Egora : Quelle est la prévalence des TMS dans la population active ? Pr Yves Roquelaure : Il y a eu une augmentation de plus de 20 % par an au début des années 2000 puis une stabilisation depuis 2010, venant en partie des modifications du tableau des maladies professionnelles, de la prévention et des pertes d’activité économique. Les TMS touchent 8 à 10 % des salariés, et deux fois plus à partir de 45-50 ans, mais ces chiffres ne reflètent pas la fréquence en population générale. Les TMS sont plus ou moins sévères, allant de la douleur à la tendinopathie. Parmi les cas déclarés, les trois-quarts sont reconnus en maladie professionnelle. Le système est plutôt favorable en France avec une présomption d’imputabilité. Mais il faut que les symptômes figurent dans les tableaux et il y a une autocensure des travailleurs. Quant aux non salariés, ils ne s’assurent pas et ne sont pas reconnus. Or les TMS sont la première cause d’invalidité des indépendants. Quels sont les secteurs d’activité et les profils de travailleurs les plus à risque ? Les principaux secteurs sont l’agroalimentaire, le BTP, le nettoyage, le soin. Maintenant, 30 à 50 % de la société exerce dans le secteur administratif, qui entraîne des pathologies hors tableau : cervicalgies, dorsalgies, lombalgies. Ces maladies sont courantes chez ceux qui travaillent sur écran, sont en télétravail et/ou sont sédentaires. L’hypo-sollicitation neurophysiologique est le parent oublié des TMS. Reconnaître la douleur comme une maladie professionnelle est un enjeu important. La prévalence des TMS augmente chez les jeunes, exposés aux conditions de travail difficiles et à la précarité… Dès que l’on dérégule le système de l’emploi, on expose davantage les plus jeunes (comme les intérimaires) et les plus âgés. On peut payer des années après la pénibilité du début de carrière. Les douleurs s’accentuent avec l’âge et la durée d'exposition. Plus on allonge les carrières, plus il y aura de TMS, notamment chroniques. Aussi, il faut accompagner l’entrée dans le travail pour éviter la surexposition au risque d’usure et prendre en charge ce phénomène dès l’âge de 45 ans. Il faut penser en termes d’exposome sur la vie entière. Les femmes seraient plus concernées que les hommes, car davantage exposées à des risques professionnels et extra-professionnels et à des contraintes économiques… Il y a un désavantage biologique : sur une ligne de production, le port de charges mobilise proportionnellement plus une femme qu’un homme. Mais l’écart est surtout dans la division sexuelle du travail : les femmes sont surexposées à des facteurs de risque car elles exercent plus souvent un travail répétitif avec contrainte de temps. S’y ajoute l’inégale répartition des charges familiales. Quelques maladies sont liées au sexe, comme le syndrome du canal carpien avec œdème. Quelles mesures peuvent être mises en place pour prévenir la survenue de TMS et leur chronicisation (5 à 10 % des cas) ? Il faudrait une réflexion sur la notion de carrière, en créant une mobilité sociale ascendante. Par exemple, permettre d’évoluer du poste d’aide-soignante à celui d’infirmière, de maçon à chef d’équipe, de mécanicien à chef d’atelier... Ensuite, grâce à la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), faire évoluer les tâches et les cadences selon l’âge. Et diminuer les facteurs d’usure grâce au matériel ergonomique, à la mécanisation, et surtout, à l’organisation du travail. Favoriser l’entraide, la coopération entre travailleurs est un levier très important de prévention. Quel peut être le rôle du médecin généraliste auprès de ses patients ? Le médecin n’a pas d’action sur les conditions de travail mais peut engager le dialogue. Il peut informer sur l’hygiène articulaire et l’importance des échauffements, et, pour les travailleurs sédentaires, donner des conseils pour être actif (travailler debout, marcher…). Il peut délivrer un accompagnement sur la dimension psychologique. Enfin, il peut soutenir ses patients dans la déclaration de maladie professionnelle et les guider vers la bonne filière de prise en charge : réseaux de rééducation… Mais il faut surtout changer les organisations de travail : recréer des collectifs de travail, un climat social favorable, redistribuer les tâches, freiner l’individualisation des évaluations et des rémunérations… Cela nécessite de la stabilité et du temps. Il faut un changement dans la durée, notamment au niveau des politiques publiques. *Le Pr Roquelaure déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour : Anses, INCa, Inserm, EU-OSHA et ETUI. Les autres articles de ce dossier : - Cancers : une origine professionnelle largement méconnue
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