Manque d’effectifs, douleur chronique, prescription d’opioïdes… La prise en charge de la douleur reste trop fragile

04/07/2022 Par Brigitte Blond
Algologie
A l’occasion de la présentation de son prochain congrès*, la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) alerte sur plusieurs points de vigilance, revient sur les récentes recommandations pour le bon usage des opioïdes et dévoile ses prochains chantiers.

  Il y a actuellement 2 à 3 équivalents temps plein en moyenne par structure de la douleur (il en existe 245 en France, centres ou consultations) … Il suffit qu’une personne soit malade ou parte en retraite pour que le centre soit en péril. Un centre qui est dédié aux soins mais encore à l’enseignement et la recherche. « Or 25 % de nos médecins cesseront leur activité dans les 5 ans », souligne le Pr Valéria Martinez, médecin de la douleur à l’Hôpital Raymond Poincaré (Garches) et présidente de la SFETD. Le nombre d’équivalents temps plein de médecin de la douleur est de 3 ! pour 100 000 habitants. « Nous sommes très inquiets d’autant que certaines régions (du Centre et du Grand Est) sont totalement dépourvues de professionnels », insiste-t-elle. Les délais d’attente sont de plusieurs mois, voire un an… A défaut de Programme dédié à la douleur depuis 10 ans, des mesures urgentes doivent être prises, sur le parcours de santé en douleur chronique, la formation (faire de la médecine de la douleur une spécialité la rendrait plus attractive) et la reconnaissance de la pratique avancée pour les infirmiers “ressource douleur“.   Le bon usage des opioïdes La situation n’est certes pas comparable à celle que vivent les Etats-Unis et le Canada où les prescriptions d’Oxycodone et de Fentanyl sont inappropriées et excessives, - avec à la clé des décès massifs par surdose -, mais le rapport de 2019 de l’Agence nationales de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) met en lumière une augmentation du mésusage, du nombre d’hospitalisations et de décès liés à l’utilisation d’antalgiques opioïdes (faibles ou forts). Pour sécuriser l’usage de ces médicaments, sans en restreindre l’accès aux patients pour qui ils sont indispensables, la Direction générale de la Santé (DGS) a saisi la Haute Autorité de Santé (HAS) pour élaborer des recommandations de pratique clinique, aujourd’hui en ligne (depuis fin mars) sur le site de la HAS. Elles sont destinées aux professionnels à même de prendre en charge des patients de plus de 15 ans dont la douleur aiguë ou chronique, liée ou non à un cancer, est une indication d’antalgique opioïde. Le texte de la HAS concerne aussi les personnes traitées par un médicament de substitution aux opioïdes (buprénorphine et méthadone) et celles qui présentent un trouble de l’usage d’opioïdes, prescrits ou illicites. Est, en outre, préconisée, une diffusion large de ces recommandations en population générale aussi, qui devrait porter notamment sur les définitions (troubles de l’usage, mésusage, addiction, dépendance physique, surdose, etc.). Les professionnels sont invités à recourir aux outils de repérage des facteurs de risque de troubles de l’usage (échelle ORT) ou de leur dépistage (échelle POMI).   Opioïdes et naloxone en co-prescription « S’agissant du traitement des surdoses par la naloxone, le médicament de référence, il est recommandé d’évaluer systématiquement la pertinence d’une co-prescription, avec de la naloxone prête à l’emploi, et d’informer (le patient et son entourage) sur les modalités de son utilisation », rapporte le Dr Sylvie Rostaing, responsable de la Commission Ambulatoire, qui a participé au groupe de travail de la HAS pour la SFETD. Cette naloxone prête à l’emploi doit être largement mise à disposition : accès anonymisé, sans prescription ou avance de frais, en ville. Les forces de l’ordre ou de secours susceptibles d’intervenir les premiers devant être également formés à l’administration de la naloxone.   Analgésie intrathécale en kit « Pour les 15 % des patients atteints de cancer présentant des douleurs réfractaires ou intolérants aux traitements habituels et notamment aux opioïdes forts, l’analgésie intrathécale est une technique très efficace ; elle n’est toutefois pas utilisée à la hauteur de ses indications douloureuses : seulement un patient sur 10 pour lequel l’indication serait légitime en bénéficie effectivement », regrette le Dr Florence Tiberghien, Commission Douleur & Cancer, Centre hospitalier Alpes-Léman. Sa mise en place, pour injecter directement des antalgiques dans le liquide céphalo-rachidien, ne s’improvise pas et la SFETD a conçu un livre pédagogique “Boit, Boîte à Outils IntraThécale“, illustrations et fiche pratique. Autre innovation bientôt proposée par la Société, une application mobile (APO) de reconnaissance faciale pour l’évaluation de l’intensité de la douleur de jeunes enfants et d’adolescents en situation de handicap, à domicile. Un manque identifié par la DGS qui a donc accordé un financement à la SFETD pour la conception et le développement de l’outil (livraison prévue fin 2022).   Découvertes françaises « Enfin, annonce le Pr Radhouane Dallel, directeur Inserm à Clermont-Ferrand, notre congrès de novembre mettra l’accent sur des découvertes plus fondamentales, telles que les raisons pour lesquelles les médicaments ne soulagent pas toutes les douleurs : en effet, celles-ci mettent en jeu des neurones différents, transmettent des informations différentes ». Par ailleurs, les astrocytes paraissent gérer les aspects émotionnels des douleurs chroniques ; ils guideraient nos émotions. Et il conclut : « le principe d’une instillation transcrânienne de molécules antalgiques vient d’être validé, un travail d’une équipe française publiée dans Brain ».

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