Traitement des migraines, analgésie locorégionale, opioïdes… les nouvelles prises en charge de la douleur
Egora : En ce qui concerne la migraine, quelles sont les nouveautés énoncées dans les dernières recommandations de la Société française d'étude des migraines et des céphalées ? Pr Valeria Martinez : Ces nouvelles recommandations publiées en mai 2021 étaient très attendues. Les dernières dataient de 2012. L’un des points clés est le dépistage des facteurs de risque de progression d'une migraine épisodique vers une migraine chronique. La fréquence élevée de crises est le facteur de risque avec le plus haut niveau de preuve, devant la dépression et la surconsommation de traitements de crise. La tenue d'un agenda avec la fréquence des céphalées et des prises de traitements de crise est une mesure préventive pour dépister ces facteurs de risque. L’évaluation systématique de l'impact fonctionnel induit par toute migraine est recommandée en utilisant l'échelle HIT-6**. Elle repose sur 6 questions mesurant l'impact de la crise et l'impact global à l’aide d’un score allant de 36 à 78. Un score supérieur à 60 signifie un impact majeur de la migraine. Le traitement de crise n'est pas modifié mais une stratégie thérapeutique d’optimisation des traitements de crise est proposée aux patients. Par exemple, pour les céphalées modérées à intenses, elle consiste à prendre un triptan et en cas de réponse insuffisante à rajouter un AINS au bout d’une heure. Ou encore, pour les migraines avec aura, à prendre un AINS dès le début de l’aura et un triptan dès le début de la céphalée. Concernant le traitement de fond, il existe des preuves élevées d'efficacité pour l’amitriptyline, le propranolol, le metoprolol, le candesartan, le topiramate et le valproate dans les crises épisodiques et le topiramate surtout pour les migraines chroniques. En cas d'échec d'au moins 2 traitements oraux, la toxine botulique et les anticorps anti-CGRP sont indiqués. Enfin, chez les patients ayant des migraines épisodiques et souhaitant un traitement non pharmacologique ou n’obtenant pas une amélioration significative avec un traitement pharmacologique, la neuromodulation non invasive peut être proposée. Pour le traitement de crise, la technique REN (Remote Electrical Neuromodulation) est privilégiée et pour la prophylaxie de la migraine, celle de la stimulation supraorbitaire par TENS (transcutaneous electrical nerve stimulation).
L’analgésie loco-régionale (ALR) peut-elle être utilisée dans le cas de douleurs chroniques ? L’intérêt de l’ALR a été montré dans certaines douleurs neuropathiques périphériques telles que la névralgie d'Arnold ou le syndrome d’« entrapment » de nerfs comme la compression des branches antérieures des nerfs intercostaux de la paroi abdominale. Ces douleurs peuvent être soulagées avec la réalisation itérative d’infiltrations péri-nerveuses. Lors du congrès, des ateliers pratiques intitulés « les petits gestes en douleur » ont été proposés pour apprendre à les réaliser. L’ALR avec la mise en place d'un cathéter pour une perfusion continue d’anesthésiques locaux a montré son intérêt pour faciliter la récupération et diminuer les raideurs du syndrome douloureux régional complexe. Enfin, les techniques d'analgésie loco-régionale peuvent être utilisées pour soulager des douleurs sévères en oncologie. Malheureusement, ces techniques sont peu connues et peu pratiquées. L’utilisation de pompe intrathécale est une solution très efficace pour certaines douleurs cancéreuses réfractaires. Mais en France, seul un patient sur dix bénéficie de cette technique. Quelles sont les avancées dans la prise en charge des douleurs chroniques post-opératoires ? Un livre blanc sur la prise en charge de la douleur chronique post-opératoire fruit d’une collaboration entre la SFETD et la Société française d'anesthésie réanimation (SFAR) ainsi que des sociétés françaises de chirurgie a été présenté lors du congrès. Ce livre est important car il réunit l'expertise de plusieurs professionnels : chercheurs fondamentalistes, anesthésistes, chirurgiens, spécialistes de la douleur chronique post opératoire. Il comprend des fiches synthétiques de prise en charge des patients au cours de leur parcours. Le dépistage en préopératoire de facteurs de risque de chronicisation de la douleur est particulièrement conseillé (douleur chronique préopératoire, usage d’opioïdes en préopératoire, vulnérabilité psychologique telle que l'anxiété et la dépression). En périopératoire, il est recommandé d’utiliser une analgésie multimodale avec une analgésie loco-régionale chaque fois que c'est possible et d’associer un anti-hyperalgique comme la kétamine. Certaines techniques chirurgicales sont également recommandées pour limiter la lésion nerveuse. En postopératoire immédiat, la recherche de facteurs de chronicisation doit être effectuée (intensité de la douleur postopératoire élevée, pente de résolution de la douleur lente, présence d'une composante neuropathique). Enfin, la prescription de patch de capsaïcine et/ou de toxine botulique est recommandée en cas de douleurs chroniques neuropathiques sévères et réfractaires. Douleurs pelviennes aiguës ou chroniques : quelles conduites à tenir ? Quels sont les premiers résultats concernant l'expérimentation du cannabis thérapeutique ? Cinquante structures douleurs sont engagées dans l'expérimentation « cannabis » débutée en mars 2021. Sur les cinq indications d’inclusion, les douleurs neuropathiques sont largement majoritaires. Il est trop tôt actuellement pour disposer de données d'efficacité. En termes de faisabilité, déléguer la délivrance aux pharmacies de ville et la prescription aux médecins généralistes s’avère difficile. En effet, seulement 17% des médecins généralistes et 44% des pharmaciens acceptent d’être un relais. Comment sécuriser la prescription des traitements antalgiques et limiter leur mésusage en augmentation ces dernières années ? Face à la crise des opioïdes en Amérique du Nord, la France est en alerte. La situation française n'a rien de comparable, mais l’augmentation du mésusage de certains antalgiques, du nombre d'hospitalisations et de décès par surdoses d’opioïdes, rapportée dans le rapport de l’ANSM 2019, nous impose une vigilance par rapport à cette problématique. Depuis plusieurs années, la SFETD travaille sur le problème du cadrage de l’utilisation et de l’anticipation du mésusage des antalgiques avec, en 2016, la publication de recommandations concernant la prescription d’opioides forts dans la douleur non cancéreuse. Il est conseillé d’utiliser systématiquement des outils de dépistage du mésusage. Certains drapeaux rouges ont également été largement diffusés, en particulier sur la « non indication » de l'utilisation des formes de fentanyl transmuqueux dans la douleur chronique non cancéreuse et sur l'absence d'indication des opioïdes forts dans les douleurs dites nociplastiques comme la fibromyalgie. Quoi qu'il en soit, malgré les risques identifiés, le soulagement de la douleur doit rester une priorité de santé publique. L’utilisation des opioïdes a largement contribué à améliorer la prise en charge de la douleur en France. Il est surtout nécessaire de respecter la réglementation, les recommandations de bonnes pratiques, et le bon usage des médicaments. Comment la réalité virtuelle fonctionne-t-elle pour réduire la douleur ? A-t-elle fait la preuve de son efficacité ? La réalité virtuelle est un nouvel outil technologique non médicamenteux en analgésie. Cette technologie permet aux utilisateurs une immersion audiovisuelle en trois dimensions dans un univers virtuel agréable (comme un « fond sous-marin », un « jardin zen ») et les incite à interagir avec ce monde. Dans la gestion de la douleur, l’utilisation de cet outil se développe car celui-ci permet la distraction, la relaxation, voire dans certains programmes une hypnose. La réalité virtuelle est efficace soit seule soit combinée avec les soins habituels pour réduire la douleur et l'anxiété ressenties par les patients lors de gestes invasifs. Son efficacité a été montrée chez l'adulte et l’enfant avec des preuves plus fortes dans la prise en charge des douleurs aiguës. Les preuves d'efficacité sont plus fragiles en douleur chronique. Néanmoins, des programmes de réalité virtuelle ont été conçus pour permettre la rééducation dans certaines pathologies douloureuses telles que les accidents vasculaires cérébraux, les algodystrophies ou encore les blessés médullaires. Parmi les thérapeutiques non médicamenteuses, la méditation en pleine conscience a-t-elle fait la preuve de son efficacité ? La méditation en pleine conscience encore très peu connue en France jusque vers 2010, était déjà très étudiée en Occident depuis les années 70. Elle a montré son efficacité pour réduire l'anxiété, le stress, la dépression et les douleurs chroniques. Les patients douloureux chroniques ont régulièrement des difficultés à faire face à leur propre douleur, à leur situation sociale, physique et professionnelle. La méditation peut les aider au quotidien en leur permettant une meilleure acceptation de la maladie chronique et une réduction du retentissement émotionnel. Plusieurs études montrent que cette technique est supérieure au placebo dans la prise en charge de la douleur. *Le Pr Valeria Martinez déclare n’avoir aucun lien d’intérêts concernant les données de cet article. **Échelle HIT-6 accessible via ce lien : https://sfemc.fr/images/docs_SFEMC/docs_PATIENTS/patients-QUESTHIT6MLM.pdf
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