Des remplaçants recrutés pour six mois : la nouvelle idée de la Saône-et-Loire pour amener des médecins dans ses déserts

31/03/2022 Par Louise Claereboudt
Démographie médicale

Après avoir ouvert le premier centre de santé départemental de l’Hexagone, début 2018, la Saône-et-Loire s’apprête à être une fois de plus précurseur dans l’organisation des soins. Son président, André Accary, souhaite en effet faire venir des médecins remplaçants pour une durée de six mois sur son territoire. Ces derniers ne remplaceront pas un praticien déjà installé, mais renforceront temporairement l’offre médicale de proximité, en salariat ou en libéral. Objectif : les séduire pour qu’ils restent à l’issue de cette mission. Plus rien n’arrête la Saône-et-Loire. En 2018, le territoire le plus peuplé de Bourgogne-Franche-Comté – avec près de 550.000 habitants – ouvrait le premier centre de santé départemental de l’Hexagone. Une initiative prise après plusieurs années de réflexion par le président du département, André Accary, inquiet de voir les déserts médicaux gagner du terrain sans qu’aucune solution prise au plus haut sommet de l’Etat ne parvienne à attirer des praticiens. Le président du département avait ainsi décidé de salarier des médecins aux 35 heures, sans attendre le feu vert des institutions. A l’époque, en effet, les centres de santé ne relevaient pas de la compétence des départements. Qu’importe, il y avait urgence : le département allait "droit au mur" pour reprendre les mots de son président. "Tout cela était prévisible partout en France", assure-t-il aujourd’hui, déplorant "qu’on n’ait pas pris le problème à bras-le-corps", ce qui engendre des situations parfois "très difficiles" pour les habitants.  Après quatre années de fonctionnement, 70 médecins sont désormais embauchés par le département (dont une soixantaine de généralistes), le double de ce qui était prévu initialement. Ils se répartissent sur le territoire au sein des six centres de santé et de la vingtaine d’antennes existantes. Le dispositif est par ailleurs depuis en règle puisque la loi permet désormais aux départements de créer des centres de santé dans certaines conditions. Face au succès de l’expérimentation, d’autres départements, comme l’Ain ou encore les Alpes-Maritimes, ont emboîté le pas à la Saône-et-Loire. Face à cette concurrence "rude", "il fallait continuer à imaginer, à innover", confie André Accary. L’an dernier, la Saône-et-Loire a ainsi lancé une nouvelle opération séduction. Cette fois, les médecins spécialistes étaient ciblés. Ils sont sept à être arrivés dans le département pour accroître l’offre de soins pluridisciplinaire (cardiologie, dermatologie…).

  Parfaire l’offre de médecine générale Mais André Accary ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il regrette même "de ne pas aller assez vite" au vu de l’urgence. En parallèle du recrutement de spécialistes, il veut "parfaire" l’offre de médecine générale. Car bien que son centre de santé ait fait venir de nouveaux praticiens, "il en manque encore", déplore-t-il, sans pour autant se laisser abattre. "Il faut que j’arrive à trouver des candidats car on a des départs massifs à certains endroits, des médecins qui décident quasiment du jour au lendemain d’arrêter", explique-t-il. C’est le cas dans la Bresse, territoire où le président du département veut ouvrir d’ici à la fin de l’année 2022 son septième centre de santé, à Louhans. La nouvelle idée en date du président pour accroître son attractivité ? Faire venir 5 jeunes remplaçants qui resteront six mois dans le département. Ces derniers ne remplaceront pas des médecins déjà installés, mais viendront étoffer l’offre médicale sur le territoire. Jusqu’ici les remplaçants étaient contraints, pour exercer, de remplacer un confrère. Mais cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une expérimentation article 51 (introduit dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2018) qui permet de déroger au code de la santé pour mettre en place de nouvelles organisations de soins. Une occasion en or pour André Accary, qui affirme avoir "sauté dessus". L’expérimentation en Saône-et-Loire, dont la durée a été fixée à quatre ans, devrait ainsi être lancée dans les prochaines semaines. Les médecins sont attendus pour la fin du mois d’avril, avance le président du département qui attend toutefois les autorisations de l’Agence régionale de santé (ARS) et de la Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM). L’élu apparaît...

 de toute façon déterminé à mener à terme ce projet : "Vous savez, le centre de santé est devenu légal que depuis peu", plaisante-t-il, ajoutant toutefois : "L’idéal serait quand même que je puisse obtenir l’autorisation car derrière il y a une question de responsabilité." Concrètement, sur ces cinq jeunes médecins remplaçants qui débarqueront, trois seront salariés par le département et exerceront au centre de santé de Saône-et-Loire, théoriquement dans le futur site de Louhans. En attendant l’ouverture de ce septième centre, ils travailleront dans des antennes, là où la population a besoin d’eux - à Chalon ou Mâcon par exemple - qui offrent des cabinets "opérationnels et confortables" et une assistance administrative leur permettant de ne faire "que ce pourquoi ils ont été formés", "sans les inconvénients", fait valoir André Accary. Les deux autres jeunes rejoindront la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Marcigny, commune de moins de 2.000 habitants, qui a perdu deux généralistes en quelques mois. Ils renforceront une équipe de deux autres praticiens. Ces jeunes seront rémunérés à l’acte, comme leurs confrères libéraux, tandis que les trois salariés seront payés comme les 70 autres qui ont rejoint le centre de santé de Saône-et-Loire depuis 2018, sur la base des rémunérations de la fonction publique hospitalière (de 4.000 à 6.000 euros selon l'expérience).   Tester un territoire Pour mener à bien cette expérimentation ambitieuse, le département a travaillé avec la startup MedSens, nouvellement née, qui propose aux praticiens des missions exploratoires dans les territoires en sous densité médicale. Guillaume Sagnes, manager de l’entreprise, travaille avec André Accary sur le projet depuis plusieurs années. Ils avaient déjà collaboré en 2012 lors de la première initiative lancée par le département pour lutter contre la désertification médicale, baptisée à l’époque installeunmedecin.com.

Cette startup a été créée après que ses fondateurs ont fait le constat que "les médecins ont désormais besoin de découvrir un territoire avant de s’y installer, de partir en groupe, d’exercer à plusieurs, et de pouvoir se projet dans une vie personnelle", explique Guillaume Sagnes. Elle envoie ainsi des petits groupes de praticiens découvrir un désert médical durant quelques mois (cinq à six mois) pour renforcer un médecin sur place qui se trouve à la veille de son départ à la retraite ou est submergé, "parfois au bord du burn out". L’expérimentation menée dans le cadre de l’article 51 s’affranchit de cette contrainte de remplacement d’un médecin installé...

"Aujourd’hui, un territoire dépourvu de médecin se retrouve face à problème administratif, juridique et légal puisqu’il n’a pas de solution, mis à part salarier un médecin ou trouver un médecin qui prêt à s’installer en libéral. Cette expérimentation va permettre d’attribuer un numéro Adeli à la collectivité territoriale pour permettre l’envoi de remplaçants", détaille celui qui est également adjoint au maire de la Chapelle de la Tour (Isère). Concrètement, les missions de MedSens sont d’imaginer les "explorations", de les construire autour d’un projet de santé territorial, de trouver les volontaires et leur offrir la possibilité de "se projeter sans qu’ils ne soient isolés". Pour cela, l’entreprise s’occupe de chercher un logement – les jeunes qui devraient arriver à la fin du mois d’avril seront en colocation, dont la charge reviendra à la ville qui les accueillit, mais aussi d’organiser des activités (randonnées, découvertes, loisirs, etc.). "C’est une nouvelle manière d’amener des médecins" dans des déserts, résume Guillaume Sagnes. "Ça leur permet de tester le territoire."   Pousser à l’installation En faisant découvrir son territoire à ces jeunes médecins durant six mois, André Accary espère les voir, à terme, s’installer. "On constate que 80% des médecins qui font des remplacements restent. Je mise là-dessus. Ce n’est pas gagné, mais on va tout faire pour", déclare le président du département, éternel optimiste. Les cinq médecins remplaçants n’ont pas encore été officiellement sélectionnés, les autorisations n’ayant pas encore été accordées, mais Guillaume Sagnes assure que des jeunes praticiens se sont déjà montrés intéressés par le projet. Pour cet accompagnement, le département n’a, pour le moment, pas investi "grand-chose", assure son président. "Cette prestation va réellement se payer que si les médecins restent au-delà des six mois." André Accary l’avait annoncé par ailleurs, il fermera des antennes du centre de santé départemental si de nouveaux médecins venaient à s’installer à terme dans des zones manquant de praticiens. Depuis 2018, il a déjà fermé des antennes à trois reprises. "J’ai voulu un dispositif complémentaire pour redonner un peu plus de rythme et d’aller vers le recrutement de médecins libéraux", explique-t-il, ne pas entrer "en concurrence" avec ces derniers.

Ce dernier s’oppose d’ailleurs fermement à l’obligation à l’installation, brandie par de multiples candidats à l’élection présidentielle pour lutter contre la désertification médicale. "Certains pensent que la meilleure des idées, c’est de rendre obligatoire l’installation des médecins. Quand on n’a pas d’imagination, on va vers des choses simples. Ça n’aurait à mon avis aucun effet, sûrement pas dans l’attractivité des médecins." "L’objectif est que, sur l’ensemble du territoire départemental, l’on arrive à résoudre toutes les problématiques en termes de couverture médicale. Cela va prendre un peu de temps. On est à 70 médecins salariés aujourd’hui, mais ça ne suffit pas. Il en faudrait sans doute près de 200. Le jour où la situation sera de nouveau satisfaisante, il n’y aura plus de raison de garder le centre de santé départemental."

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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