Onco-urologie : lutter contre l’âgisme

05/12/2019 Par Corinne Tutin
Cancérologie Urologie
[113e CONGRES D'UROLOGIE] Les actualités du 113e Congrès français d’urologie, qui s’est déroulé à Paris du 20 au 23 novembre 2019? ont concerné l’onco-urologie du patient âgé, avec la publication d’un rapport dédié, qui apporte un éclairage nouveau sur les idées reçues et les discriminations liées au vieillissement en onco-urologie.

  Rédigé sous la direction des Prs Pierre Mongiat-Artus (Hôpital Saint-Louis, Paris) et du Pr Yann Neuzillet (Hôpital Foch, Suresnes) avec deux gériatres, les Prs Elena Paillaud (Hôpital Georges Pompidou, Paris) et Gilles Albrand (Centre hospitalier Lyon Sud), le rapport 2019 du congrès de l’Association française d’urologie (AFU) détaille les particularités de l’onco-urologie chez le patient âgé*. « La ségrégation des malades âgés ou 'agisme' est en effet fréquente, explique le Pr Yann Neuzillet, et après un certain âge, notamment au-delà de 75 ans, en raison d’idées reçues, les patients ne sont pas aussi bien traités qu’ils le devraient et on observe une augmentation de la mortalité spécifique par cancer. » Les diagnostics des cancers urologiques des patients âgés sont en moyenne plus tardifs, les formes agressives et avancées plus nombreuses, et les traitements curatifs moins fréquemment proposés. Il faudrait préparer les soignants et la société à cette problématique, améliorer la pertinence des soins et réaliser des essais randomisés dans ces tranches d’âge. Seulement 10 % de patients âgés sont, en effet, inclus dans les essais cliniques. « Les progrès obtenus bénéficieront à tous les patients quel que soit leur âge », juge le Pr Mongiat-Artus. Cette population de patients est très hétérogène avec des sujets de plus de 80 ans en bonne forme physique et d’autres fragiles risquant de tomber dans la dépendance. On peut utiliser en consultation le questionnaire G8, un outil recommandé par l’Institut national du cancer (INCa) pour la détection des fragilités des patients âgés atteints de cancer. Ne nécessitant que 5 minutes pour être rempli, il évalue 8 thèmes (âge, poids, motricité, forme, problèmes neuropsychologiques, médicaments...). En cas d’anomalie (score G8 inférieur à 14) ou de doute, on orientera le patient vers l’une des 24 unités de coordination en onco-gériatrie (Ucog), financées par l’INCa, afin de réaliser une évaluation médico-sociale gériatrique (état fonctionnel et de dépendance, état nutritionnel, cognitif, psychiatrique, comorbidités, médicaments, vie sociale ». « Dans 39 % des cas, l’évaluation gériatrique modifie la décision thérapeutique oncologique » assure le Pr Mongiat-Artus. La présence d’un déficit cognitif est souvent sous-estimée et concerne 6 % des sujets de 65 ans et 30 % de ceux de 90 ans. Il faudra prévenir la survenue d’un syndrome confusionnel post-traitement en prenant en charge les troubles psychologiques, qui sont fréquents (20 % d’angoisse pathologique chez le sujet âgé, 30 % de troubles dépressifs), en limitant la polymédication (en moyenne 5 médicaments pris à 80 ans), en appréciant le niveau de soutien social, en vérifiant que le patient n’a pas un déficit sensoriel (au cabinet on peut faire le test de la voix chuchotée, lui demander de lire avec ses lunettes...). « La vitesse de marche est aussi bien corrélée à l’espérance de vie », ajoute l’expert. La réhabilitation après chirurgie (RAC) facilite le raccourcissement du séjour hospitalier (bonne hydratation, alimentation...) Bien sûr, on prendra en considération les préférences des patients âgés, qui ne privilégient pas toujours la meilleure survie, mais la qualité de vie et la préservation d’un bon état fonctionnel et cognitif. « Malheureusement, on manque de données pour les accompagner sur ce point car la qualité de la survie n’est pas un objectif principal des essais thérapeutiques », regrette le Pr Mongiat-Artus.  

. Cancer de la prostate

Cette tumeur survient à l’âge médian de 69 ans, avec chez les patients âgés, des tumeurs diagnostiquées à un stade et avec un grade plus élevé et une mortalité par cancer accrue. Le dosage du PSA est généralement arrêté à 75 ans, « mais il faudra au-delà de cet âge continuer d’examiner régulièrement les patients et pratiquer un toucher rectal », conseille le Pr Mongiat-Artus. Dans les formes localisées, on ne dispose que d’études rétrospectives et observationnelles. Mais, il semble que la surveillance active, et la radiothérapie externe (souvent proposée aux patients âgés) représentent des options thérapeutiques intéressantes. La prostatectomie a une mauvaise image chez ces malades au vu des résultats négatifs de l’étude Pivot. En fait, « on ne peut pas tirer de conclusion de cet essai méthodologiquement discutable », souligne le Pr Mongiat-Artus. Ce geste est faisable chez le patient âgé. Tout dépend de son état de santé, des conséquences potentielles d’une incontinence, d’une perte d’érection. L’hormonothérapie isolée est, en revanche, contre-indiquée, 3 études ayant montré qu’elle fait moins bien que l’association hormonothérapie-radiothérapie. Dans les cancers métastatiques, il faudra bien surveiller les risques de sarcopénie et de chutes associées à l’hormonothérapie de 1e ligne (agonistes ou antagonistes de la LHRH), prescrire prudemment le docétaxel. Les nouvelles hormonothérapies (abiratérone, enzalutamide) sont probablement efficaces au vu des essais réalisées chez les plus jeunes, mais on manque de chiffres chez les plus âgés. Pour ce motif (manque d’étude prospective randomisée), on veillera au surtraitement avec hormonothérapie de 3e génération dans les cancers non métastatiques résistant à la castration, « ce d’autant que les complications sont plus fréquentes et plus sévères avec ces hormonothérapies chez les patients âgés », précise le Pr Mongiat-Artus.  

. Cancer vésical

Favorisé par le tabagisme, le cancer vésical est diagnostiqué à l’âge médian de 74 ans chez l’homme et de 79 ans chez la femme. Le pronostic des tumeurs de vessie n’infiltrant pas le muscle (TVNIM) est plus mauvais que chez les plus jeunes en raison d’un diagnostic retardé, - les hématuries n’étant pas toutes explorées - , et d’une sous-utilisation de la BCG thérapie « Une résection transurétrale de vessie (RTUV) pourra être proposée sans modification de technique chez ces malades âgés. Toutefois, le chirurgien urologue fera particulièrement attention aux comorbidités et le geste sera adapté (bloc anesthésique du nerf obturateur) pour réduire le risque de perforation, un peu plus élevé que chez le sujet jeune car la paroi de la vessie est plus fine », précise le Pr Neuzillet. La BCG thérapie (lorsqu’elle est accessible !), qui demeure plus efficace que la mitomycine intravésicale, ne doit pas être remise en question même si son activité est moins importante que chez les plus jeunes en raison de l’immunosénescence. Dans les tumeurs de vessie infiltrant le muscle (TVIM), plus fréquentes après 75 ans (40 % contre 25 % tous âges confondus), « la cystectomie totale est raisonnable si l’espérance de vie du patient dépasse 2 ans, et bien évidemment qu’il accepte ce geste lourd, sous couvert d’une évaluation multidisciplinaire pré-opératoire et d’une gestion anesthésique rigoureuses ». Après évaluation gériatrique, la décision est modifiée une fois sur cinq. La chimiothérapie néoadjuvante (ou adjuvante) ne peut être recommandée après 80 ans, faute d’essai en ayant démontré l’intérêt dans cette tranche d’âge. En revanche, l’efficacité et la tolérance de l’immunothérapie par inhibiteurs du check point paraissent indépendantes de l’âge. On pourra proposer en alternative à la cystectomie totale : une radio-chimiothérapie ou, chez les sujets fragiles une radiothérapie hypofractionnée (pour limiter les déplacements à l’hôpital) ou, encore, une chimiothérapie à visée palliative.  

. Cancer du rein

Le cancer du rein connaît actuellement une augmentation d’incidence, du fait du recours plus fréquent à l’imagerie, avec un pic entre 70 et 80 ans. « Dans le cancer du rein localisé, dont le pronostic est très bon, le traitement doit prendre en considération la fonction rénale, le développement d’une insuffisance rénale pouvant réduire la durée de vie du patient », a insisté le Pr Mongiat-Artus. « Dans les petites masses rénales, la chirurgie n’apporte probablement pas de bénéfice en termes de survie spécifique et la surveillance - tout au moins initiale et après biopsie - pourrait être l’option standard dans ces cancers des sujets âgés. » Les traitements ablatifs percutanés (radiofréquence, cryothérapie) auront probablement une place croissante dans les années qui viennent. « Il est indispensable d’en évaluer les effets chez les sujets âgés. » Dans les cancers localisés de plus grand volume, la place de la néphrectomie (partielle, totale) sera discutée. Dans les cancers métastatiques (où après l’étude Carmena, la place de la chirurgie est devenue très limitée), le choix du traitement repose comme chez les plus jeunes sur les anti-angiogéniques et l’immunothérapie systémique. Aucune adaptation posologique de ces médicaments n’est requise du fait de l’âge. Mais, on ne peut nier que l’apparition des effets secondaires constitue une limite à leur utilisation et poursuite.   *Rapport AFU 2019. Onco-urologie du patient âgé. Mongiat-Artus P., Paillaud E., Albrand G., Neuzillet Y. Progrès en urologie, Novembre 2019, N° 14, p. 795-898.

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