Vaccins : comment échapper aux pénuries ?

22/12/2018 Par Chantal Guéniot
Infectiologie

Face aux menaces croissantes de rupture de stocks, les participants aux Assises européennes du vaccin, qui se sont déroulées à l’Institut Pasteur en novembre 2018, ont tenté d’ébaucher des voies d’amélioration et plaidé pour plus de dialogue.

  A l’image des ruptures de stocks de vaccins antigrippaux constatées pour la première fois cette année, les épisodes de pénurie de médicaments s’aggravent depuis quelques années, au point qu’Agnés Firmin Le Bodo, pharmacienne et membre de la Commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, a qualifié 2017 d’ "annus horibilis" pour l’approvisionnement en médicaments. Cette année-là, 530 médicaments essentiels ont été déclarés en rupture ou risque de rupture de stock à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm), soit 12 fois plus qu’en 2005.  Parmi ces déclarations, 5 % concernaient les vaccins. Selon le dispositif DP-rupture, expérimenté depuis 2013 par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, et auquel participe 60 % des officines françaises, un quart des vaccins (16 sur 63) ont été en rupture d’approvisionnement entre le 1er février 2015 et octobre 2018, pendant une médiane de 275 jours. Dans le même temps, 3,1 % seulement des médicaments ont été signalés en rupture, pendant une médiane de 38 jours). Les vaccins apparaissent donc particulièrement exposés à ces pénuries, qui mettent en péril les politiques de santé publique, dans un contexte rendu déjà difficile par les réticences perceptibles depuis l’épisode de pandémie grippale.  "Depuis le 3ème trimestre 2014 la France a connu des ruptures et tensions d’approvisionnement sur les vaccins tétra et pentavalents, dues à la valence coqueluche acellulaire, qui a connu une explosion de la demande mondiale, du fait de son inclusion dans de nombreux calendriers vaccinaux", a analysé Géraldine Menin, Directrice générale de Sanofi Pasteur Europe. Infanrix tétra reste indisponible et Tétravac-Acellulaire (DTCaP) en tension. Le Pneumovax (23 valent) en rupture de stock en 2017 continue à être en très forte tension d’approvisionnement en ville, conduisant la Haute Autorité de santé (HAS) à émettre une recommandation vaccinale transitoire. "Comment chercher à convaincre les parents de vacciner leurs enfants alors qu’on est menacé de ruptures de stock", a déclaré Agnés Firmin Le Bodo. Le Pneumovax devrait revenir en mars ou avril 2019, espère-t-elle. La pénurie de vaccins monovalents contre l’hépatite B destinés aux adultes en 2017 a officiellement pris fin en février 2018. Cependant Hbvax pro10, pour la vaccination à partir de 16 ans, et Hbvax pro40, pour la vaccination des patients en dialyse ou en attente de dialyse, sont encore déclarés en rupture de stock sur le site InfoVac-France. Le BCG est en rupture prolongée d’approvisionnement depuis le 29 mars 2016, conduisant les autorités à mettre à disposition à titre transitoire des unités de vaccin destinées au marché polonais et à en restreindre l’utilisation aux centres publiques de vaccination. Les vaccins rabiques sont indisponibles en ville depuis 2016 (Rabipur) et 2017 (vaccin rabique Pasteur).  

Concentration des lieux de production

  Ces difficultés d’approvisionnement, qui concernent tous les pays européens, sont liées notamment à la concentration de la production des vaccins, chacun n’étant le plus souvent fabriqué que par un ou deux fournisseurs, aux soucis de rentabilité, qui expliquent une production à flux tendu, et à la longueur des processus de fabrication. La production d’un vaccin demande entre 6 (vaccin contre la grippe) et 36 mois (vaccin à plusieurs valences), 70 % de ce temps étant dédié au contrôle de qualité. Dans ces conditions tout retard ou arrêt de production, et tout accroissement subit des besoins génèrent à coup sûr des problèmes d’approvisionnement. Des changements de calendrier vaccinal ou la mise en place de nouvelles obligations peuvent être en cause dans l’augmentation des besoins. "Depuis l’élargissement de l’obligation vaccinale en Italie il a fallu faire face à une plus forte demande et importer des vaccins d’autres pays européens", a remarqué Giovanni Rezza, directeur de recherche à l’Institut supérieur de la santé (Italie). Mais parfois la pénurie est la conséquence directe d’un choix commercial. Ainsi la pénurie en vaccin contre le pneumocoque 23 valent "inacceptable d’un point de vue de santé publique", écrivait la Haute Autorité de Santé (HAS) en décembre 2017, "fait suite à des choix stratégiques des laboratoires Sanofi Pasteur et MSD Vaccins (arrêt de commercialisation du vaccin Pneumo 23) et conduit à un déficit de la couverture des besoins de vaccination des populations concernées, à savoir les patients immunodéprimés ou ayant des comorbidités les exposant à un risque élevé d’infection à pneumocoque".  

La piste du calendrier vaccinal européen

  Première mesure évoquée par les participants à cette table ronde pour diminuer les risques de rupture : anticiper les besoins pour permettre aux industriels de planifier la production. "Pour cela il serait important de pouvoir utiliser des données épidémiologiques en temps réel", a souligné Geneviève Chêne (Inserm, Université de Bordeaux, coordinatrice de l’European joint action on vaccination), ce qui n’est pas le cas dans tous les pays européens. Tout signe de tension faisant redouter une pénurie devrait être déclarée aux autorités de santé le plus en amont possible. "Il faut une forte collaboration entre secteur privé et publique", a insisté Michael Pfleiderer (Biopharma excellence, Allemagne). La demande dépend surtout des changements de calendrier et des obligations vaccinales. Une harmonisation des calendriers vaccinaux en Europe pourrait faciliter le dialogue entre industrie et autorités et, peut-être, rassurer la population. Cependant pour Daniel Lévy-Bruhl (Santé Publique France), "on ne reviendra pas en arrière pour les anciens vaccins, car il y a fort à parier qu’en choisissant un seul calendrier on déstabiliserait médecins et parents, et renforcerait la défiance. En revanche, pour les nouveaux vaccins il faut essayer de travailler ensemble pour choisir un calendrier identique". Un énorme effort d’harmonisation a déjà été accompli en Europe, a estimé Michel Stoffel, vice-président et directeur Europe des affaires réglementaires de GSK. "Mais la question se pose au niveau mondial". Une autre piste évoquée consiste à raccourcir le long parcours de production, pour plus de réactivité, en améliorant les procédés de fabrication, mais aussi en modernisant les contrôles. "Un seul changement sur un vaccin va prendre 48 mois, en moyenne, pour être accepté par toutes les agences, a noté Michel Stoffel. Il faudrait diminuer les contrôles, sans compromettre la qualité des produits". Adapter les capacités de production à une demande mondiale accrue est d’autant plus difficile qu’il faut compter 5 à 10 ans pour obtenir les autorisations de construire une usine, a remarqué Michel Stoffel. "Quand on développe un nouveau vaccin il faut décider de construire une nouvelle usine en fin de phase 2, avant d’avoir les résultats sur l’efficacité et l’innocuité. La décision se prend sur des critères de présomption".  

Des vaccins indiens ou chinois en France ?

  L’efficacité et la sécurité doivent rester l’objectif premier, ce qui interdit actuellement pour la France de se fournir dans des pays gros producteurs, qui n’appliquent pas les mêmes normes de fabrication. "On n’a encore jamais vu de vaccins chinois ou indiens obtenir une autorisation en France, a affirmé Michel Stoffel. La priorité est d’avoir des produits de qualité. La question de l’innocuité joue un rôle primordial dans l’hésitation face à la vaccination".  Cela n’a pas empêché plusieurs participants d’envisager cette éventualité, dans le futur.  "Actuellement ces vaccins ne franchiraient pas les barrières européennes, a affirmé Géraldine Menin. Mais c’est une possibilité dans l’avenir". "Les plus gros fabricants de vaccins sont indiens, a rappelé Michael Pfleiderer, et je suis au courant d’accidents survenus avec des vaccins produits en Chine et en Inde. Mais ils vont jouer un rôle important dans l’avenir, y compris en Europe. Nous fournissons des vaccins à l’étranger. Il faut que le flux aille dans les deux sens". Les pratiques d’achats influent également beaucoup sur les risques de pénuries. Elles reposent le plus souvent sur des appels d’offre, qui se basent essentiellement sur les prix. Un seul vaccin est choisi, de sorte que s’il y a un souci de production, il risque d’y avoir pénurie. Par ailleurs, en cas de tension d’approvisionnement les laboratoires privilégient les pays où les prix de vente sont les plus élevés, au détriment de ceux, la France notamment, où ils sont les plus bas. "En Allemagne, où il n’y a pas cette tradition, cela a fait débat quand il a été question de faire un appel d’offre pour les vaccins contre la grippe, a observé Michael Pfleiderer. Certains disaient que l’on nous donne les vaccins les moins chers, mais pas les meilleurs".  

Bientôt le carnet électronique

  41 000 cas de rougeole, dont plus de la moitié en Ukraine, ont été recensés en Europe au cours des six premiers mois de 2018, faisant 37 morts. En France, un troisième décès a été enregistré en juillet 2018. "L’Europe est le continent où il y a le plus d’hésitation par rapport aux vaccins", a déclaré Giovanni Rezza. L’hiver dernier une épidémie de rougeole s’est déclarée à Bordeaux, qui a commencé chez les étudiants. "Les taux de couverture n’atteignent pas 80 % chez eux et la méfiance est plus importante chez les étudiants en santé, a souligné Geneviève Chêne. C’est un vrai problème car ces étudiants vont à l’hôpital pendant leurs stages". La mise en place d’un carnet de vaccination électronique pourrait constituer une opportunité pour améliorer les taux de couverture vaccinale. Au Danemark, toute la population est intégrée à ce système. "C’est très utile pour envoyer des rappels aux usagers, faire des recherches et sensibiliser le public, a souligné Kare Molbak (Statens Serum Institue, Danemark). Quand une baisse de la vaccination contre l’HPV a été constatée, la campagne Stop HPV a été lancée, avec la participation des médias sociaux et de Facebook, qui a permis d’augmenter de manière spectaculaire les taux de vaccination". En France, un carnet de vaccination électronique "intelligent", tel qu’il est déjà disponible sur le site MesVaccins.net, sera intégré au dossier médical partagé (DMP), développé au niveau national depuis le 6 novembre. "L’objectif de la DGS est de créer 10 millions de DMP par an et d’en avoir 40 millions en 2022, a déclaré Yvon Merlière, directeur du projet DMP à la Cnam. Aujourd’hui il en existe 2,3 millions. 5 000 sont créés chaque jour". Le carnet de vaccination complet avec le système expert de MesVaccins.net devrait y être intégré d’ici la fin du 1er trimestre 2019, espère-t-il. Pour Jean Louis Koeck, médecin biologiste (Ecole du Val de Grâce), responsable du site MesVaccins.net, l’idée est de personnaliser l’information sur les vaccins. "Les campagnes très larges ne marchent pas, a-t-il constaté. Le carnet électronique permet de délivrer des messages personnalisés en fonction des recommandations officielles et du profil de chaque patient". Une mission d'information sur les pénuries de médicaments a été lancée fin juin par le Sénat, dont les propositions ont été rendues publique en septembre. Parmi elles, l’activation d’achats groupés de vaccins essentiels dans l'Union européenne, afin de sécuriser l’approvisionnement. Signe de la volonté politique des pays européens, une action conjointe (European Joint Action on Vaccination) a été mise en place en septembre, coordonnée par l'Inserm et le ministère de la Santé français, afin d’améliorer la couverture vaccinale. Parmi les cinq thématiques retenues figure la gestion globalisée des stocks de vaccins, avec un état des lieux actualisés des besoins et des réserves de chaque pays, pour éviter les pénuries. Cette action conjointe devrait être remplacée d’ici trois ans par une plateforme coopérative européenne.

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