le syndicat, “la première des violences, c’est celle du temps de travail”. Car travailler trop, “c’est transformer un hôpital qui soigne en hôpital qui tue”. Qui tue des soignants, via des burnouts, des accidents vasculaires cérébraux, des suicides, des accidents de la route…, liste l’Isni, études à l’appui. Mais aussi des patients, “en favorisant les erreurs médicales”. “En fin de garde, on n’arrive pas à faire des phrases sujet-verbe-complément. Comment imaginer qu’on puisse soigner correctement les patients ? La réalité c’est - les études le prouvent - que quand on est fatigué, “spoiler alert” : on fait des conneries, c’est-à-dire qu’on va éventuellement créer des complications et, parfois, dans des cas extrêmes, cela peut littéralement tuer des gens”.   “La volonté politique n’y est pas” Afin de protéger la santé des soignants et des patients, l’Isni demande un décompte du temps de travail des internes en France. Car pour pouvoir respecter les 48 h hebdomadaires fixées par la loi, encore faut-il qu’il existe un moyen de contrôler. “Aujourd’hui, on est décomptés en demi-journées, sauf que les demi-journées ne sont pas bornées. Elles peuvent faire 4 h, 12 h… Chacun y va de son interprétation”, déplore le représentant syndical. Problème : jusqu’à présent, le ministère est resté sourd aux arguments de l’intersyndicale à ce sujet, selon son président. Olivier Véran, pourtant ancien représentant de l’Isni, refuserait...

 “de poser un premier jalon qui permettra à l’hôpital français de respecter la loi, aux soignants de s’épanouir et aux patients d’être mieux soignés” pour le syndicat. Si le ministre de la Santé a déclaré sur Twitter “Je sais ce que notre système de santé doit aux internes. Ensemble, nous nous engageons pour améliorer leurs conditions de travail, à commencer par la durée de leur travail”, son cabinet aurait indiqué : “Si vous voulez compter les heures de travail, il faudra attendre qu’une décision du Conseil d’État nous y oblige”, regrette l’Isni.

Quant au plan d’action pour contrer les risques psychosociaux, dont la Conférence des doyens de la médecine est à l’initiative, et qui a été signé notamment par l’Isni ? S’il prévoit la mise en place d’un “outil permettant de mesurer le temps de présence en stage des internes, et de garantir le respect de la durée légale d’un maximum de 48 h de temps de travail hebdomadaire”, ce qui est “positif”, juge Gaetan Casanova dans le sens où “c’est un sujet”, cela ne permet pas pour autant de “faire avancer le schmilblick”, juge l’interne. Qui souligne que si les ministres Frédérique Vidal et Olivier Véran étaient bien présents à la conférence de concertation, “ils n’étaient pas partie prenante. Ils ne l’ [le plan d’action, NDLR] ont pas signé”. Pour Gaetan Casanova, qui cible le ministre de la Santé, cela signifie que “la volonté politique n’y est pas”. Il souligne également qu’autour de la table, parmi les signataires, personne, à part Olivier Véran, ne pouvait changer la donne en la matière.

  Bientôt “des pluies torrentielles d’amendes” ? “Je me suis promis que, de gré ou de force, on le [décompte] lui arrachera. Parce que c’est la loi. Mais aussi parce que c’est légitime”, lance Gaetan Casanova. Et d’ajouter : “On fait cela pour la dignité des gens qui travaillent dans la santé et pour la dignité des patients”. De gré, c’est-à-dire que si le ministre de la Santé accède à cette revendication, “on travaillera ensemble pour trouver des modalités intelligentes, assure l’interne, parce qu’on sait bien qu’on ne va pas être aux 48 h du jour au lendemain. On pourrait fixer un objectif, comme par exemple tomber à 55 h au lieu de 70 h en un an, avant d’arriver à 48 h l’année suivante. Il faut que ce soit quelque chose de positif, qu’il y ait une vraie démarche de construction”. De force, ce serait dans la situation inverse : “Si le ministre refuse de respecter la loi de la République, enchaîne le syndicaliste, on tentera tous les recours français et européens pour faire respecter la loi”, fait savoir Gaetan Casanova, qui précise que l’instruction du recours devant le Conseil d’Etat à ce sujet va...

être clôturée et qu’“on risque de nous donner raison assez rapidement”. Si le décompte du temps de travail devenait accessible par cette voie, et non par décision politique,“on ne sera plus dans les dispositions de dire : ‘On vous laisse le temps’, comme dans le scénario optimiste, prévient le président de l’Isni. Systématiquement, on poursuivra tous les services et tous les hôpitaux, qui vont se prendre des avalanches, des pluies torrentielles d’amendes. Et ça, ça va saigner l’hôpital public”, poursuit-il. “Ce qui est certain, c’est que s’il faut attendre que les tribunaux obligent les gouvernements à le faire, et le ministre en particulier, nous, on n’aura absolument aucune pitié dans les modalités”.

Si l’appel à la grève est soutenu, assure Gaetan Casanova - par le grand public mais aussi par la profession : les doyens, l’APH, la FMF, l’UFML-S, Jeunes médecins, le SNJAR…, impossible pour lui d’imaginer l’ampleur de la mobilisation. “Difficile de le savoir. Et difficile de penser qu’elle sera majeure, en tout cas pour la manifestation, pour un tas de raisons qui tiennent à la mentalité médicale, au fait que les soignants sont épuisés, qu’il fait beau, qu’ils ne pensent qu’à une chose : partir en week-end, voir leurs proches…”, juge-t-il. Si, pour lui, “il y a sûrement des moments plus opportuns pour augmenter la mobilisation”, peu importe, “c’est le moment”. D’autant qu’il souhaitait que cette grève “ne débute qu’une fois l’épidémie calmée, pour montrer à la population que la priorité, quelles que soient les difficultés, c’est elle. C’est une exigence morale”. “Au fond, c’est surtout pour marquer, lance Gaetan Casanova. On pourrait être trois pelés dans la rue avec des fleurs, ce serait pareil”, glisse l’interne, qui entretient l’espoir qu’Olivier Véran finisse par mettre en place le décompte d’heures. Il avertit toutefois : “Si on n’est pas entendus, on publiera régulièrement des histoires d’erreurs médicales dues à l’épuisement… Mais j’aimerais qu’on n’en arrive pas là.”  

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