C’est une enquête dont les résultats étaient très attendus par les syndicats d’internes en médecine. En juillet 2021, après s’être engagés à préserver la santé mentale des carabins, les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé ont lancé une grande enquête pour évaluer “aussi précisément que possible” l’organisation des obligations de service et du temps de travail des étudiants de troisième cycle. Même si des études ont déjà été publiées à ce sujet, notamment par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) en 2020, qui avait estimé à 58,4 heures par semaine le temps de travail moyen réel des futurs médecins, cette nouvelle investigation, menée par le sondeur Opinionway pour le compte des ministères, permet d’acter officiellement le phénomène. Pour rappel, le cadre légal du temps de travail des internes est fixé à 48 heures par semaine.
Pour parvenir à son évaluation, Opinionway a posé plusieurs questions aux internes mais égalements aux établissements les accueillant en stage : nombre de demi-journées de gardes par semaine, contrôle par le biais d’un logiciel de temps de travail, volume horaire par semaine, respect de l’effectif minimum d’internes, du repos de sécurité, des congés… Tout est comparé. Et ce qu’il ressort d’abord des résultats, c’est le contraste très important entre les résultats fournis par les CH, les CHR, CHU ou les EPSM* et les carabins.
Les demi-journées largement dépassées
Ainsi, à la question de savoir si plus de 8 demi-journées de travail en stage ont été effectuées en moyenne sur une semaine entre les mois de mai et de juillet par exemple, 93% des internes de spécialités médicales ont répondu oui… contre seulement 37% des établissements. Un chiffre encore plus marqué pour les internes de spécialités médicales (97%) puisque seuls 29% des établissements ont estimé qu’il y avait eu un dépassement. Idem pour la réanimation et les urgences : respectivement 96% et 76% des internes contre 28% et 25% des établissements.
Dans le cas des demi-journées dépassées, 64% des internes de spécialités chirurgicales ont estimé qu’ils en avaient fait au moins trois supplémentaires. Pour les spécialités médicales et de réanimation, c’est le cas d'au moins un interne sur deux (53% et 55%). Aux urgences, 29% des internes. Sur ce point, l’écart se creuse avec les établissements… De leur côté, en effet, ils ont estimé que seuls 12% des internes de spécialités chirurgicales avaient fait au moins trois demi-journées supplémentaires, 10% et 8% pour les spécialités médicales et de réanimation et 6% pour les urgences.
“On ne peut pas dire qu’on ne s’y attendait pas, mais c’est choquant”, reconnaît Mathilde Renker, présidente de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), qui estime que ce décalage est probablement dû à une “méconnaissance” de la charge de travail des internes. “On peut voir ça sous deux angles : soit les internes mentent tous comme des arracheurs de dents, soit les établissements ne se rendent pas forcément compte des réalités”, tranche-t-elle. Une position appuyée par le président de l’Isni, Gaetan Casanova. “Cette méconnaissance est nette. Ou alors, les résultats n’étant pas anonymisés, les établissements n’ont pas osé dire qu’ils ne remplissent pas les tableaux de service”, envisage l’interne de santé publique.
Ces tableaux de service, justement, sont un autre point de divergence entre futurs médecins et établissements. Moins d’un interne sur deux a estimé qu'il était rempli mensuellement par les chefs de service. Aux urgences, par exemple, le taux de réponse est de 48% et pour les spécialités chirurgicales, de 19%. Les représentants d’établissements, au contraire, sont 85% à le penser pour les urgences et 70% pour les spécialités chirurgicales.
70% des internes travaillent au-delà du cadre légal
Quid alors du volume horaire, point de contestation majeur des syndicats depuis plusieurs années ? Selon Opinionway, 70% des internes dépassent actuellement le cadre légal des 48 heures par semaine. Dans le détail, 5% seulement estiment travailler entre 35 et 40 heures, 10% entre 40 et 45 heures, 9% entre 45 heures et 48 heures. Bien loin des 18% d’internes qui estiment travailler jusqu’à 51 heures hebdomadaires. Enfin, plus d’un interne sur deux (52%) a déclaré être au-delà des 51 heures hebdomadaires. L’étude mandatée par les ministères de tutelle ne précise toutefois pas le temps de travail moyen réel par spécialité.
Les internes ont également été interrogés sur la durée moyenne d’une demi-journée. Selon leur retour, elle se situe entre 4h30 et 5h30 : 31% des carabins ayant estimé qu’ils travaillent entre 4h30 et 5h et 39% entre 5h30. 6% tout de même ont confié dépasser les 6 heures. La nuit, lors des demi-gardes, 34% des internes terminent après minuit en moyenne. Rare point de satisfaction des internes en revanche, le relatif bon respect des bornes horaires des services de garde, normalement entre 18h30 et 8h30 du matin.
Le repos de sécurité relativement bien respecté
L’enquête permet aussi aux syndicats de constater que le respect du repos de garde est en net progrès. Les futurs urgentistes en bénéficient quasiment systématiquement, huit internes de spécialités médicales sur dix et seulement la moitié des internes de spécialité chirurgicale peuvent avoir un temps de repos 11h après une garde ou une astreinte. Du côté des terrains de stage, les retours sont quasiment identiques : 90% aux urgences, 76% pour les spécialités médicales et 67% pour les spécialités chirurgicales. “Même si ces chiffres ne sont pas à 100% alors qu’ils devraient l’être, c’est déjà un peu rassurant de voir qu’il y a un travail de fait à ce sujet”, précise Mathilde Renker.
En revanche, la possibilité d’équilibrer son temps de travail pour un interne est plus compliquée : à peine plus d’un quart y parvient. 33% ont par ailleurs assuré ne jamais y arriver. Côté congés, 47% des futurs médecins n’ont jamais connaissance des congés pris ou non pris… et les trois-quarts n’ont pas pu reporter.
Le ministère tempère
“Et maintenant”, interroge ironiquement Gaetan Casanova. “Est-ce qu’on apprend vraiment quelque chose ? Non. Le seul intérêt, c’est que le ministère de la Santé a mis la main sur le problème dont il connaissait l’existence, mais peut-être pas l’ampleur”, relève-t-il. Selon lui, les ministères auraient même tenté de minimiser ces résultats au motif que la méthodologie - le nombre de répondants notamment** - ne leur semblait pas satisfaisante, allant même jusqu’à proposer une seconde étude. “Mais c’est eux qui l’ont créée cette étude”, rappelle le président de l’Isni. “Alors maintenant il faut agir. On sait que les internes travaillent trop, toutes les études le disent, le montrent. Les internes en témoignent, on ne les croit pas ?”, s’agace-t-il.
Agir, c’est donc ce que les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé entendent faire au travers d’un grand plan d’actions. Lors d’une réunion avec les représentants d’internes, plusieurs points ont été actés, à commencer par la mise à disposition obligatoire des tableaux de service. “Ils doivent exister et les internes doivent en avoir connaissance”, rappelle Mathilde Renker. Il a également été décidé de l’intégration d’un volet “qualité de vie au travail” et “respect du temps de travail” dans les dossiers de demande d’agrément de stage, de proposer une grille formalisée d'évaluation nationale des terrains de stage qui intégrerait une rubrique “temps de travail” de manière à ce qu’il soit possible pour une ARS de suspendre ou retirer l’agrément de stage. Les ministères de tutelle entendent par ailleurs rendre obligatoire la présentation d’un bilan des tableaux de service en Commission d'organisation de la permanence des soins, Conseil médical d’établissement et conseil d’UFR dans laquelle siègent des internes, et indemniser des jours de congé annuel non pris dans la limite de 5 jours par an sera rendu possible.
Enfin, les ministères se sont engagés à mettre en place le dispositif de sanction financière des établissements ne respectant pas le cadre légal de temps de travail des étudiants, conformément aux promesses du Ségur. Une nouvelle réunion à ce sujet aura lieu à la fin du mois.
*Établissement public de santé mentale
** Enquête basée sur 252 contributions d’établissements accueillant des internes et 2 348 contributions d’étudiants de 3ème cycle recueillies par le ministère de la Santé entre le 26 juillet et le 28 septembre 2021.
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