Une cohorte, mise en place au CHU d’Angers, montre que la prescription de bisphosphonates, en association à la vitamine D, limite de moitié après 10 ans le risque de rechutes, de métastases et de décès par cancer du sein. Le point lors du 33e congrès français de rhumatologie (13 au 16 décembre 2020). En 2004, des cancérologues de l’Institut de cancérologie de l’Ouest ont sollicité les rhumatologues du CHU d’Angers pour les aider à prendre en charge les problèmes d’ostéoporose survenant chez les femmes traitées pour un cancer du sein. Ceci a conduit ces derniers à mettre en place une cohorte prospective sur une population de femmes ménopausées consultant en rhumatologie, traitées par anti-aromatase et présentant un cancer mammaire localisé non métastatique, de type luminal RE+ et HER2-, explique le Pr Éick Legrand, rhumatologue au CHU d’Angers et principal coordinateur de cette étude. Ces caractéristiques correspondent aux cancers du sein les plus fréquents. Trois-cents femmes n’ont reçu aucun traitement à visée osseuse tandis que 449 autres ont été traitées par vitamine D et les 308 dernières par cette vitamine mais aussi par des bisphosphonates, pendant en moyenne 4,4 ans. Ces derniers médicaments étaient prescrits aux doses habituelles pour prévenir les complications de l’ostéoporose. Les femmes ont été suivies au moins 10 ans. A ce terme, les rhumatologues du CHU d’Angers ont observé que le taux de récidives tumorales par cancer du sein était fortement diminué chez les femmes traitées à la fois par bisphosphonates et vitamine D en comparaison de celles n’ayant reçu que de la vitamine D ou aucun traitement à visée osseuse (taux de respectivement 9,7 % contre 13,6 % et 16,7 %). Ce qui corrobore des résultats préliminaires observés sur une première série de 450 patientes. La mortalité par cancer du sein était aussi nettement abaissée après prescription de bisphosphonates, combinés à la vitamine D : 4,5 % contre 6,2 % sous vitamine D seule et 8,3 % en l’absence de traitement. Aucune ostéonécrose de la mâchoire ni fracture atypique n’a été déplorée après prise de bisphosphonates.
Certes, il ne s’agit pas d’une étude randomisée. « Mais, l’effet préventif des bisphosphonates semble très probable car par chance, le groupe de patientes traitées par biphosphonates et vitamine D était au départ celui dont le pronostic était a priori le plus mauvais », ajoute le Pr Legrand. En effet, ces femmes avaient en moyenne des tumeurs un peu plus grosses (21,8 % de taille T2 contre 19,6 % pour le groupe vitamine D et 18,3 % pour le groupe non traité), présentaient plus souvent un envahissement ganglionnaire (48,1 % contre 45,4 % et 41,7 %), et un plus fréquemment un grade histologique défavorable (19,1 % avec un grade 3 contre 15,8 % % et 15,7 %). L’analyse multivariée a confirmé que les risques de rechute, de métastases, et de décès par cancer étaient deux fois moins importants dans le groupe de femmes ayant reçu bisphosphonates et vitamine D (odds ratio de respectivement 0,45, 0,51 et 0,40), alors que les effets étaient bien moins nets pour la vitamine D seule (odds ratio de respectivement 0,82, 0,85 et 0,73). L’efficacité des bisphosphonates était par ailleurs plus marquée en termes de rechutes, métastases ou décès par cancer du sein (- 64 %) chez les femmes avec une tumeur de moins bon pronostic car dépassant 2 cm, s’accompagnant d’un envahissement ganglionnaire ou ayant justifié une chimiothérapie. Les bisphosphonates étaient également...
efficaces, qu’ils aient été donnés par voie orale (80 % des cas) ou sous forme intraveineuse et que la densité osseuse fémorale soit basse (T-score < -2) ou normale. Comment expliquer cette action protectrice des bisphosphonates dans le cancer du sein ? « Le premier mécanisme, connu depuis longtemps est que ces médicaments possèdent des effets cytotoxiques », rapporte le Pr Legrand. « Le second mécanisme, qui joue probablement un rôle plus important dans le cancer du sein, est lié au fait qu’en stabilisant la matrice osseuse, les bisphosphonates limitent la libération de molécules comme le TGF bêta qui ont un effet booster sur les cellules tumorales. » Plusieurs études randomisées ont montré que les bisphosphonates à forte dose et par voie intraveineuse (zolédronate) diminuent le risque de rechute de 20 à 25 % et la Société américaine d’oncologie clinique (ASCO) recommande ce traitement à titre adjuvant. Les bisphosphonates semblent cependant peu prescrits par les oncologues, peut être en raison d’une culture médicale différente, d’une crainte des ostéonécroses de mâchoire, « alors qu’elles sont exceptionnelles », rappelle le Pr Legrand. « Nous n’en avons ainsi jamais déploré chez nos patientes à Angers », cite le rhumatologue. Les résultats plus marqués obtenus avec les bisphosphonates dans la cohorte française, par rapport aux études randomisées antérieures, pourraient être dus au fait que le suivi a été plus long (plus de 10 ans contre 3 à 5 ans). « Or », mentionne le Pr Legrand, « 50 % des rechutes surviennent plus de 5 ans après le diagnostic, le réveil de cellules tumorales dormantes présentes dans la moelle hématopoïétique pouvant être à l’origine de récidives tardives ». A la différence de la cohorte française, les études randomisées comportaient aussi souvent des cancers mammaires triple négatifs et HER2+, non luminales, dont le traitement et le pronostic diffèrent. En tout cas, l’équipe de rhumatologie angevine considère « indispensable d’administrer un traitement par bisphosphonates pour une durée de 4 à 5 ans, au décours d’un cancer du sein, aux femmes ménopausées ayant une ostéoporose densitométrique ou fracturaire ». Ce traitement sera aussi proposé, « même en l’absence d’ostéoporose si le cancer du sein est de pronostic intermédiaire ou défavorable (taille tumorale supérieure à 2 cm, envahissement ganglionnaire axillaire, grade histologique élevé, prescription d’une chimiothérapie) ». « Ce sont, en effet, dans ces tumeurs que l’intérêt des bisphosphonates est le plus grand », souligne le Pr Legrand « alors que des femmes sans ostéoporose avec un petit cancer du sein de très bon pronostic n’en ont pas forcément besoin ». *Le Pr Legrand déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.
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