HTA : les nouvelles recommandations prônent un traitement plus précoce et plus agressif

29/06/2018 Par Corinne Tutin
Cardio-vasculaire HTA

La principale actualité du 28e congrès de la Société européenne d’hypertension artérielle (ESH), qui vient de se dérouler à Barcelone du 8 au 11 juin 2018, a été représentée par l’annonce de nouvelles recommandations de prise en charge de l’HTA. Le traitement médicamenteux peut ainsi désormais être proposé en cas de pression artérielle normale haute chez des patients à risque. La bithérapie est souvent utile d’emblée

  "Les recommandations américaines rendues publiques en 2017 ont abaissé le seuil de définition de l’HTA à 130/80 mm Hg et réduit le nombre de classes d’HTA à 2 contre 3 auparavant", a expliqué le Pr Krzysztof Narkiewicz (Gdansk, Pologne) (1). Les nouvelles recommandations, que viennent d’élaborer conjointement les experts de la Société européenne d’hypertension artérielle (ESH) et de la Société européenne de cardiologie (ESC), ont cependant choisi de conserver la même définition de l’HTA que lors de la version précédente du texte datant de 2013, soit la mesure au cabinet de chiffres tensionnels égaux ou supérieurs à 140 et/ou 90 mm Hg. Ce qui équivaut à des chiffres au moins égaux à 130/80 mm Hg pour 24 heures en mesure ambulatoire de la pression artérielle (Mapa) et à 135/85 mm Hg en automesure au domicile. L’HTA continue aussi d’être classée en 3 stades en fonction des chiffres tensionnels mesurés au cabinet, ces 3 stades s’ajoutant aux catégories de PA optimale, normale et normale haute (voir tableaux). Un des messages clef du texte, a rappelé le Pr Narkiewicz, est l’importance de diagnostiquer ce « tueur silencieux » qu’est l’hypertension artérielle. Du fait du vieillissement de la population et d’un mode de vie de plus en plus sédentaire, la prévalence de l’HTA continue en effet d’augmenter dans le monde, et en 2015 elle a par exemple été à l’origine de presque 10 millions de décès sur la planète. Les experts européens préconisent ainsi la mesure de la pression artérielle, dans un objectif de dépistage, au moins tous les 5 ans chez les adultes (PA optimale ou normale), et au moins annuellement chez les sujets avec une PA normale haute.   Un usage plus large de la mesure ambulatoire de la PA   Chez les sujets hypertendus, les mesures au cabinet devront être répétées avant de retenir le diagnostic d’HTA ou, lorsque ce n’est pas possible, être confirmées, par une mesure ambulatoire de la pression artérielle, "dont l’usage a été élargi par rapport aux recommandations précédentes dans l’objectif de valider le diagnostic d’HTA et de favoriser la participation du patient", a expliqué le Pr Bryan Williams (University College, Londres). La Mapa continue d’être considérée par les experts européens comme ayant une meilleure valeur pronostique que l’automesure au domicile, car elle fournit des renseignements plus détaillés qu’une simple mesure de la PA et renseigne sur la PA nocturne, et les différents phénotypes tensionnels. "Cependant, l’automesure a l’avantage d’être bon marché, facile à utiliser, de pouvoir être répétée sur de longues périodes de temps non seulement pour vérifier le niveau de contrôle tensionnel mais pour analyser la variabilité tensionnelle, et elle assure l’engagement du patient", a reconnu le Pr Josep Redon (Université de Valence, Espagne).  Ces deux techniques de mesure ambulatoire de la PA sont particulièrement indiquées lorsqu’on suspecte un effet "blouse blanche" : HTA de stade I au cabinet, PA élevée au cabinet sans signe de retentissement d’organe cible, ou une HTA masquée : pression normale haute au cabinet (130-139 mm Hg et/ou 85-89 mm Hg), alors que le patient présente des signes de retentissement d’organe ou est à haut risque cardiovasculaire. Elles sont également intéressantes pour rechercher une hypotension orthostatique ou post-prandiale, pour évaluer ce qui se passe en cas d’élévation tensionnelle à l’effort, et dans le cas de la Mapa pour rechercher une HTA nocturne, qui peut être associée à un dysfonctionnement du système nerveux autonome, mais aussi à une apnée du sommeil, un diabète... Bien entendu, ces méthodes ambulatoires permettront aussi de vérifier que le contrôle tensionnel a été obtenu, en particulier chez les patients à haut risque cardiovasculaire, de mieux comprendre ce qui se passe en cas d’HTA apparemment résistante au traitement. "Il reste qu’on ne sait encore bien quels sont les bénéfices additionnels apportés par l’utilisation de ces méthodes ambulatoires de mesure de la PA pour l’évaluation du risque cardiovasculaire et le monitoring du traitement", a admis le Pr Redon. Une autre question plus spécifique et encore sans réponse est de savoir quelle technique de mesure de la PA il faut privilégier chez les patients avec une fibrillation atriale (FA).    Un traitement anti-hypertenseur plus agressif   Les concepts ont également évolué en matière de traitement. Les mesures hygiéno-diététiques sont toujours conseillées à tous les stades de l’HTA. "Cependant, nouveauté, le traitement médicamenteux peut désormais être proposé à certains patients avec une pression artérielle normale haute mais, par ailleurs, à très haut risque cardiovasculaire car ayant une maladie cardiovasculaire associée, en particulier s’il s’agit d’une coronaropathie", a indiqué le Pr Luis M. Ruilope (Hospital 12 de Octubre, Madrid). On proposera aussi plus rapidement des médicaments anti-hypertenseurs dans l’HTA de stade I en cas de haut risque cardiovasculaire, de maladie rénale, de retentissement d’organe. Autre modification, plutôt qu’une cible tensionnelle unique à atteindre, le nouveau texte préconise une gamme de cibles chez les patients traités. "Ce qui permet de mieux se fixer les limites à atteindre en toute sécurité, compte tenu notamment de l’âge et des comorbidités du patient", a expliqué le Pr Williams. Ces cibles ont été définies par tranche d’âge (18-65 ans, 65-79 ans, ≥80 ans) et selon qu’il s’agit d’HTA isolée ou associée à un diabète, une néphropathie, une coronaropathie, des antécédents d’AVC/ou AIT. Les chiffres retenus sont par exemple de 130 à 120 mm Hg pour la PAS chez un adulte de moins de 65 ans avec une HTA sans comorbidité, 140 à 130 mm Hg chez un patient de 65 ans et plus, 140 à 130 mm Hg en cas de néphropathie associée, 130 mm Hg ou plus bas en cas de diabète (IA). "Il ne faut pas abaisser la PAS en dessous de 120 mm Hg", a mentionné le Pr Giuseppe Mancia (Université de Milan, Italie). "Globalement, la cible de 140/90 mm Hg sera retenue chez tous les hypertendus. Si le traitement est bien toléré, on essaiera d’atteindre 130/80 mm Hg voire une PAD inférieure", a indiqué le Pr Mancia. Chez les sujets très âgés, les experts insistent sur la nécessité de différencier âge biologique et chronologique, "le traitement devant être individualisé en fonction du niveau de fragilité, et de la tolérance à celui-ci", a cité le Pr Williams.  Mais, le traitement anti-hypertenseur est globalement moins conservateur chez les sujets âgés en 2018 qu’en 2013. Pour la mesure ambulatoire de la PA, on manque encore de données pour préciser des cibles tensionnelles.   Une bithérapie d’emblée sous forme d’un comprimé chez la majorité des patients   Les nouvelles recommandations soulignent aussi l’importance "d’utiliser un comprimé unique chez la majorité des patients pour améliorer le niveau de contrôle tensionnel", a rappelé le Pr Williams. "Chez la plupart des patients hypertendus, le traitement sera débuté sous forme de bithérapie, la monothérapie étant le plus souvent inefficace". Les exceptions à ces bithérapies d’emblée sont représentées par les patients âgés fragiles, ceux à faible risque avec une HTA de stade I, en particulier si la PAS est inférieure à 150 mm Hg. On utilisera préférentiellement des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou des antagonistes du système rénine angiotensine II (ARAII) avec des inhibiteurs calciques et/ou un diurétique thiazidique ou apparenté pour le traitement de base de la majorité des patients, l’emploi des bêta-bloquants étant réservé à des indications spécifiques (HTA associée à un angor, un post-infarctus, une insuffisance cardiaque, le souhait de ralentir le rythme cardiaque). Les étapes suivantes reposeront sur l’utilisation de spironolactone, ou d’autres médicaments (alpha-bloquants), le patient devant alors être adressé à un centre spécialisé. L’utilisation de dispositifs médicaux (dénervation rénale, stimulation du barorécepteur, de l’arc aortique, pose d’un pacemaker…) "n’est toujours pas recommandée, en dehors du cadre d’essais cliniques contrôlés en l’attente de données suffisantes d’efficacité et de sécurité", a ajouté le Pr Kostas Tsioufis (Athènes, Grèce). "Les preuves solides manquent encore, en effet", a estimé cet expert, à l’exception de la dénervation rénale, qui semble en tout cas ne pas exposer à des problèmes de sécurité. "Mais, les derniers résultats d’essais positifs sur la dénervation rénale ont été diffusés après la publication des recommandations".  Enfin, les experts insistent sur "l’importance de mieux évaluer le niveau d’observance du patient, facteur majeur de non contrôle tensionnel". Et, considèrent "qu’infirmières et pharmaciens ont un rôle clef pour soutenir, éduquer, et suivre les patients hypertendus traités au long cours".   Prise en charge des HTA secondaires, associées à des comorbidités, risque cardiovasculaire    Les recommandations 2018 précisent aussi les éléments devant faire suspecter une HTA secondaire, la conduite à tenir devant une HTA dans un contexte d’urgence, en situation péri-opératoire, et actualisent la conduite à tenir devant une HTA diagnostiquée durant la grossesse, associée à une comorbidité…. Un chapitre s’intéresse plus particulièrement à la stratification du risque cardiovasculaire global chez les hypertendus, qui sera évalué en utilisant le système européen Score. "Il est essentiel de détecter les lésions d’organes cibles associées à l’HTA car leur présence a une influence importante sur ce risque", a relevé le Pr Enrico Agabiti Rosei (Hôpital de Brescia, Italie). "Les modifications du niveau d’hypertrophie ventriculaire gauche à l’électrocardiogramme, et en échocardiographie, le niveau de filtration glomérulaire ont ainsi une bonne valeur pronostique". Il est par ailleurs préconisé de prescrire des statines dans un but de prévention cardiovasculaire chez les hypertendus avec un risque cardiovasculaire modéré ou élevé (et ce même quand la PA est contrôlée), et de l’aspirine à faible dose en cas d’affection cardiovasculaire associée.  "Le texte complet des nouvelles recommandations de prise en charge de l’hypertension artérielle, sera publié en ligne le 25 août 2018 à l’occasion d’une nouvelle présentation, lors du prochain congrès de l’Euopean society of cardiology (ESC), qui aura lieu à Munich du 25 au 29 août 2018", a signalé le Pr Williams (2).     Classification de la PA mesurée au cabinet et définition des stades de l’HTA.

Catégorie

Systolique (mm Hg)

 

Diastolique (mm Hg)

Optimale

< 120

et

< 80

Normale

120-129

et/ou

80-84

Normale Haute

130-139

et/ou

85-89

HTA stade 1

140-159

et/ou

90-99

HTA stade 2

160-179

et/ou

100-109

HTA stade 3

≥ 180

et/ou

≥ 110

HTA systolique isolée

≥ 140

et

< 90

  Définition de l’HTA selon la mesure (cabinet, MAPA, domicile).

Catégorie

Systolique (mm Hg)

 

Diastolique (mm Hg)

Cabinet

≥ 140

Et/ou

≥ 90

MAPA

 

 

 

Jour

≥ 135

Et/ou

≥ 85

Nuit

≥ 120

Et/ou

≥ 70

  1. heures

≥ 130

Et/ou

                       ≥80

Domicile

≥ 135

Et/ou

≥ 85

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