Ils ont abandonné le projet.

"A vouloir trop jouer et grapiller des sous, ils ont tout perdu" : une mairie construit une maison médicale mais fait fuir les médecins

C'est l'histoire d'une maison médicale flambant neuve, mais vide faute d'avoir écouté les professionnels de santé qui étaient prêts à s'y installer. Dans la commune du Pins en Seine-et-Marne, une municipalité a, semble-t-il, tout perdu pour une sombre histoire de loyer. Les deux généralistes qui souhaitaient s'y installer ont plié bagage pour la commune voisine. Quant aux paramédicaux, ils ont pris la poudre d'escampette.  

16/07/2024 Par Sandy Bonin
Ils ont abandonné le projet.

"J'étais installé seul depuis 25 ans sur la commune du Pins. En cinq ans, une centaine de confrères sont partis à la retraite dans les 25 kilomètres à la ronde. J'ai rapidement compris que la tension n'allait faire qu'augmenter, je suis donc allé voir la mairie en leur disant que je commençais à souffrir", témoigne, pour Egora, le Dr Couture, médecin généraliste. En ligne de mire, un terrain inoccupé appartenant à la municipalité. "Je leur ai proposé de me vendre le terrain, dans le but d'y construire une maison médicale et de m'associer avec quelqu'un", résume le praticien. Si la mairie semble partante au départ, elle a finalement préféré mettre la maison médicale dans les mains d'un promoteur. "Le Dr Couture ne va quand même pas s'enrichir sur le dos de la commune", avait alors commenté en 2018 un élu, cité par le médecin. En attendant, rien ne se passe… 

Les années s'écoulent et la mairie revient finalement vers le médecin pour mettre en œuvre la maison médicale. Une partie du terrain convoité a déjà été vendu pour y installer une crèche ; le Dr Couture accepte tout de même de se lancer dans l'aventure. Un constructeur est sélectionné pour bâtir des locaux en bois de dernière technologie. Le généraliste projette de s'y installer en s'associant avec sa remplaçante, plusieurs professionnels paramédicaux sont également partants pour se joindre à eux.

Peu de temps après, "la municipalité est revenue vers moi car elle avait besoin de ma signature et de celle de ma remplaçante", relate le Dr Couture. Les deux soignants signent, ce qui permet à la municipalité d'obtenir "70% de subvention et d'aides de l'Etat". "Après cette signature, nous n'avons plus eu de son ni d'image. Ils ne sont plus revenus vers nous", se remémore le médecin de famille. 

La construction, prévue pour décembre 2023 prend du retard. Un prix est alors défini à l'oral pour la location. "Ils s'étaient engagés à nous louer le local pour 17 euros le mètre carré. Nous leur avons demandé de mettre cela par écrit, ça n'a jamais été fait", déplore le praticien. "Sur les 160 élèves de ma promo, nous ne sommes que cinq à nous installer. L'installation fait peur. Les 17 euros du mètre carré m'ont rassurée. Cela faisait un loyer d'environ 700 euros", témoigne la Dre Rima Adjout, ancienne stagiaire et future associée du Dr Couture. 

"Nous avions tous des sons de cloche différents"

Parmi les professionnels intéressés par cette maison médicale, au-delà des deux généralistes figurent un ostéopathe, un kiné, une psychologue, une podologue et une orthésiste. Un médecin urologue accepte aussi de venir exercer un jour par semaine. "Il y avait du monde, c'était génial", rembobine le Dr Couture. 

"Nous avions un groupe WhatsApp commun, et nous nous sommes aperçus que nous avions tous des sons de cloche différents", poursuit-il. Les professionnels découvrent alors, en mars 2024, que la municipalité prévoit de leur appliquer une TVA alors qu'il s'agit de baux professionnels et non commerciaux. Après plusieurs excuses douteuses des élus, les soignants découvrent que l'application de la TVA avait été votée quelques mois plus tôt, en décembre 2023, en conseil municipal. "Aucun de nous n'avait été prévenu ni consulté. Nous nous prenions 20% de plus sur le prix des loyers", explique le Dr Couture. "Et comme ça ne leur suffisait pas, ils ont ajouté là-dessus des loyers sur les parties communes, c’est-à-dire les couloirs, la salle d'attente, les toilettes, la salle de stockage…", s'indigne le généraliste. "Nous n'étions plus du tout à 17 euros le mètre carré. Mais cela avait presque doublé", calcule-t-il. 

Début avril, les professionnels de santé écrivent donc un mail collectif à la municipalité et demandent une rencontre. Ils essuient un refus : "Ils ont refusé une rencontre collective et n'acceptaient que des rencontres individuelles." "Les jeunes sur WhatsApp commençaient à s'agacer, dont ma remplaçante. Moi je ne voulais surtout pas la perdre", se souvient le praticien. Un deuxième mail est alors envoyé. "Nous leur disions de manière plus douce : 'S'il vous plait, il faut absolument nous recevoir sinon nous allons droit vers le fiasco'", se souvient le Dr Couture. Nouveau refus. "Je ne comprends pas comment, pour un projet d'une telle importance avec 13 locaux pour une commune de 1 500 habitants, obtenu grâce à notre signature, ils refusent de nous recevoir alors que je suis installé sur la commune depuis 25 ans", se questionne encore le médecin. 

 

La recherche d'un plan B

"La maire est ma patiente depuis 25 ans, je lui ai fait confiance quand elle m'a demandé de résilier mon bail", s'indigne le généraliste, qui risquait de se retrouver sans locaux au 19 juin. "Après deux refus de rencontre et la crainte de perdre mon associée, j'ai ouvert les yeux dans les communes adjacentes", confie-t-il. Le médecin constate alors que plusieurs communes des alentours recherchent des médecins et qu'aucune n'applique de TVA… "A Vaires-sur-Marne, le discours est limpide. Il n'y a pas de TVA ni de loyer sur les parties communes. Les locaux sont neufs… J'en reste là, mais je me dis que cela fera un plan B", raconte le Dr Couture, qui préfère, dans un premier temps, poursuivre son exercice dans sa commune.

Partie prenante du projet, la pharmacienne s'inquiète du risque de perdre les médecins et demande à la mairie si les soignants ont bien obtenu le projet de bail. "On lui a répondu que ça nous avait été remis en main propre, ce qui était faux", assure le généraliste. "Encore un mensonge", s'agace-t-il. La pharmacienne écrit alors une pétition devant le flou lié à la maison médicale. Et cela fait mouche, puisque la maire accepte enfin de recevoir les soignants le 1er mai. Mais c'était déjà trop tard. "On avait déjà perdu quatre professionnels de santé sur sept, dont ma remplaçante et le kiné qui devait louer quatre locaux", se désole le Dr Couture. 

"Je n'avais pas envie de m'ajouter une pression supplémentaire"

"Un tel climat pour démarrer un activité, c'était toxique. S'installer c'est assez stressant. Je n'avais pas envie de m'ajouter une pression supplémentaire", confie la Dre Adjout. "La mairie, n'a pas fait son devoir, a menti, a fait le choix de l'argent en voulant nous en prendre énormément et se servir de la maison de santé à des fins lucratives pour leur budget", a, de son côté, commenté le kiné dans un échange de messages avec le Dr Couture. 

Malgré cela, le Dr Couture accepte de rencontrer l'équipe municipale : "Je me suis quand même déplacé avec l'ostéopathe, la psychologue et la pharmacienne. J'ai alors dit à la maire que sans mon associée et dans ces conditions, je n'irai pas dans la maison médicale. Il était hors de question que je quitte un local pour me retrouver seul dans un autre local." D'autant qu'en lisant le bail de près, le généraliste découvre que l'article 14 mentionne qu'en cas de décès du locataire, la famille continuera à payer le loyer… Et qu'un dépôt de garantie de trois mois de loyer est obligatoire. "A vouloir trop jouer et grapiller des sous, ils ont tout perdu." Depuis, seul l'ostéopathe s'est installé dans la maison médicale.  

"Mon plan B est finalement devenu notre plan A et j'ai signé le 10 mai à Vaires-sur-Marne avec ma remplaçante. La maire nous a accueilli à bras ouverts", explique le Dr Couture. "Les termes du contrat étaient clairs. Nous avons été bien reçus et mon loyer sera pris en charge pendant un an, ce qui va me permettre de commencer mon activité sereinement", ajoute la Dre Adjout. 

Lorsque le Dr Couture a annoncé son départ définitif à la maire du Pins, "elle l'a très mal pris", relate-t-il. "Elle a alors fait un message calomnieux sur Facebook à mon encontre et à celle de ma remplaçante", s'indigne le généraliste. "Les dés étaient pipés", a en effet écrit l'élue à propos des médecins. "Il n'en demeure pas moins que par appât du gain, les médecins ont préféré quitter leurs patients pour des considérations économiques…", a ajouté la municipalité. "Ils nous ont lynché sur Facebook", déplore la Dre Adjout, soucieuse de "laver son honneur".

Copie du message posté par la mairie de Pins sur Facebook.

"J'ai cherché à m'installer au plus près de mon ancien cabinet pour que mes patients puissent me suivre. Je ne suis qu'à une dizaine de minutes du Pins", se justifie le Dr Couture, avant de poursuivre : "Et je me suis organisé avec la pharmacienne pour les patients qui ne peuvent pas se déplacer, je ferai une visite tous les deux mois à mes personnes âgées. On s'attache aux patients."

"Personne ne nous en voudra d'avoir trouvé une porte de sortie en parallèle de ces réunions, car malgré notre envie réelle et notre motivation à travailler avec un potentiel groupe comme le nôtre, pour nous aussi les dés étaient déjà pipés. Pas de possibilité de négociation, pas de remise en question de la mairie, pas de discussion réelle et franche avec les praticiens, et la volonté de nous faire passer pour des crevards, alors que l'on connaît notre utilité, qui est publique qui plus est. Le plus important est que les patients ne nous en voudront pas, car ils sont lésés tout comme nous l'avons été", a souhaité commenter le kinésithérapeute.

Sollicitée à plusieurs reprises, la maire du Pins, Lydie Wallez, n'a pas donné suite.  

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Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus

4 débatteurs en ligne4 en ligne
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il y a 5 mois
Ce apparatchiks prétentieux qui sont pour certains aux manettes que ce soit au niveau municipal, régional ou plus haut encore ne voient pour beaucoup que des chiffres sur un tableur Excel. Il leur man
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il y a 5 mois
Cas moins dramatique dans la commune où j'exerce mais néanmoins révélateur du mode de pensée de certains élus : installé depuis 10 ans dans la commune, seul, un confrère et une consoeur me rejoignent
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il y a 5 mois
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