Avec sa volonté d’"inciter les professionnels de santé à acquérir un réflexe iatrogénique, à réviser régulièrement les ordonnances des personnes âgées et à déprescrire les traitements inappropriés chez ces personnes chaque fois que cela sera possible", l’Assurance maladie s’empare de la déprescription dans son rapport Charges et Produits 2024.
La déprescription est dans l’air du temps mais "il n’existe pas de définition consensuelle", explique Manon Vrancken, pharmacienne à l’Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omédit) Grand-Est. Apparu en 2003, le terme peut être défini aujourd’hui comme "le processus planifié et supervisé par un professionnel de santé, de retrait de médicaments dont les risques potentiels sont supérieurs aux bénéfices attendus, en vue d’une réduction de la polymédication et de ses conséquences". "Certains cliniciens parlent de sobriété médicamenteuse", explique Jean-Pascal Fournier, professeur en médecine générale et enseignant chercheur à Nantes (Loire-Atlantique), membre du Collège nationale des généralistes enseignants (CNGE). "C’est une partie de la révision de l’ordonnance, de l’optimisation thérapeutique", complète le Pr Jean-Baptiste Beuscart, gériatre au CHU de Lille (Nord) et membre de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG).
Par où commencer ?
"Sur le papier, cette idée de déprescrire parait particulièrement séduisante (…) néanmoins, l’appliquer en consultation médicale n’est pas toujours facile", avertit l’Omédit Grand Est, car des composantes psychologiques, sociologiques, comportementales… s’en mêlent.
En pratique, "il n’y a pas de cadre réglementaire, les textes sont très pauvres et les recommandations, à l’échelle française, trop rares. La thématique vient plutôt de la clinique, initialement, et du champ de la recherche", résume le Pr Fournier. Tout juste la Haute Autorité de santé (HAS) s’est-elle fendue, en 2022, d’un arbre décisionnel de déprescription des IPP dont la moitié des usages ne serait pas justifiée.
Déprescrire est "une stratégie, selon le Pr Beuscart. Si vous voulez mettre en place la déprescription, les études montrent qu’il faut viser une catégorie de molécules d’intérêt. Il faut mettre en place un protocole pour les détecter, d’où l’intérêt de travailler en exercice coordonné pour se rencontrer et en discuter. Puis appliquer un algorithme et surtout, après, il faut surveiller."
C’est un processus en plusieurs étapes, décrit le Pr Fournier : réaliser un bilan de médication - une mission partagée avec le pharmacien - ; identifier et prioriser les médicaments cibles (benzodiazépines, IPP, médicaments anticholinergiques…) ; choisir avec le patient les modalités de modifications thérapeutiques dans un processus de décision partagée ; réévaluer fréquemment ; faire un retour auprès des autres professionnels de santé. "Pour les patients, c’est au médecin d’initier...
la conversation sur la déprescription. Et aborder les effets indésirables potentiels peut être une bonne porte d’entrée. De la documentation développée spécialement pour eux existe", ajoute-t-il.
Embarquer soignants et patients
Pour aider à sauter le pas (pourquoi, quand, comment, etc.), développer l'intérêt pour cette démarche et la pérenniser, l’Omédit Grand Est en partenariat avec l’URPS médecins libéraux du Grand Est met à disposition des professionnels de santé de la région, sur demande depuis 2022, des outils concrets élaborés en collaboration avec des usagers du système de santé et des spécialistes des sciences humaines et sociales. Le praticien français pourra aussi s’appuyer sur des outils mis en place à l’étranger, notamment le site de référence canadien deprescribing.org qui présente, en libre accès, des algorithmes de déprescription pour de nombreuses classes thérapeutiques. Ou le site medstopper.com.
"Tout l’enjeu n’est pas tant sur l’outil, c’est d’y aller en équipe, à plusieurs, avec un discours homogène", explique le Pr Beuscart. Car si les patients eux-mêmes peuvent être demandeurs ou acceptent la déprescription, il y a parfois des barrières et des réticences dont il faut tenir compte. "Certains patients ont peur d’une altération de leur état de santé. Ils se demandent aussi pourquoi arrêter maintenant alors qu’ils prennent le médicament depuis 20 ans, poursuit le gériatre. Et puis, pour les personnes âgées, c’est le signe que le corps a véritablement vieilli, c’est un moment difficile pour eux." "Mais il faut dédramatiser la déprescription", insiste le Pr Fournier.
L’Omédit Grand Est propose, dans ses outils, une ordonnance de déprescription. "L’écrit est vecteur de symboliques, matérialise la décision thérapeutique faite en concertation, et qui peut donc être l’arrêt ou la réduction d’un médicament", explique Manon Vrancken. Pour le Pr Beuscart entre en jeu un autre facteur : "Les patients nous font confiance si on trouve les mots justes."
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