Recalés de la Paces : "Ces étudiants ont été traités comme des cobayes et du bétail"
"On a choisi cette faculté en sachant qu'on courrait un risque… mais aujourd'hui la réforme nous bloque notre avenir." Se destinant à la médecine, Thomas* s'inscrit en Paces à Paris-Descartes à la rentrée 2018. L'université est l'une des sept en France à expérimenter la Paces en un an (dite "Paces One"), ébauche de la réforme nationale qui sera mise en place à la rentrée 2020. Dans cette fac, le redoublement en Paces n'est pas permis : les étudiants qui échouent sont réorientés dans une licence, au terme de laquelle ils pourront, s'ils le souhaitent, tenter l'admission en 2 ou 3e année de médecine, via le dispositif de l'Alter-Paces. Sans aucune garantie. Autre nouveauté : seuls 80% des étudiants classés dans le numerus clausus (238 cette année-là) sont directement admis en 2ème année. Les 20% restants, ainsi que le nombre équivalent d'étudiants classés immédiatement après, sont à quant eux déclarés "admissibles". Ils devront passer trois épreuves orales, censées contrebalancer les biais de sélection du "tout QCM", devant différents examinateurs. L'une d'entre elles évalue ainsi le "projet professionnel" des étudiants, tandis que les deux autres sont centrées sur l'analyse d'un texte et d'une "situation complexe" (sujet de santé publique, par exemple).
D'après le règlement du concours, arrêté le 5 septembre 2018 par le président de l'université, "chaque oral est noté sur 100 sous forme d'une grille d'évaluation en 5 parties de 20 points chacune" et "chaque partie est évaluée par une note de 1, 8, 14 ou 20" [obligatoirement l’une de ces quatre notes, NDLR]. Comment la note finale est-elle calculée ? Mystère, le règlement étant sibyllin sur ce point : "le score de la partie est donné par la somme de la moyenne des oraux (sur 100) et la moyenne à l'écrit en filière notée aussi sur 100". "Ne cherchez pas à comprendre cette phrase. J'ai passé trois nuits à essayer", ironise l'avocate de Thomas,. Pour Thomas, en effet, le rêve...
s'est brisé fin juin : l'étudiant est finalement "ajourné" à l'issue de l'oral. Comme lui, "certains étudiants qui s'étaient classés dans le numerus clausus ministériel se sont retrouvés déclassés", souligne-t-il. Tandis que d'autres, qui n'y étaient pas, ont été finalement admis, bénéficiant d'une "seconde chance" grâce à l'oral. Un sort que Thomas aurait été prêt à accepter… s'il n'avait pas constaté des "irrégularités" dans sa notation. Comment, avec des notes de 1, 8, 14 ou 20 pour chacune des 5 parties, peut-il obtenir à ses oraux des scores à decimales, type 78,35 sur 100 ? Jugeant ces résultats mathématiquement "impossibles", l'étudiant tente un recours gracieux auprès du président de l'Université, et contacte une avocate. Cette dernière décide de porter sans délai l'affaire devant le tribunal administratif, réclamant la suspension en urgence de la décision d'ajournement et son annulation. Déboutée par une première magistrate, l'avocate obtient finalement gain de cause le 13 septembre auprès d'une autre juge, qui émet, après avoir fait elle-même les calculs, "un doute sérieux quant à la légalité" de la décision. Ni admis, ni recalé, Thomas voit son sort suspendu au jugement de l'affaire sur le fond, dans un délai de 9 à 12 mois.
Or, il n'est pas le seul étudiant de Paces qui estime avoir été lésé par la faculté. Sur les 37 "ajournés" (tous en médecine, sauf 3), 20 étudiants décident de suivre son exemple et d'attaquer la décision en justice. Entre temps, l'avocate a levé un autre lièvre : d'après le décret ministériel sur l'expérimentation Paces one, les oraux auraient dû durer 20 minutes. Or, l'entretien motivationnel n'a duré que 7 minutes. De quoi déclarer le concours de la Paces "illégal dans son intégralité". "C'est déjà arrivé dans une école vétérinaire il y a quelques années, et à l'ENA en 1954", soutient l'avocate. "Certains admis en 2ème année de médecine pourraient finalement se retrouver ajournés, déplore-t-elle. Mais c'est un moyen de pression sur l'Université, qui est complètement mutique dans cette histoire." L'établissement refuse en effet de transmettre aux étudiants leur grilles de notation. Le 7 octobre, à la demande de la justice, la fac...
publie un nouveau classement… qui serait strictement identique au premier. Thomas figure toujours dans la liste des "ajournés" alors qu'il ne devrait juridiquement pas l'être. L'avocate fourbit ses armes et envisage une plainte au pénal. Les plaignants considèrent en effet que le jury a procédé à des moyennes pour gommer les écarts de note entre différents examinateurs, allant jusqu'à 30 points par oral. Mais les recalés subissent un revers le 9 octobre : les 20 camarades de Thomas sont finalement déboutés, leur cas n'étant pas jugé urgent… puisqu'ils étaient tous bien inscrits en licence (sciences de la santé) à la rentrée. "Ils pensaient être ajournés", rappelle leur avocate, qui tente par ailleurs un pourvoi en cassation auprès du Conseil d'Etat. En désespoir de cause, les "ajournés de P5" lancent alors une pétition (1426 signatures à ce jour) et en appellent au Président de la République ainsi qu'aux ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur. "Ces étudiants ont été bafoués par le système, ils sont complètement perdus et leurs parents aussi. Ils ont été traités comme des cobayes et comme du bétail", lance leur avocate. "Avec la réforme qui se met en place, on ne sait pas si on va perdre trois ans en licence et pouvoir repasser, ou pas", témoigne Thomas.
A ceux qui critiquent une démarche de «privilégiés», l'avocate répond que certains d'entre eux sont défendus gratuitement par son cabinet, ou à des "tarifs bas". "Ce ne sont pas des recalés qui sont allés se plaindre, mais juste des étudiants qui veulent faire respecter leurs droits." Elle demande aujourd'hui leur admission, estimant qu'un redoublement exceptionnel pourrait entraîner "une perte de chance". Sollicitée, l'Université Paris-Descartes n'a pas donné suite à notre demande d'interview, "en raison de l’instruction en cours devant le tribunal administratif de Paris, l’affaire n’ayant pas encore été jugée sur le fond". *Le prénom a été modifié
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