Observateur et chroniqueur privilégié du monde de la santé, Philippe Rollandin* vient de publier un recueil de ses chroniques "Santé 2012-2017" (Edition du Net), qui forment une analyse panoramique du quinquennat de François Hollande. Son verdict est sans appel : en santé, il ne s'est rien passé. Mais cet immobilisme est stratégique, le président pariant sur le calme à l'hôpital pour pouvoir amorcer son tournant social-démocrate, qui allait, lui, mettre le feu dans le pays et dans le parti socialiste.
Egora : Durant cinq ans, vous avez été à travers vos chroniques, un observateur privilégié de la politique de santé menée par les gouvernements de gauche. Quel est selon vous, le principal fait marquant du quinquennat qui s'achève ? Philippe Rollandin. Le fait marquant de ces 5 ans, c'est que Marisol Touraine s'est parfaitement acquittée de la commande de François Hollande : ne rien faire qui puisse heurter le domaine de la santé, et particulièrement le secteur hospitalier, un domaine socialement sensible, prêt à s'enflammer à partir de n'importe quel petit incident ou projet de réforme mineur. C'est un secteur qui bouge beaucoup et qui est prêt à partir dans des mouvements de protestation, quelles que soient les catégories de personnels. Tous les gouvernements, et ceux de gauche en particulier, sont très sensibles à ce que cela ne bouge pas du côté des internes ou des infirmières. Parce qu'il s'agit d'un vivier électoral ? C'est un vivier électoral et un secteur fortement syndiqué à gauche. Les gouvernements, et particulièrement s'ils sont à gauche, ne veulent pas trop y toucher. Depuis les 30 dernières années, on a vu que sortir d'un conflit hospitalier généralement soutenu par une opinion sensible au triste sort des étudiants en médecine, des internes et des infirmiers, cela prend du temps et cela coute cher politiquement et économiquement. Il faut racheter à prix d'or le retour à la paix sociale. C'est ce que j'appelle le syndrome du tube de dentifrice : il est facile de faire sortir la pâte du tube, mais il faut se lever de bonne heure pour la faire re rentrer. Il semblerait, selon les derniers sondages, que ce vivier de gauche soit de plus en plus sensible aux idées du front national… Comme dans l'opinion générale, il y a un certain basculement vers l'extrême droite. Mais cela reste toujours un bastion de gauche que le gouvernement ne souhaite pas affronter. Pourquoi cette commande de François Hollande de ne rien faire qui puisse réveiller la bête endormie ? Parce que le Président avait une priorité absolue : réussir le virage social-démocrate qu'il a enclenché un beau jour de 2013, après avoir déclaré que "Mon ennemie, c'est la finance". Evidemment, comme tout le monde l'a constaté, ce basculement qui est intervenu sans prévenir, a fait beaucoup bouger, a provoqué de remous au sein même de la majorité et du gouvernement, cela a donné lieu à la constitution des frondeurs. Et cela a obligé le gouvernement a user à deux reprises, de l'article 49-3. Donc, François Hollande s'est dit que s'il ajoutait une crise sociale dans un secteur hyper sensible, à la crise économique et politique et aux courbes du chômage qui ne s'inversaient pas, il ne passait plus. Il a donc fait le choix de la paix sociale dans le secteur de la santé, pour pouvoir appliquer sa politique économique. Si l'on se place du côté des libéraux, ce quinquennat a été marqué par une agitation non-stop, autour de l'avenant N° 8 réformant les honoraire libres, autour du projet de loi Leroux, qui voulait inclure les médecins dans les réseaux de soins, puis autour de la loi de santé et de son tiers payant généralisé… Oui, c'est vrai. Mais la politique, c'est aussi beaucoup de cynisme. Les médecins libéraux sont considérés comme des électeurs de droite, dont beaucoup moins intéressants que les médecins et personnels hospitaliers. Lorsqu'il a demandé à Marisol Touraine de ne pas réveiller l'hôpital, François Hollande lui a également demandé de mettre en place des amortisseurs sociaux, en rapport avec les difficultés réelles d'accès aux soins de certaines catégories de populations. D'où, justement, l'obligation faite à l'assurance maladie et aux médecins, de s'entendre sur un plafonnement des honoraires. On ne compte plus les Unes de journaux qui se sont élevées contre les dépassements d'honoraires, à cette époque. Quant au tiers payant, c'est la mesure totémique par excellence, un marqueur de gauche inscrit dans le programme du candidat François Hollande, n'ayant d'autre justification que celle-là. Ces mesures sociales ont heurté les médecins libéraux, mais comme ils sont de droite… Alors bien entendu, ils ont protesté. Mais dans l'ensemble, leurs protestations ont fait pschitt… Néanmoins, le Conseil constitutionnel a censuré l'article de la loi de santé imposant l'obligation du tiers payant aux organismes de protection complémentaire santé. Oui, mais le principe pour François Hollande et Marisol Touraine, était de pouvoir afficher qu'ils ont mis en place le tiers payant. Même si cela n'est pas effectif, ils peuvent dire en fin de mandat, qu'ils ont tenu leur promesse. En matière de bilan, on peut également noter que ce gouvernement est parvenu à remettre l'assurance maladie quasiment à l'équilibre. Oui, le déficit s'est considérablement réduit pour être quasiment à l'équilibre sauf qu'une partie de ce déficit a été transféré aux hôpitaux, qui cumulent une dette de 30 milliards. Mais le principal problème de l'assurance maladie, ce ne sont pas les dépenses au quotidien, mais celui des recettes : plus de chômeurs égale moins de recettes. On aurait pu penser qu'il aurait été pertinent de faire une réforme de l'assurance maladie et basculer la charge des cotisations sur la CSG par exemple, mais c'est un autre sujet. Il faut avoir en tête que le principal axe de la politique de François Hollande, c'est le CICE, et le remboursement, en quelque sorte, de 41 milliards de chiffre d'affaire aux entreprises. Ce qui commence à marcher… Oui, la stratégie de François Hollande consistant à vouloir le calme dans la santé pour réussir le virage social libéral, ça marche. Tous les instituts économiques le disent, les entreprises ont retrouvé la compétitivité et le temps de travail serait moins élevé en France qu'en Allemagne, les déficits publics se sont réduits – nous sommes aujourd'hui autour de 3 % alors que nous étions au départ, au- dessus de 5 % - le pari est donc réussi, mais cela n'est pas encore totalement visible pour l'opinion. La courbe du chômage s'est inversée depuis trop peu de temps pour que ce soit significatif. François Hollande a été conduit à ne pas se représenter, en fait, il n'a pas eu de chance. Il est probable que l'histoire lui rende raison, et peut être même à plus court terme qu'on ne le pense. *Journaliste, consultant en communication et en organisation dans le domaine de la santé.
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