Médecin du travail poursuivi par un employeur : "On nous emmerde pour l'exemple"
Ses voitures ont été saisies, son compte bancaire bloqué. Il a dépensé plus de 15 000 euros en frais de justice, dans une affaire qui dure depuis six ans. Mais le Dr Dominique Huez, médecin du travail poursuivi pour avoir fait le lien entre la dépression d'un employé et ses conditions de travail, ne lâche rien et a porté son cas jusque devant le Conseil d'Etat. Ce jeudi, un collectif s'est rassemblé pour demander l'abandon des poursuites.
Depuis le mois de janvier, l'huissier est passé trois fois au domicile du Dr Dominique Huez. Résultat : ses deux véhicules ont été saisis, ainsi que son compte épargne. Montant total : 30 000 euros. "On nous emmerde pour l'exemple, assure le médecin. Ils nous font des ennuis pour effrayer les confrères." Les "ennuis" du Dr Dominique Huez ont commencé à la fin de l'année 2011. A l'époque, ce médecin du travail, aujourd'hui retraité, est employé par la société Orys sur le site nucléaire EDF de Chinon (Inde-et-Loire). Un jour de décembre, il reçoit un employé. L'homme, qui travaille habituellement sur un autre site EDF, explique être victime de harcèlement et de maltraitance de la part de sa hiérarchie depuis qu'il a refusé de travailler sur un bâtiment exposé à l'amiante. Le médecin diagnostique une dépression.
"Les médecins doivent se contenter de décrire une atteinte morbide"
"Comme spécialiste de psychopathologie du travail, je peux attester que l'enchaînement de pratiques 'maltraitantes de son entreprise' ne peut qu'aggraver de façon délétère (…) les conséquences de sa pathologie psychopathologique post-traumatique", écrit le médecin dans son certificat. Un document qui vaudra au Dr Huez une plainte de l'employeur devant l'Ordre des médecins. "Si le médecin n'est pas témoin direct, il ne peut rien affirmer", prévoit l'Ordre au sujet des certificats médicaux. Et ajoute : "Si un médecin du travail affirme que le salarié est victime de harcèlement, par exemple, il doit être en mesure de le constater. Sinon, il ne peut que rapporter le ressenti de son patient, constater un état dépressif. En aucun cas, il ne peut affirmer que cet état est lié aux conditions de travail." "L'Ordre nous interdit de nommer l'origine professionnelle des pathologies, déplore le Dr Huez. Les médecins du travail ne peuvent pas faire de diagnostic étiologique, et doivent se contenter de décrire une atteinte morbide." En appel, la Chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins a confirmé la condamnation du médecin. "Le Dr Huez (…) se prononce sur le bien-fondé d'un droit de retrait exercé huit mois auparavant dans des conditions, et sur un site, qu'il ne connaissait pas ; (…) il laisse entendre que la société ne respecterait pas ses obligations en termes de protection de la santé des salariés, sans préciser les éléments qui le conduisent à une telle suspicion, et qu'il aurait été à même de constater", indique notamment l'Ordre dans sa décision, qui condamne le Dr Huez à une amende de 1 000 euros. Une amende "au titre des frais engagés par Orys", précise le médecin. "Soi-disant 'pour rétablir l'équité'. Je rappelle juste que la société Orys pèse 80 millions de chiffre d'affaires."
15.000 euros de frais de justice
Le Dr Huez, estimant qu'il n'y avait pas d'urgence à payer l'amende, a indiqué à l'huissier venu réclamer le paiement qu'il réglerait plus tard. D'où la saisie des véhicules et du compte épargne du médecin. "Une saisie totalement disproportionnée !", dénonce le médecin retraité, qui a d'ailleurs déjà dépensé près de 15 000 euros en frais de justice dans cette affaire. Il a décidé de se pourvoir devant le juge d'exécution des peines de Tours, et une audience a été fixée au 23 mai. De son côté, le patient a porté son affaire devant les Prud'hommes, a produit le certificat du médecin, et a obtenu gain de cause. Rassemblés devant la permanence du suppléant de Marisol Touraine dans l'Indre-et-Loire, les soutiens du médecin réclament l'abandon des poursuites. "Nous demandons à Marisol Touraine de prendre position sur ce sujet. Même si je ne me fais pas beaucoup d'illusions…", glisse le Dr Dominique Huez. "Pourtant, on sait bien qu'elle est consciente du problème. En réponse à une question du sénateur Pierre Laurent, Marisol Touraine a admis publiquement au Sénat qu'il y avait peut-être un problème de secret médical", rappelle le médecin. "Si elle reconnaît une atteinte au secret médical, alors se pose la question du droit à la santé. Ce sujet va la poursuivre, comme l'affaire du sang contaminé a poursuivi Laurent Fabius." Le sujet serait-il d'égale gravité ? "Pardon, mais pour moi, c'est encore plus grave que l'affaire du sang contaminé", tranche le médecin.
Impossible de se défendre, sans porter atteinte au secret médical
Le cas du Dr Huez n'est pas isolé. Selon lui, plus d'une centaine de plaintes seraient déposées par les employeurs devant l'Ordre chaque année. D'ailleurs, cinq recours sont actuellement examinés par le Conseil d'Etat contre la recevabilité de ces plaintes, dont celui du Dr Huez. Pour ces médecins, impossible de se défendre correctement sans porter atteinte au secret médical. "Il peut maintenant y avoir deux cas de figure, anticipe le médecin. Soit le Conseil d'Etat nous donne raison, reconnaît qu'il est essentiel de préserver le secret médical et juge que les plaintes des employeurs ne sont pas recevables ; soit le Conseil d'Etat juge qu'elles sont recevables, et alors le secret médical est bafoué. Il n'y a pas d'exercice médical possible sans secret médical." La décision du Conseil d'Etat ne sera pas connue avant 6 à 18 mois.
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