L'économiste de la santé Frédéric Bizard suspecté de conflit d'intérêt

21/03/2016 Par Catherine le Borgne
Economie

Professeur à Science Po, Frédéric Bizard est devenu l'économiste libéral que l'on s'arrache depuis quelques années. Pourfendeur des réseaux de soins et de l'opacité des assurances et des mutuelles, ami des syndicats médicaux, notamment Le Bloc, il se fait épingler par Que Choisir, qui l'accuse de conflits d'intérêts au vu de ses relations avec l'opticien Essilor.   "Expert reconnu du secteur de la santé à l’international, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de nombreux travaux de recherches", Frédéric Bizard est la nouvelle coqueluche libérale des médias.  Sans relâche, il dénonce les dérives des assurances complémentaires santé : frais de gestion astronomiques, opacité des contrats rendant la comparaison impossible entre les différentes offres, cotisations élevées pour de maigres remboursements. Dans son ouvrage, Complémentaires santé : le scandale ! (éditions Dunod) réédité début 2016, Frédéric Bizard dénonce la complicité des pouvoirs publics qui ont, selon lui, choisi de donner les clés de la protection sociale aux organismes complémentaires. Pour réduire les restes à charge, Frédéric Bizard défend une autre idée : interdire aux organismes complémentaires la prise en charge des tickets modérateurs de la médecine de ville. Avec la manne dégagée, ils auraient l’obligation de couvrir les vrais risques, c’est-à-dire les dépassements d’honoraires facturés par les professionnels de santé (et cela sans aucune limitation. "Ce serait de loin la mesure la plus efficace pour lutter contre les renoncements aux soins pour raisons financières mais aussi contre les déserts médicaux", affirme Frédéric Bizard. Que choisir ajoute : "Sans rire.". Le professeur milite activement pour l’interdiction de tous les réseaux conventionnés. Il est ainsi l’auteur du rapport remis en octobre dernier à Daniel Fasquelle, député du Pas-de-Calais (Les Républicains) préconisant leur suppression pure et simple. Même si la proposition de loi qui a suivi dans la foulée a peu de chances d’aboutir, la démarche a mis du baume au cœur des syndicats professionnels (dentistes, opticiens, médecins) qui accueillent Frédéric Bizard à bras ouverts lorsqu’il parcourt la France pour distiller la bonne parole. Sentant la menace, les instances de l’assurance n’ont pas tardé à réagir. Une charge virulente, publiée dans l’Argus de l’assurance du 7 mars dernier, met en cause les compétences de Frédéric Bizard et sa légitimité à prendre la parole en tant qu’expert dans le débat sur l’assurance santé. "Avant de prétendre travailler sur le système de santé des hommes, Frédéric Bizard a d’abord été un spécialiste du soin… des animaux. Diplômé de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, il a ensuite décroché un MBA de l’Ensad de Fontainebleau, avant de se lancer dans les affaires. Il crée ainsi au début des années 2000 la société Kiria spécialisée dans le bien-être…", peut-on lire dans cet article. Après la mise en liquidation de cette société en 2012, "il crée le cabinet Salamati Conseil et commence à faire parler de lui dans les médias". Mais hormis deux ouvrages, nulle trace des publications de l'économiste dans des revues scientifiques à comité de lecture ! Quant à son programme d’enseignement à Sciences-Po, il porte sur la communication et le développement en entreprise ! "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose", a aussitôt répliqué l’intéressé dans un droit de réponse publié dans la Lettre de l’assurance du 9 mars, faisant notamment étalage de tous ses diplômes et titres universitaires. Et d’ajouter "Je suis un homme totalement libre et indépendant de tout lobby, y compris des financiers…". Pas tout à fait vrai cependant ! Un courriel confidentiel dont Que Choisir a pu se procurer une copie met à mal cette belle profession de foi. Il s’agit d’un document adressé à ses adhérents par le Sidol (Syndicat des importateurs et distributeurs en optique lunetterie) concernant la série de conférences données par Frédéric Bizard dans plusieurs villes et subventionnée par le Gifo (Groupement des industriels et fabricants de l’optique) présidé par le directeur général d’Essilor France, Ludovic Mathieu. Le syndicat recommande dans ce courriel à ses adhérents de participer à ces rencontres mais de garder le silence quant à leur appartenance à des organisations professionnelles ! [Avec Quechoisir.org] Le Gifo tient à donner l'information suivante : "Le Gifo et son président encouragent le débat d'idées des différents acteurs du marché au sein de cette association professionnelle. Certains adhérents ont exprimé le souhait de participer à ces réunions en tant qu'auditeurs, ce qui a été facilité, comme cela a également été le cas lors de réunions avec des représentants des réseaux de soins, de la CNAMTS ou encore des associations de patients". Remis à jour le vendredi 8 avril à 18 heures.

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Stéphanie Beaujouan

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