Environ 8 millions de personnes sont porteuses d’une trisomie 21, dont 60 000 en France. La 3e conférence internationale, organisée par la Trisomy 21 Research Society à Barcelone cet été, confirme l’intérêt accru que suscite cette anomalie chromosomique. Les recherches se multiplient pour tenter d’améliorer les performances intellectuelles des personnes trisomiques, mieux traiter maladie d’Alzheimer et leucémies, plus fréquentes chez eux. Le déficit intellectuel des personnes trisomiques est aujourd’hui mieux compris, explique le Dr Catherine Lemonnier*, directrice de recherche de la fondation Jérôme-Lejeune à Paris. Certains des 250 gènes situés sur le chromosome 21 sont en effet impliqués dans la cognition, et surexprimés en raison de la trisomie. Ce qui engendre des dysfonctionnements cellulaires, notamment neuronaux, pouvant expliquer les difficultés de représentation mentale et de mémorisation. Plusieurs de ces gènes font l’objet d’études internationales comme DYRK1A (Dual specificy tyrosine-phosphorylation-regulated kinase1A), un gène impliqué dans la cognition mais aussi dans la maladie d’Alzheimer, le cancer, l’obésité. Ou encore les gènes RCAN1 (Regulator of calcineurin1), CBS (cystathionine béta-synthase...), ou APP (Amyloid precursor protein), responsable de la production de protéine bêta-amyloïde, associée à la maladie d’Alzheimer. Plusieurs molécules à l’essai pour améliorer le fonctionnement intellectuel Le développement de modèles de souris ou de rats trisomiques, qui est facilité depuis 7 ans par l’arrivée de la technologie CRISPR-Cas9, ou de plus en plus l’utilisation de modèles cellulaires (cultures de neurones à partir de cellules souches pluripotentes dérivées de fibroblastes cutanés, cultures organoïdes), permet d’analyser le fonctionnement de ces gènes. "Des sociétés de biotechnologies internationales se créent pour tester des molécules inhibitrices corrigeant la surexpression des gènes DYRK1A, CBS". Avec l’espoir d’améliorer le développement cognitif grâce à une potentielle combinaison de plusieurs de ces molécules. Un essai clinique, conduit en 2015 par l’équipe de Mara Dierssen (Institut de la Science et de la Technologie, Barcelone), indique qu’un dérivé du thé vert l’EGCG (épigallocatéchine gallate), qui est un inhibiteur naturel de DYRK1A, pourrait améliorer le fonctionnement intellectuel des patients. "Les résultats sont intéressants, mais encore à valider", estime cependant Le Dr Lemonnier. L’Institut Jérôme Lejeune poursuit actuellement, avec les centres espagnols, une étude, PERSEUS, chez 70 enfants de 6 à 12 ans pour analyser les effets de l’EGCG, et notamment dans un premier temps vérifier sa tolérance. Ce qui est important "car le thé vert peut avoir certaines toxicités", signale le Dr Lemonnier. "Les résultats devraient être disponibles dans deux ans." Une dysrégulation thyroïdienne est, par ailleurs, fréquente chez les enfants trisomiques, alors que les hormones thyroïdiennes jouent un rôle important dans le fonctionnement psychomoteur et un déficit en folates est suspecté dans la trisomie 21. Or, quelques études ont rapporté un bénéfice d’une supplémentation par folates et suggéré la possibilité d’interactions positives entre folates et hormones thyroïdiennes sur le développement. Une étude, ACTHYF, a été mise en place en double aveugle contre placebo à l’Institut Jérôme-Lejeune, chez 175 enfants de 6 à 18 mois pour tester durant 1 an les effets de la L-thyroxine ou de l’acide folique en monothérapie ou en association. Les résultats devraient être publiés très prochainement. Un autre essai de l’Institut cherche enfin à déterminer si le dépistage puis le traitement précoce de l’apnée du sommeil, qui est plus répandue chez ces enfants pour des raisons diverses (morphologie faciale et ORL particulière, modifications cérébrales ?), améliore les acquisitions au cours des premières années de vie. Des comorbidités mieux connues Plusieurs études présentées à Barcelone ont, en outre, décrit un dysfonctionnement énergétique mitochondrial dans la trisomie 21. "Ce qui pourrait expliquer l’hypotonie puis la faiblesse musculaire des enfants trisomiques." "Associée à un déficit modéré du système immunitaire, cette hypotonie musculaire pourrait contribuer à la propension accrue des enfants trisomiques à développer des infections pulmonaires", complète le Dr Lemonnier. "Il est important de surveiller ce risque infectieux un peu majoré chez les jeunes trisomiques." Les patients trisomiques présentent un taux élevé de malformations cardiaques. Ce problème, autrefois crucial pour leur survie l’est beaucoup moins aujourd’hui car les enfants porteurs d’anomalie sont rapidement opérés. "Ces patients sont d’ailleurs en partie protégés contre l’athérome. Mais, il est important de les aider à avoir une activité physique car ils peuvent avoir une tendance au surpoids", conseille le Dr Lemonnier. En revanche, et alors que les trisomiques sont curieusement bien moins exposés à la survenue de tumeurs solides que la population générale (sauf peut-être pour quelques tumeurs comme le cancer du testicule), existe chez eux un risque multiplié par 20 de leucémies aiguës. On peut observer des leucémies aiguës myéloblastiques (LAM), parfois transitoires chez les nourrissons trisomiques et souvent de bon pronostic, puis lymphoblastiques (LAL) et de pronostic un peu moins bon que chez les enfants non trisomiques. Les voies d’activation sont toutefois de mieux en mieux connues, et mettent par exemple en jeu RAS/MAPK dans les trois quarts des LAL, vient de montrer une équipe internationale (Anouchka P. Laurent, et coll, Institut Gustave Roussy, Villejuif, 94). Le Dr Sébastien Malinge, qui a participé à ce travail mais poursuit actuellement ses recherches à l’Institut Téléthon à Perth en Australie, a rapporté à Barcelone être parvenu à tester les effets de différentes thérapeutiques sur des modèles cellulaires de leucémies aiguës. "Ce qui devrait permettre d’améliorer leur traitement." La maladie d’Alzheimer : un nouvel enjeu La survenue de la maladie d’Alzheimer devient un problème essentiel, car beaucoup de trisomiques atteignent aujourd’hui l’âge de 60, voire de 70 ans. Des équipes proposent de réaliser des tests de fluidité verbale pour repérer cette affection neurologique plus précocement. "Mais, il faudra aussi sensibiliser les cliniciens à ce risque et les aider à différencier trisomie et premiers signes de dégradation évoquant une maladie d’Alzheimer." Sachant que "les trisomiques n’expriment pas forcément leur souffrance", on doit se méfier si "la personne trisomique change de comportement avec une diminution de l’autonomie, des interactions". Une vaste étude de cohorte a été mise en place chez des patients trisomiques adultes à l’Institut Jérôme Lejeune, pour analyser les caractéristiques cliniques et paracliniques (marqueurs sanguins et dans le liquide céphalorachidien, imagerie) révélateurs de la maladie d’Alzheimer. "L’objectif est de se préparer à l’arrivée d’un médicament, si on en trouve un d’efficace." Malheureusement, "aucune étude thérapeutique sur la maladie d’Alzheimer à ce jour n’a concerné des personnes trisomiques", déplore le Dr Lemonnier. Ceci pourrait changer car "grosse avancée, le National Institutes of Health américain recommande aujourd’hui l’inclusion de patients trisomiques dans les études sur la maladie d’Alzheimer". *Le Dr Catherine Lemonnier déclare avoir des liens durables et permanents avec la Fondation Jérome-Lejeune.
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