Traiter le cancer de l’enfant sans chimiothérapie : des pistes prometteuses
"La leucémie promyélocytaire aigüe, autrefois mortelle et traitée par chimiothérapie, se guérit aujourd'hui en six mois avec de l'arsenic et de l’acide rétinoïque", a introduit le Pr André Baruchel (service Immuno-hématologie pédiatrique, CHU Robert-Debré), lors de la 10ème édition du colloque FAST, organisé par l’association Imagine for Margo à l’occasion de la Journée mondiale des cancers de l’enfant (15 février). Cette association thérapeutique a la propriété de cibler et dégrader la protéine de fusion responsable de l’absence d’apoptose des cellules conduisant à leur prolifération. "C’est une piste de recherche extraordinairement importante car les protéines de fusion se retrouvent dans de nombreux cancers. De nouveaux traitements arrivent. Leur ciblage intelligent éliminent la cellule d'origine, ce que ne font pas les thérapies ciblées à l'heure actuelle", poursuit le spécialiste.
Autre thérapie innovante : les anticorps conjugués. Ils associent un anticorps, capable d’identifier les cellules cancéreuses et un médicament cytotoxique délivré directement au cœur de la cellule tumorale ciblée. "Ils sont actuellement utilisés dans la leucémie aiguë lymphoblastique de l’enfant, une maladie touchant environ 70 nouveaux cas/an. Ces traitements arrivent également dans la leucémie aiguë myéloïde et les lymphomes de l’adulte et bientôt dans les lymphomes de l’enfant", indique le médecin.
Les bispécifiques, des anticorps de nouvelle génération, sont également en plein développement. Ils se lient à deux cibles distinctes. Trois classes principales sont fonction de la nature de leurs couple-cibles (bispécifiques tumoraux, bispécifiques immunomodulateurs, bispécifiques immunomodulateurs mixtes). "D’abord utilisés dans la leucémie aiguë lymphoblastique, ces traitements arrivent dans les lymphomes, les myélomes et dans beaucoup de cancers dont les cancers pédiatriques. Cependant, lorsque les anticorps bispécifiques sont arrêtés, nous n’observons pas de mémoire immunitaire", note le Pr Baruchel.
L’espoir des CAR-T
Le traitement par cellules CAR-T (Chimeric Antigenic Receptor - T) est une nouvelle approche d’immunothérapie cellulaire aux résultats très encourageants. Les lymphocytes T, extraits par leucaphérèse, sont modifiés génétiquement ex-vivo pour reconnaître et éliminer les cellules cancéreuses. Ils sont ensuite réinjectés chez le patient après une courte chimiothérapie. "La fabrication des CAR dure de 2 à 3 jours. Nous avons ainsi 3 semaines à 1 mois de délai entre le prélèvement et la réinjection des cellules. Je reviens d'un congrès où était présent le père de la première enfant au monde traitée en avril 2012 par des CAR. Emily Whitehead était alors en rechute réfractaire. Trois semaines après l’injection, les cellules cancéreuses avaient disparu. À ce jour, Emily va très bien", s’enthousiasme le spécialiste qui précise "cela a ouvert tout un champ de recherche dans les lymphomes et les myélomes de l'adulte essentiellement. Le problème, c'est que tous les enfants atteints de cancer n'ont pas des cibles connues permettant d'utiliser ces thérapeutiques. Il va donc falloir les définir. C’est en cours pour les glioblastomes, les neuroblastomes et des leucémies".
"Dans les tumeurs solides, outre l’identification de la meilleure cible, la pénétration dans l'environnement hostile de la tumeur puis son infiltration par les CAR constitue un autre défi", complète la Pre Véronique Minard, oncopédiatre (Gustave Roussy). "Ces trois dernières années des études encore très préliminaires donnent beaucoup d’espoir. Nos collègues du Bambino Gesù (Rome) vont prochainement publier dans The New England Journal of Medicine les résultats de leurs travaux concernant le développement de CAR ciblant les GD2 dans le neuroblastome. Bien plus puissantes que celles construites ces dix dernières années, les CAR-GD2 ont des taux de réponse très intéressants et surtout elles persistent longtemps après la réinjection. La recherche explose dans ce domaine que ce soit dans les tumeurs solides ou dans les leucémies. Les CAR ouvrent des perspectives magnifiques !", s’enthousiasme-t-elle.
Les bloqueurs des points de contrôle immunitaires (anti-PD1) sont une autre révolution...
thérapeutique chez l’adulte. "Mais chez l’enfant, nous avons été terriblement déçus. Les cancers de l’enfant étant différents, alors que de 30 à 40 % des adultes traités avec ces immunothérapies guérissent, nous avons un taux de réponse < 5% chez l’enfant. Nous avons toutefois observé des réponses exceptionnelles dans certains lymphomes. Beaucoup de recherches sont encore nécessaires", ajoute la spécialiste.
Rechercher une anomalie génomique spécifique
En médecine génomique, le programme de recherche MAPPYACTS, développé en 2016, permet de faire des profilages moléculaires de tumeurs d’enfants et d’adolescents, au moment de la rechute. "En quatre ans, 800 patients ont été inclus dans ce programme. Chez 79% d’entre eux, une anomalie moléculaire a été identifiée et 30% ont bénéficié d’un traitement ciblé adapté à celle-ci. Cette prise en charge s’effectue dans le cadre d’AcSé-ESMART, un essai clinique en pédiatrie de phase précoce comportant des bras évolutifs dans tous les types de cancers et leucémies de l’enfant, en rechute ou en échec thérapeutique. Il permet un accès aux thérapies innovantes", explique le Dr Pablo Berlanga, pédiatre-oncologue (Gustave-Roussy).
Au-delà du prélèvement tumoral, d'autres technologies basées sur des biopsies liquides analysent l’ADN circulant. "Dans 2/3 des cas, nous avons retrouvé, dans les prélèvements sanguins, les altérations génétiques identiques à celles de la tumeur. Chez 10 % des enfants, nous avons identifié des altérations génétiques qui n’avaient pas été retrouvées dans la tumeur, mais qui étaient uniquement dans l'ADN circulant. C’est extrêmement intéressant puisqu’il peut s'agir de cellules provenant soit d’un cycle métastatique soit d'un sous-clone. Dans les programmes futurs, il sera important de s’intéresser à l'évolution de ces altérations sous traitement", indique la Dre Gudrun Schleiermacher, pédiatre-oncologue et chercheuse (Institut Curie).
Enfin, des robots télémanipulateurs avec imagerie 3D autorisent une chirurgie de précision. Pour la Pre Sabine Sarnacki, cheffe du service de chirurgie pédiatrique (Hôpital Necker-Enfants malades), "les bras robotiques ont une dextérité presque plus importante qu'avec les mains. Nous avons pu élargir les indications de la coelioscopie et faire de la chirurgie d’ablation de tumeurs qui n’aurait jamais pu être faite autrement. Les résultats sont satisfaisants dans le neuroblastome, les néphroblastomes, les tumeurs endocrines, les phéochromocytomes, les paragangliomes, les tumeurs germinales et d’autres encore… ".
Présent au colloque Fast, le ministre de la santé, François Braun, a confirmé l’engagement de l’État à travers différentes mesures. "Si la majorité des cancers pédiatriques se guérissent, pour 20% d’entre eux, les progrès de la recherche sont l’unique espoir. La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021/2030 accorde une priorité aux cancers pédiatriques en y dédiant une partie de ses mesures", a introduit le ministre. Représentant 1 à 2% de l’ensemble des cancers, celui de l’enfant est qualifié de maladie rare. "Bien que les leucémies, les tumeurs du système nerveux central, les lymphomes soient les pathologies les plus souvent rencontrées chez les moins de 15 ans, plus de 100 différents types de cancers pédiatriques aujourd’hui dénombrés augmentent les difficultés à produire des essais et à apporter la preuve de l'efficacité des traitements innovants. D'autres méthodes d'évaluation doivent être possibles en France. Je souhaite que la Haute Autorité de santé (HAS) se saisisse de ce sujet. Aussi, dans le cadre du plan Innovation Santé 2030, des financements seront spécifiquement dédiés au développement de nouvelles méthodes d’essais cliniques, notamment sur petits effectifs", a annoncé François Braun.
Inauguré le 5 décembre 2022, le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC) est le premier biocluster consacré à l’innovation thérapeutique contre le cancer. "Financé par l’État à hauteur de 100 millions d'euros dans le cadre des 7,5 milliards d'euros du Plan Innovation Santé 2030, ce pôle d'excellence rassemble les expertises de tous les secteurs et acteurs de l'innovation oncologique : médecins, chercheurs, acteurs académiques, institutionnels, grandes entreprises, start up, PME. Au PSCC, 48 équipes de recherche en oncologie et plus de 31 start up travaillent déjà sur le plateau de Villejuif. Nous souhaitons développer ce modèle en France, dans une logique de réseau, pour mutualiser les découvertes et attirer les talents et continuer de progresser en matière d'immunothérapie, de médecine génomique et de chirurgie 3D", a poursuivi le médecin qui a également souligné l'effort complémentaire important des associations dont Imagine For Margo qui a affecté plus de 17 millions d'euros à 42 programmes de recherche européens contre le cancer des enfants depuis sa création en 2011.
Du point de vue de la prévention, "la stratégie décennale a l’objectif de renforcer la formation des professionnels de santé, notamment les non spécialistes de l'enfant, et de sensibiliser les soignants aux diagnostics précoces des cancers pédiatriques". Enfin, les travaux des Assises de la pédiatrie de la santé de l’enfant, installées en décembre 2022, sont attendus au printemps. Ils "aboutiront à une feuille de route gouvernementale autour de la santé de l’enfant". Pour François Braun : "Transformer radicalement la prise en charge du cancer de l'enfant demande des ruptures dans les années à venir."
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