Professeur des Universités et chef de service d'anesthésie réanimation douleur du groupe Hospitalier Nord de Lyon, Frédéric Aubrun préside la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD). Egora – Le Panorama du Médecin : Quel état des lieux dresser de l’évolution de la consommation d’antalgiques opioïdes en France sur les dix dernières années ? Pr Frédéric Aubrun : L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié en février 2019 un rapport sur la consommation des antalgiques opioïdes en France qui s’inscrit dans une démarche de surveillance globale de l’utilisation de ces médicaments dans la prise en charge de la douleur. On observe qu’en 2015, plus de 10 millions de français ont reçu une prescription d’antalgique opioïde, soit 17% de la population. Si le retrait du dextropropoxyphène en 2011 a permis de faire reculer la consommation globale d’opioïdes faibles, il s’est cependant accompagné d’un report vers d’autres antalgiques opioïdes de palier 2, en particulier le tramadol qui ainsi devient l’antalgique opioïde le plus consommé en France - avec une augmentation de plus de 68 % entre 2006 et 2017 - suivi par la codéine dont la consommation a augmenté de près 120% entre 2006 et 2017. Sur cette même période, la prescription d’antalgiques opioïdes de palier 3 a elle aussi significativement augmenté : + 150% environ entre 2006 et 2017. Ainsi on estime qu’en 2017, près d’un million de français ont reçu une délivrance d’un antalgique fort : la morphine en premier lieu suivie par l’oxycodone et le fentanyl. Ces données doivent donc nous inciter à une vigilance accrue… Rappelons qu’en France, l’augmentation de la consommation d ‘antalgiques opioïdes, qu’ils soient faibles ou forts, s’inscrit dans une politique globale d’amélioration de la prise en charge de la douleur… Seulement il est vrai que dans le même temps, on observe une augmentation du mésusage, ainsi que des intoxications et des décès liés à leur utilisation. Ainsi en 2017 en France, on recensait sept hospitalisations par jour liées à une intoxication accidentelle aux opioïdes… Et quatre décès par semaine sur la période 2010-2015. La situation n’est pas comparable avec celle observée aux Etats-Unis ou au Canada… Toutefois ces indicateurs doivent en effet nous inciter à une vigilance accrue. Doit-on finalement craindre une « crise des opioïdes » en France ? Clairement, non. En effet, en France, nous bénéficions de modalités de contrôle de la prescription et de la délivrance des antalgiques opioïdes qui demeurent plus strictes que celles de nos voisins européens ou d’Amérique du Nord… Et qui vont d’ailleurs sûrement aller vers le durcissement. Nous pouvons également compter sur un maillage territorial de structures douleur chronique - 243 structures pluriprofessionnelles labellisées en 2019 - unique à travers le monde et qui permet le suivi de 400.000 patients douloureux chroniques. Nos pharmaciens sont également attentifs à la délivrance. Ainsi je pense qu’il faut savoir raison garder… À trop faire de catastrophisme, le risque serait de faire machine arrière et que les patients douloureux nécessitant une prescription d’antalgiques opioïdes ne puissent plus en bénéficier à cause de réticences ou de peurs des mésusages et dérives. Quelles mesures pour assurer le bon usage des antalgiques opioïdes ? On sait que les principaux prescripteurs d’opioïdes demeurent les médecins généralistes. En 2017, ils prescrivaient 86,3% des opioïdes faibles et 88,7% des opioïdes forts. Viennent ensuite les dentistes, les rhumatologues et les chirurgiens orthopédistes. Les modalités de prescription des antalgiques opioïdes sont précisées par les référentiels des sociétés savantes, notamment la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) et la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR). Seulement la problématique de ces référentiels, c’est leur diffusion. Un travail est en cours, en partenariat avec la Haute Autorité de Santé (HAS) et la Direction Générale de la Santé (DGS), visant à établir une synthèse de ces référentiels. Ces documents devraient être disponibles à l’attention des prescripteurs d’ici 2020… On sait aussi que certaines prescriptions, notamment en post-opératoire, sont trop généreuses et peuvent ainsi occasionner un stockage des médicaments non utilisés au domicile des patients. Une réduction de la durée de ces prescriptions permettrait à la médecine de ville de prendre le relais, d’ajuster et de suivre la prise de tels traitements. La SFETD a également adressé à l’ANSM une proposition visant à revoir à la baisse le nombre de gélules par boîte d’antalgique opioïdes. Nous souhaiterions également que les packaging de ces médicaments soient révisés afin que les noms des molécules qui les composent ainsi que les risques encourus par les consommateurs soient clairement indiqués sur la boite. *Le Pr Frédéric Aubrun déclare avoir des liens d’intérêt financier avec Air Liquide, et participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Biocodex.
A l’occasion de son congrès national qui a eu lieu du 27 au 29 novembre 2019 à Paris, la Société Française d’Étude et de Traitement de la douleur (SFETD) a présenté son premier « Guide de bonnes Pratiques » sur le fonctionnement des Structures Douleurs Chroniques (SDC). « Ces SDC sont victimes de leur succès, ave cun délai d’accès qui ne cesse de s’allonger » rappelle ainsi le Pr Frédéric Aubrun, Président de la SFETD.
Cet ouvrage propose des pistes pour mieux prendre en charge la douleur de millions de Français, dont beaucoup demeurent en errance diagnostique et thérapeutique. Il met ainsi en avant la nécessité d’un changement de paradigme du parcours de santé, avec un parcours patient structuré tout en améliorant l’efficience et l’efficacité des SDC dont le fonctionnement et le financement doivent être impérativement sanctuarisés à l’instar des voisins européens.
Éditions Med-Line.
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