Risque suicidaire : la détection des signes précoces doit être considérablement renforcée
"En 2021, près d’un jeune sur cinq aurait traversé un épisode dépressif, un chiffre en augmentation de 80 % par rapport à 2017", alertaient en octobre l’Unicef France et seize associations. Un renforcement de la formation des professionnels de premier recours s’impose. Entretien avec le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA) et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et en santé des populations (CESP).
Egora : Que sait-on de la détérioration de la santé mentale chez les enfants et adolescents ?
Pr Bruno Falissard : Si l’on prend des données « dures » comme le taux de suicide des 15-25 ans, on observe une diminution de 40 % entre 2002 et 2018. Cependant, nous n’avons pas de données depuis le Covid, qui constitue un stimulus anxiogène qui perdure. Le Covid a eu un impact spectaculaire sur les passages aux urgences psychiatriques d’adolescentes, en particulier pour risque suicidaire. Il a acutisé le sentiment des jeunes d’être dans un monde dur.
Comment s’expliquerait cette différence entre adolescents garçons et filles ?
Un travail a montré que dans les sociétés où #MeToo est plus présent, les jeunes femmes expriment davantage de détresse émotionnelle. Ce mouvement est indispensable pour changer la société, mais il conscientise l’existence de violences sexuelles, ce qui est source de stress. Peut-être que cela ira mieux dans cinq ou dix ans quand il y aura moins de violences sexistes et sexuelles.
D’autre part, une fille peut tourner contre elle-même sa souffrance avec des automutilations, des comportements de restriction alimentaire ou de boulimie, alors que le garçon va l’externaliser. Le sexe-ratio de l’anorexie mentale est de cinq à dix femmes pour un homme ; c’est l’inverse pour les addictions. Le sexe-ratio de la dépression est égal à 1 chez l’enfant et passe dès l’adolescence à 2 ou 3 en défaveur des femmes.
Comment expliquer cette augmentation de la demande de soins ?
Avant, ces questions étaient taboues. Aujourd’hui, de nombreux parents sont informés et consultent parce qu’ils se rendent compte que leur enfant ne va pas bien. Cependant, il est difficile de dire que la société est plus maltraitante qu’avant. Des facteurs de risque majeurs de psychopathologie que sont les violences intrafamiliales ou les abus sexuels, on en parle plus, et de ce fait vraisemblablement, il y en a moins. En parallèle, il y a une inquiétude autour de l’avenir, de l’écologie, de la pression scolaire, du chômage…
Qui peut repérer les jeunes ayant besoin d’aide : personnel scolaire, assistante sociale, médecin généraliste, pédiatre… ?
Il y a aujourd’hui une première ligne mais ces professionnels ne sont pas forcément bien formés. Si l’on veut une prévention primaire et secondaire digne de ce nom, une politique de santé mentale efficace, il faut une montée en gamme considérable de cette première ligne.
Quel peut être le rôle du médecin généraliste pour orienter les patients ?
Il y a un quadrillage territorial par les centres médico-psychologiques (CMP), mais en pratique, certaines régions sont largement sous-dotées. Le dispositif « MonPsy », qui met en lien un médecin généraliste et un psychologue, est au mieux une rustine, au pire dangereux, notamment s’il y a un risque psychiatrique.
Il faut un système de soin organisé, avec des niveaux qualitatifs de prise en charge. Un niveau 1 et un niveau 1 bis : Maisons des 1 000 premiers jours, Maisons de l’enfance de la famille, Maisons des adolescents. Des lieux d’accueil avec assistante sociale, psychologue, etc., offrant un premier accès aux soins spécialisés mais démédicalisés, les pédopsychiatres n’étant que consultants ou en supervision. Les centres médico-psychologiques de pédopsychiatrie seraient au niveau 2. C’est une révolution professionnelle qui doit être acceptée par tout le monde.
Suicide : la détérioration de la situation chez les jeunes se confirme
En 2021, il y a eu une augmentation importante des pensées suicidaires et des tentatives de suicide au cours de la vie chez les 18-24 ans par rapport à 2014. Ainsi, selon le Baromètre de Santé publique France 2021, 7,2% des 18-24 ans ont eu des pensées suicidaires en 2021, soit plus de deux fois plus qu’en 2014 chez les 18-24 ans (3,3%). Sur l’ensemble de la vie, les tentatives de suicide ont aussi augmenté, de 50% par rapport à 2014, passant de 6,1% à 9,2% en 2021 ; et celles déclarées au cours des 12 derniers mois se sont, elles, accrues de plus de 60%, passant de 0,7% en 2017 à 1,1% en 2021.
Les jeunes femmes apparaissent particulièrement à risque avec une prévalence des pensées suicidaires et des tentatives de suicide qui monte respectivement à 9,4% et 2% chez les femmes de 18-24 ans ; alors que la proportion des tentatives de suicide au cours de la vie entière atteint 12,8%.
Le Pr Falissard déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles (consultance en méthodologie de recherche clinique) pour la plupart des firmes pharmaceutiques.
Au sommaire de ce dossier :
- Écrans : aboutir à un usage raisonné
- Céphalées de l’enfant : connaitre les "drapeaux rouges"
- Infections à streptocoque A : privilégier l’amoxicilline
- Création d’une Société française du TDAH pour tordre le cou aux préjugés
- Prématurité : les risques sont multiples même en cas de prématurité modérée
Références :
D’après un entretien avec le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA) et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et en santé des populations (CESP).
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