Alors que la réouverture des cabinets libéraux après les confinements successifs faisait craindre une hausse fulgurante des délais de rendez-vous chez les ophtalmologistes, ceux-ci ont en réalité drastiquement baissé en 2022. En moyenne, ils sont passés de 90 jours en 2017 à 48 jours en 2022, tandis que les délais médians, eux, sont passés de 66 jours à 28 jours sur la même période. "Après le Covid, il s’est passé l’inverse que ce qui était prédit", a indiqué le Dr Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), ce vendredi 7 juillet, lors d’une conférence de presse. Objectif : arriver à un délai d’une "quinzaine de jours".
Dans un contexte de démographie médicale en berne, de vieillissement de la population et de hausse des maladies chroniques, les ophtalmologistes semblent prêts à relever le défi de l’accès aux soins, assure le syndicat. Ce dernier a présenté les résultats de plusieurs enquêtes inédites montrant une réelle adaptation de ces professionnels à "la croissance phénoménale de l’activité". "On a réussi un exploit", s’est targué le Dr Bour. Entre 1985 et 2022, le nombre d’actes réalisés chaque année par les ophtalmos libéraux a en effet triplé, passant de 14,5 millions à 47 millions.
Sur la même période, le nombre de cataractes opérées a été multiplié par 8 : en 2022, on a atteint le million. Le nombre de glaucomes traités a été multiplié par 5. Et les ophtalmos ont fait 1000 fois plus d’injections intravitréennes (IVT) pour traiter la DMLA l’an dernier qu’ils n’en faisaient en 1985. Des proportions délirantes quand on sait que les effectifs d’ophtalmos libéraux ont stagné voire légèrement baissé depuis 2010. La densité par habitants a elle aussi baissé légèrement : 8,6 ophtalmos pour 100 000 habitants en 2022 contre 9,2 au début des années 1990.
Un temps de travail égal mais des journées plus denses
Alors comment les ophtalmos libéraux ont-ils fait plus sans être plus nombreux ? Ce n’est pas en travaillant davantage, si l’on en croit les conclusions de l’enquête** sur le temps de travail menée par le SNOF, aussi dévoilées ce vendredi. En 2023, les ophtalmos libéraux travaillent en moyenne 50,4 heures par semaine contre 50,6 heures en 1991, date de la dernière enquête parue sur le sujet et réalisée par le Centre d'étude des revenus et des coûts (CERC). Mais les journées sont "plus denses" car elles sont concentrées sur 4,5 jours par semaine (11h par jour), indique le Dr Bour. Un peu plus de 42 heures sur ces 50,4 heures hebdomadaires sont consacrées aux soins (dont 20% en dehors du cabinet habituel).
En revanche, le temps de travail consacré à d’autres activités a nettement augmenté entre 1991 et 2023, passant de 3,9h à 7,9h par semaine. Ce qui s’explique par "les obligations réglementaires croissantes imposées au corps médical", avance le syndicat. Parmi ces 7,9 heures, 4,7 relèvent en effet de tâches administratives et de gestion, et 3,2 de fonctions électives (URPS, CDOM…), ou, plus souvent, de temps de formation. Une proportion qui "risque de croître avec la montée en charge du DPC et de la recertification", prédit le SNOF.
Le Dr Thierry Bour tient toutefois à balayer une fausse idée : "Les jeunes générations ne travaillent pas moins que leurs aînés. Sinon plus !" Les chiffres en témoignent : 73% des ophtalmos de moins de 50 ans travaillent plus de 40 heures par semaine, ils sont 68% chez les plus âgés.
Des équipes de plus en plus diversifiées
Si les ophtalmos de ville ont pu répondre aux demandes toujours plus nombreuses de rendez-vous tout en bornant leur temps de travail, c’est parce qu’ils ont su s’appuyer sur d’autres professionnels, souligne le Dr Thierry Bour. En 2022, après une baisse des embauches l’année précédente, 78% des ophtalmologistes ont déclaré être en travail aidé avec un ou plusieurs assistants (soit 7% de plus qu’en 2021 et +15% depuis
2019). Cette assistance est largement plébiscitée par les plus jeunes médecins (94% chez les moins de 40 ans et 92% chez les moins de 50 ans). Mais "même parmi les ophtalmologistes âgés il y a une diffusion du travail aidé", indique le président du SNOF, qui pense qu’"on aboutira à une généralisation" prochainement.
Les orthoptistes sont de loin les aides les plus fréquentes dans les cabinets d’ophtalmologie. 70% des ophtalmos travaillaient avec des orthoptistes en 2022, contre 64% en 2020. 58% des ophtalmos travaillaient avec des orthoptistes salariés : "Cette proportion ne montait pas rapidement ces dernières années car il y avait une concurrence exacerbée par les centres de santé, mais qui est en train de se calmer", explique le Dr Thierry Bour, se réjouissant du vote d’une loi visant à mieux les encadrer. 29% s’entourent d’orthoptistes libéraux – qui ont une part d’accès direct depuis le 1er février – grâce aux protocoles organisationnels. Et "17% des ophtalmologistes travaillent à la fois avec des orthoptistes salariés et libéraux", précise le syndicat. "Mais on a parfois du mal à trouver des orthoptistes à embaucher", ajoute le Dr Bour.
47% des ophtalmos faisaient aussi appel à d’autres aides en 2022, contre 35% en 2020. 29% des ophtalmologistes travaillent avec des infirmières (contre 3% en 2015). "Il y a même souvent plusieurs infirmières dans les cabinets." Dans la quasi-totalité des cas, celles-ci côtoient des orthoptistes dans ce cadre. 18% des ophtalmos libéraux font appel à des opticiens salariés "pour des examens de réfraction ou pour l’adaptation des lentilles contact" (14,5% en 2021). Les assistants médicaux en ophtalmologie sont aussi plus nombreux : 20% des ophtalmos travaillaient avec eux en 2022, contre 11% en 2020. "Ce sont souvent des secrétaires upgradées", même si ce statut est "ouvert à d’autres profils", a expliqué le Dr Bour.
De plus en plus, il apparaît que les ophtalmologistes libéraux veulent s’entourer d’un ensemble de professionnels autour d’eux, chacun lui libérant du temps d’une façon ou d’une autre. "Une véritable équipe de soins diversifiée." 61% d’entre eux exerçaient avec plusieurs aides en 2022, contre 51% en 2020 et 41% en 2019. "Cette évolution préfigure ce qui devrait se produire dans d’autres spécialités (y compris en médecine générale) avec le développement des ‘assistants médicaux’, lesquels peuvent être recrutés sur plusieurs profils", avance le syndicat. Selon ce dernier, l’augmentation du nombre d’assistants médicaux (IDE, opticiens, secrétaires upgradées) peut expliquer la baisse des délais de rdv depuis 2019.
Aider le secteur 1 à suivre le cap
Malgré la hausse du recours au travers aidé, celui-ci reste encore limité, en particulier chez les ophtalmologistes travaillant seuls (54%), bien que ce chiffre soit lui aussi en progression. "C’est assez logique parce qu’il y a des économies d’échelle qui se produisent lorsqu’on est plusieurs", a indiqué le Dr Bour. "Les cabinets isolés sont quand même importants actuellement parce qu’ils sont souvent dans des petites ou moyennes villes, de moins de 100 000 habitants, il est important de les soutenir", abonde-t-il, se réjouissant que le règlement arbitral ait ouvert les contrats d’assistants médicaux pour les médecins seuls, ce qui n’était pas possible avant. "C’était une aberration."
Le travail aidé s’est généralisé en 2022 à partir des cabinets de 4 ophtalmologistes. "L’augmentation se fait à la fois par l’arrivée de nouveaux ophtalmologistes qui sont en travail aidé mais aussi par le renforcement des équipes déjà constituées." A noter toutefois que la proportion des cabinets de groupe tend à s’accroître, les jeunes médecins plébiscitant ce mode d’exercice.
Les ophtalmologistes en secteur 1, moins nombreux qu’en secteur 2, sont moins souvent en travail aidé (63% contre 82%), ajoute le syndicat, qui précise toutefois qu’il y a une légère sous-représentation des médecins en secteur 1 dans l’enquête qu’il a réalisée. Chez eux, "ce sont pratiquement que les assistants médicaux qui ont progressé", observe le Dr Bour, qui note le succès de ce dispositif, qui doit être renforcé. "Globalement, il faut aider le secteur 1 à suivre cette évolution" vers la généralisation du travail aidé. "D’où l’intérêt des contrats qui existent dans le cadre conventionnel et qui ont été reconduits dans le règlement arbitral." Selon le président du SNOF, l’ophtalmologie est, à ce jour, la deuxième spécialité après les cardiologues en nombre de contrats signés.
Globalement, le déploiement du travail aidé se ressent par ailleurs sur l’ensemble du territoire, bien que l’on constate un retard en Ile-de-France, lié "au fait que les cabinets sont plus petits, notamment dans Paris intra-muros. C’est donc difficile de s’étendre, mais il est aussi difficile de trouver des nouveaux locaux".
Quantité rime avec qualité
"Notre système fonctionne. Il fait diminuer les délais de rendez-vous et permet de combiner qualité, efficacité et sécurité pour les patients", vante le Dr Bour, qui estime qu’il doit servir "d’exemple pour d’autres spécialités". Car si "la France avait effectivement des difficultés pour assurer l’offre en nombre de consultations et de délivrances d’ordonnances", "depuis une dizaine d’années, on est passés devant l’Allemagne en valeur absolue. On est même le pays en Europe qui a le meilleur accès à la délivrance de lunettes", indique-t-il. Selon le syndicat, en 13 ans, le nombre de montures a augmenté de 95% et de 117% pour les verres, "alors que la population a cru seulement de 5,4".
"La France a également nettement amélioré son accessibilité à l’opération de la cataracte, s’est réjoui le président du SNOF. L’Allemagne est en retrait par rapport à la France. Au Royaume-Uni, c’est la catastrophe." Concernant le glaucome, la France a probablement le meilleur dépistage des pays développés, ajoute le syndicat. Mais aussi "le plus faible taux de prévalence de la cécité".
Fier du modèle mis en place, le président du SNOF assure qu’il "y a encore probablement entre 5 et 10 ans de croissance possible". "On voit bien qu’il y a encore des progressions importantes notamment pour les orthoptistes. Avant que 95% des ophtalmologistes aient deux assistants, il va se passer encore 5-6 ans. On peut penser qu’en 2030 on sera au bout du système. Mais cela va correspondre à une période où il y aura probablement plus d’ophtalmologistes, comme plus de médecins en général", présage-t-il, serein.
Si le modèle d’ophtalmologie d’aujourd’hui semble avoir fait ses preuves, des améliorations apparaissent tout de même nécessaires :
- Conscient de l’importance de lutter contre les déserts médicaux, qui sont "des déserts tout court", le président du SNOF appelle à mettre en place un "plan de déploiement des sites principaux et secondaires dans les zones sous-dotées" qui s’appuierait sur des "mesures conventionnelles incitatives". "Il faudrait 500 sites secondaires à terme, on en a probablement autour de 150 actuellement", indique le Dr Bour. "On se pose beaucoup de questions sur les offres de postes secondaires entre guillemets tenus uniquement par des orthoptistes avec 90% de télémédecine. On ne pense pas que c’est ce que veulent les pouvoirs publics ni les patients." Le syndicat propose l’attribution d’une aide à l’investissement pour l’ouverture de sites secondaires dans ces territoires qui souffrent. Il suggère aussi de rémunérer, en complément du paiement à l’acte, la présence de l’ophtalmo par "une aide forfaitaire à la journée". Une indemnisation kilométrique doit aussi être accordée pour les trajets entre le site principal et le site secondaire. "Il faudrait aussi mettre en place une aide spécifique à la reprise d’un cabinet médical sans successeur car ça met les patients dans une situation difficile et les dossiers médicaux disparaissent". En outre, le SNOF demande d’ouvrir l’Optam dans les zones sous-dotées aux médecins spécialistes, en secteur 2 et secteur 1, n’en bénéficiant pas sur leur site principal. Il plaide aussi pour aller vers des pôles d’ophtalmologie libéraux qui pourraient être "un élément des équipes de soins spécialisés".
-Le SNOF appelle également à "lutter contre la financiarisation en cours de l’ophtalmologie", qui conduit à une "baisse de la pertinence des actes et des examens", à "une prise en charge dégradée", mais aussi à "un surcoût lié à des prescriptions dirigées" et à "une pratique importante de surfacturation ayant pour but l’enrichissement d’acteurs financiers". Pour cela, il demande que la loi du 19 mai dernier soit strictement appliquée et que les centres de santé ophtalmologiques et dentaires qui ne remplissent pas les critères de qualité nécessaires ou qui ont des pratiques frauduleuses soient fermés. "Ce qui manque actuellement, ce sont les capacités financières des ARS à assurer le suivi des dossiers. On espère que les crédits correspondants seront votés dans le projet PLFSS", explique le Dr Bour. Selon ce dernier, "plusieurs enquêtes judiciaires sont ouvertes" concernant plusieurs centres. Dans ce volet, le syndicat milite pour la suppression des offres de télémédecine dans les supermarchés qui "détournent les patients d’un parcours de soin cohérent et aboutissent à un gaspillage des ressources médicales".
- Comme indiqué précédemment par ailleurs, il apparaît indispensable de continuer à développer le travail aidé en équipe pluriprofessionnelle, en soutenant donc le contrat de financement des assistants médicaux, renforçant leur formation par une formation spécifique ophtalmo, ainsi que la création de plages de rendez-vous à délais courts. La coordination avec le médecin traitant doit aussi être améliorée.
- "Il faut aussi améliorer la démographie des ophtalmologistes", poursuit le Dr Bour, pour qui il faut continuer à augmenter le nombre d’internes formés en France. Ce qui permettra aussi de compenser "la baisse à venir du cumul emploi-retraite et du nombre d’étrangers validés". Le SNOF suggère aussi d’"affecter prioritairement les nouveaux postes d’internes aux régions ayant une densité moindre en ophtalmologistes" et de prioriser les stages en milieu libéral.
-Le syndicat entend également optimiser la coordination avec les orthoptistes et les opticiens, ce qui passe par la mise en application dans les cabinets de la primoprescription par les orthoptistes. "On demande aux ophtalmologistes d’utiliser ces possibilités avec leurs orthoptistes salariés." Le renouvellement des équipements optiques par chez l’opticien doit aussi être amélioré, et s’appuyant sur les outils numériques comme l’e-prescription. Ces évolutions devront par ailleurs être évaluées.
- Enfin, le syndicat plaide pour l’instauration d’un dispositif de règles professionnelles pour les opticiens-lunetiers et les orthoptistes. "La plupart des professions paramédicales ont des codes de déontologie, des ordres, il est normal qu’ils aient également des règles professionnelles" juge le Dr Bour.
*Enquête réalisée du 1er janvier au 12 décembre 2022 à laquelle ont répondu 1115 ophtalmologistes (330 en secteur 1, 779 en secteur 2, et 6 en secteur 3, c’est-à-dire déconventionnés). Mais selon le syndicat, l’enquête peut être extrapolée puisque les médecins ayant répondu "exercent à plus de 60% en cabinets de groupe et décrivent l’organisation de l’ensemble de leur cabinet. De ce fait, le nombre d’ophtalmologistes dont l’exercice est analysé est nettement plus important (2146)."
**Enquête réalisée du 1er janvier au 14 juin 2023.
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