Ce texte a été écrit par le Dr Jean Méheut Ferron, médecin généraliste à Angerville-la-martel (Normandie). "J’implore Oliver Véran, ministre, Apollon, médecin, Asclépios, Hygie et Panacée, tous les dieux et les déesses, les prenant à témoin que permettre aux médecins généralistes de prescrire en toute simplicité du midazolam n’est pas toucher la boîte de Pandore, cette corne d’abondance de nos désenchantements. Donner aux médecins généralistes, qui marchent au pas de leurs patients, de permettre à ceux-ci de dormir la nuit lorsque la vie s’en va ne nécessite pas une collégialité qui entraverait un système de santé déjà trop occupé. Aujourd’hui, la prescription de diazépam, et maintenant de clonazépam, ne permet que des sédations avec un mauvais sommeil nocturne pour ceux qui l’ont perdu, ou des sédations profondes et continues maintenues jusqu’au décès qui ne disent pas leur nom. Les médecins généralistes veulent, comme Hippocrate, diriger le régime des malades à leur avantage, avec la grandeur de la simplicité. Le respect de la vie passe par le respect de son rythme, avec des nuits et des jours, et mourir à domicile entouré des siens est une inestimable source de paix. Agnès Buzyn avait annoncé, le 10 février dernier, un délai de quatre mois avant la promulgation d’un règlement. Cette adresse va dans ce sens. Bien sûr, l’Europe devra reconstituer des stocks stratégiques de cette précieuse benzodiazépine… Je n’avais pas prévu de contribuer de la sorte à l’exercice de la médecine générale, quand j’avais envoyé à Egora cet automne une description de mon « gymnase ». Au dernier moment, cette fusée s’est vue dotée d’un premier étage carburant au midazolam. Lancement réussi. Aujourd’hui, les espaces sidéraux sont encombrés de météorites du nom de SARS-CoV-2, nous allons en reparler.
J’ai ouvert ce cabinet médical en janvier 2016, je l’ai réalisé sans aide. C’est le fruit sans compromis de mon expérience et d’une réflexion entamée fin 2008. L’ergonomie poussée permet un travail plus approfondi... avec l’appui d’une infirmière salariée. Deux pas pour passer de la position assise au bureau à la place où examiner. Un patient qui se retrouve naturellement assis dos tourné, dans les bonnes conditions pour la prise de température auriculaire, l’examen des chaînes ganglionnaires cervicales et de la thyroïde, l’auscultation pulmonaire, la percussion des fosses lombaires… Un quart de tour pour atteindre l’échographe, outil d’auscultation du 21e siècle que Laënnec se serait approprié depuis longtemps, nécessairement disponible à côté de chaque divan d’examen. Un demi-tour pour accéder au chariot de soins, qui transcende l’espace clinique. Sur son tiroir informatique, dans chaque salle, un appareil ECG, qui communique dans les deux sens avec le logiciel de gestion du cabinet médical (Médistory). Chaque chariot renferme notamment des bandelettes test de CRP, troponine, D dimères. Chaque salle de consultation comprend un fauteuil et une balance bariatriques.
Les box attenant à chaque salle permettent des actes courts, la pose et dépose de holters rythmiques (j’en ai deux), la révision d’une plaie… et l’augmentation rapide de la capacité d’accueil en cas de nécessité urgente. Ils ont aussi été destinés à une éventuelle «préconsultation» par l’infirmière au cas où un médecin exercerait dans une seule salle. Aujourd’hui, ils sont dédiés à l’examen des patients suspects de Covid 19. Une organisation en binôme Nous travaillons, l’infirmière et moi sur deux salles. Elles communiquent par portes coulissantes. Cette infirmière est pleinement utile : accueil du patient, création du dossier si besoin, recueil de débrouillage des ATCD (grille) et des motifs de consultation, prise de constantes, aide au déshabillage pour les personnes à mobilité réduite, vaccinations… Le gain clinique est immense. J’arrive souvent auprès d’une personne prête à être examinée, avec la transmission orale de l’infirmière. La reprise de l’interrogatoire est donc plus rapide. Évidemment, les plaies chroniques sont systématiquement revues. Si mon temps de consultation s’étire dans une salle, l’infirmière reste avec le patient dans l’autre. La troisième salle sera équipée pour l’interne qui doit... , en premier stage, pouvoir faire à son rythme ses consultations qu’il présentera ensuite, sans retarder la file de travail. Même seul, je travaille sur deux bureaux. Sans infirmière, le gain de temps est nettement moins important, mais néanmoins, cela permet de mieux examiner et, en cette période de confinement, je fais rentrer un patient dans une salle avant que le précédent ne sorte de l’autre. Et tous les patients sont invités à se laver les mains en arrivant et en partant. Lorsque je fais (peu) de visites l’après-midi, l’infirmière prend (ou essaie de prendre) des rendez-vous auprès de spécialistes, intègre les examens de labo, gère les INR, nettoie les chariots de soins, surveille les dates de péremption. Les fondations de cette organisation sont : - une informatique performante et maîtrisée ; - un secrétariat faisant tous les pointages et toutes les tâches administratives hors celles, déjà très importantes, qui incombent au médecin (courriers, certificats) ; - une architecture des locaux très fonctionnelle. Alors, seulement, on peut, à mon avis, envisager de travailler avec une infirmière dédiée à la consultation.
Parlons chiffres La masse salariale de celle-ci approche des 35.000 € et, au doigt mouillé, j’avais évalué qu’elle me permettait de travailler pour 20 000 € supplémentaires. Autrement dit, son apport me coûterait environ 1.000 € par mois. L’amélioration de mon confort de travail est inestimable, à la fois pour une clinique plus performante et par le confort psychologique apporté. Mais si l’architecture des locaux ne s’y prête pas, Je ne suis pas sûr que cela vaille la peine. [Aujourd’hui, du fait de mon interdiction d’exercice de plus de trois mois dans le cadre de mon contrôle judiciaire pour administration de midazolam, nous avons procédé à la rupture conventionnelle du contrat qui nous liait, en attendant que l’activité ait suffisamment repris]. Globalement, pour un chiffre d’affaires, Rosp comprise, d’environ 300.000 €, j’ai 70 % de charges, donc trop pour pouvoir m’associer. Le prix moyen de l’ensemble des actes faits au cabinet médical – et non en visite à domicile – hors Rosp, est de 27 €. Il est évident que ces 2 euros apportés par la CCAM ne sont pas grand-chose (20 000 € pour 8500 actes) en regard des coûts liés à la mise en œuvre du matériel diagnostique. Et si on me dit que l’on va mettre tout ça dans des services d’urgences, je me demande à quoi les médecins généralistes vont bientôt servir, et à quoi ressembleront vraiment les services d’urgences. Les pharmaciens sont valorisés pour les Trod et la prise en charge des cystites, alors que l’auscultation échographique n’est pas valorisée... Cela rend particulièrement douloureuse la taxe à la valeur que nous ajoutons à des consultations de 25€ ! Il ne faut pas parler ici de technique à peine émergente : chez nos confrères des pays voisins, l’échographie est plus présente...
en soins primaires, parce que reconnue financièrement… Les bonnes conditions d’approfondissement de notre travail de généraliste, dans un contexte où nous nous raréfions, sont à mon avis plus urgentes que la délégation de tâches. Évitons que la médecine ne s’ennuie. L’avenir, auquel nous devrions travailler maintenant, est d’inclure des manipulateurs radios qualifiés en échographie, à raison d’un pour 5 à 10 000 patients, pour qu’une éventuelle échographie puisse être faite pendant la consultation. Ils formeront, en même temps, les médecins à l’auscultation échographique. Autrement dit, plusieurs salles par médecin (trois avec l’interne), une infirmière pour un médecin, un échographe pour ausculter à côté de chaque divan (j’utilise un portable pour ausculter dans les box), et penser que rassembler plusieurs professions sous le même toit, c’est rassembler des publics différents, avec des risques potentiellement explosifs en période de pandémie. Entre 35 et 45 consultations par jour En temps « normal », je commence mes consultations à 7 h du lundi au samedi, et en semaine, les derniers rendez-vous sont parfois pris après 21 h, pour 9 500 à 10 000 actes – que je n’ai pas fait, ayant été interdit d’exercer. Je faisais entre 35 et 45 consultations par jour ; une vingtaine depuis le confinement, avec très peu de téléconsultations… Nous voyons peu de cas de coronavirus dans ma région, et l’architecture des locaux, comme l’organisation de mon travail, me permettent de recevoir.
En 2019, je concluais que le travail est une valeur en soi. De fait, à l’occasion de ma mise en examen, j’ai reçu de mes patients un très fort soutien : sans le savoir, j’avais placé mon capital travail chez eux, et ils me l’ont rendu. Un bon révolutionnaire doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau, écrivait le président Mao. Le travail est bien une valeur en soi, et une valeur révolutionnaire – et hippocratique – qui nous met dans le peuple comme un poisson dans l’eau. À la fin des années 60, pour partir en vacances, mon père, médecin de campagne, passait une annonce dans un journal médical pour chercher un remplaçant. Il reçut une fois plus de 40 réponses, à une époque où les accouchements à domicile étaient fréquents. Le président du CDOM 76 m’a dit avoir envoyé 70 à 80 courriels pour me trouver un remplaçant… sans succès. La liberté d’installation – j’y suis favorable – n’est plus qu’un mot. Le désir d’entreprendre sera toujours un moteur. Les conditions de ce désir ont été érodées, le désir avec. C’est grâce à beaucoup de travail que la France des 30 glorieuses s’est développée. Un new deal aujourd’hui est à espérer, quel qu’il soit, mais toujours avec beaucoup de travail. Ai-je rêvé ? N’ai-je pas écrit une hymne à la médecine libérale ?"
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