Assistants médicaux : la Cnam dévoile son jeu

24/01/2019 Par Aveline Marques
Assurance maladie / Mutuelles

C'est l'une des mesures phares du président Macron pour lutter contre les déserts médicaux : d'ici la fin du quinquennat, 4000 assistants médicaux seront embauchés dans les cabinets pour soulager les médecins d'un certain nombre de tâches chronophages. Qui en profitera ? Que feront-ils ? A quel prix ? C'est tout l'enjeu de la négociation conventionnelle qui s'est ouverte ce jeudi 24 janvier entre les syndicats de médecins et la Cnam. Mais entre les immenses besoins des praticiens et les nombreuses exigences des pouvoirs publics, l'écart est tel que la négociation s'annonce difficile.

13 heures. C'est le temps qu'un médecin passe en moyenne chaque semaine à accomplir des tâches non médicales. Autant de temps perdu pour les soins, alors que 11.8% des patients adultes n'ont pas de médecin traitant et que les délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ne cessent de s'allonger. En attendant que la hausse du numerus clausus produise ses effets, il faut "continuer à décharger les médecins d’actes qui peuvent être faits par d’autres", insistait Emmanuel Macron le 18 septembre dernier, promettant le financement de 4000 postes d'assistants médicaux à l'horizon 2022. "Si le besoin est là, nous en financerons autant que de besoin", lançait alors le Président, applaudi par la plupart des syndicats médicaux dont l'appel à l'aide avait enfin été entendu. Mais devant la longue liste des conditions et contreparties à cette aide à l'embauche fixées depuis par les pouvoirs publics, ces derniers ont bien vite déchanté. Alors que la première séance de négociation sur ce sujet s'est tenue ce jeudi 24 janvier à la Cnam, sous le regard attentif des organisations de jeunes médecins, la perspective d'aboutir à un accord en avril est plus qu'incertaine. Le directeur de la Cnam a pourtant prévenu : "Nous devons démontrer que cette approche organisationnelle peut produire des résultats rapides ou alors il sera difficile de résister à la tentation de certains élus d’aller vers des dispositifs coercitifs sur les conditions d'installation des médecins."  

 

  • Quelles conditions et contreparties ?

L'assistant médical bénéficiera non seulement aux médecins généralistes, mais aussi à "certaines autres spécialités en tension", qui répondent à des critères de difficultés d'accès aux soins, de tension démographique et de "pertinence à bénéficier d'un assistant médical", expose la Cnam. Les premiers postes d'assistants seront financés en priorité dans les zones sous-denses. "Il n'y a pas de zonage pour les spécialistes", s'interroge d'emblée le Dr Jean-Paul Ortiz, de la CSMF, qui craint que ces derniers ne soient, de facto, exclus. La Cnam pose par ailleurs des conditions d'éligibilité qu'elles qualifient de "complémentaires", mais qui sont en fait déterminantes. Pour toucher l'aide, le médecin devra d'abord exercer "en mode regroupé", c’est-à-dire "ne pas exercer seul dans son cabinet", insiste la Cnam, prête à concéder des "dérogations" pour les médecins isolés exerçant en zones sous-denses. Le praticien devra par ailleurs "s'inscrire dans un mode d'exercice coordonné", dans le cadre d'une équipe de soins primaires (ESP), d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ou d'une maison de santé. Deux conditions que les syndicats ont bien du mal à comprendre : "Ceux qui en ont le plus besoin, ce sont ceux qui sont isolés", insiste le Dr Jacques Battistoni, de MG France. Pour le Dr Ortiz,  "les médecins isolés doivent être prioritaires, pas des exceptions".

Autre "différent majeur" pour la CSMF, comme pour la FMF et le Bloc : l'exclusion du secteur 2. Dans sa lettre de cadrage des négociations, Agnès Buzyn a souhaité réserver l'aide aux médecins exerçant en secteur 1 ou secteur 2 adhérent à l'Optam. "C'est comme s'ils ne participaient pas à l'accès aux soins dans les territoires", lance le Dr Ortiz. "Vu l'état de la démographie médicale, je suis un peu surpris qu'on puisse se passer des médecins du secteur 2 dans cette affaire", renchérit le Dr Jean-Paul Hamon, relayant les propos d'une pédiatre représentant les Jeunes médecins, observateurs de la négo : "elle est dans une zone où elle est la seule à encore accepter des nouveau-nés, elle assure la continuité des soins et la prise en charge d'enfants en tant que médecin traitant", souligne le leader de la FMF. Reste enfin la délicate question des "contreparties" exigées par la Cnam pour octroyer et surtout maintenir son aide financière à l'embauche. Car si les pouvoirs publics financent un poste, c'est bien pour libérer du temps médical afin que le médecin "fasse davantage de consultations, suive davantage de patients", insistait sur Egora le directeur de la Cnam, Nicolas Revel. L'Assurance maladie propose de mesurer le "bénéfice" par l'augmentation de la patientèle médecin traitant pour le MG ou de la file active pour les autres spécialistes. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, "nous serons amenés à réinterroger le maintien du financement apporté par l’Assurance Maladie". Pour la CSMF, l'AM doit surtout permettre d'améliorer la qualité et non la quantité des soins, "d'accompagner les patients dans leur parcours". Fixer un "indicateur de productivité" est "paradoxal" à l'heure où l'on fait "la chasse aux actes redondants et inutiles", souligne le Dr Ortiz.  

  • Quelles missions et quel profil ?

La Cnam identifie trois champs de missions : des tâches administratives, des missions d'organisation, et des missions en lien avec le soin. L'assistant médical pourrait bien avoir différents profils en fonction de l'exercice du médecin et de ses besoins. Tandis que les spécialistes plébiscitent un assistant technique, sur le modèle de l'assistant dentaire, les généralistes ont besoin d'une super secrétaire médicale, à même de les aider à remplir leurs missions de médecin traitant : accueil d'un nouveau patient, création du dossier, accompagnement dans la prise en charge, dépistages, vaccinations, ouverture des droits… Pour la Cnam, il n'est pas question "à ce stade de créer un nouveau métier". Il pourrait par exemple s'agir d'aides-soignantes en reconversion. "Une modification réglementaire est en cours pour étendre le champ d'intervention des aides-soignants au milieu ambulatoire", précise la Cnam. Dans tous les cas, "il faut aller vite" presse le Dr Battistoni, qui souhaite une formation par VAE ou en alternance. Du profil et des missions, dépendront le salaire et donc le financement. Pour le président de MG France, un poste de secrétaire médical valorisé revient "au minimum à 40 000 euros par an, en début de carrière". Pour un spécialiste de second recours, une infirmière de consultation coûte entre 60 et 70 000 euros chargés.   Quel financement de l'Assurance maladie ? L'aide "à la couverture des coûts salariaux" donnée par la Cnam sera cumulable avec d'autres aides à l'embauche existantes. "Le recrutement d'un assistant médical devra venir en complément et non en substitution d'un emploi déjà existant", insiste la caisse nationale. Alors qu'il était envisagé initialement de la limiter dans le temps, l'aide sera finalement pérenne, rassure la Cnam, mais dégressive, compensée par l'augmentation des honoraires permise par la délégation des tâches administratives. Bien qu'un "autofinancement intégral du dispositif" soit exclu, cette dégressivité constitue un point de blocage majeur pour les syndicats. "La dégressivité est inquiétante, et n'encourage pas à se lancer dans une embauche", signale le Dr Hamon de la FMF, qui plaide davantage pour une exonération de charges sociales comme à La Réunion. L'offre est d'autant moins alléchante pour les médecins qu'elle s'accompagne d'une contrepartie d'augmentation de leur activité. "Dans mon cabinet de groupe, le médecin le plus 'faible' a 1700 patients médecin traitant, je vois mal comment on peut augmenter quand on est dans une zone où deux médecins généralistes sont partis à la retraite, un qui est en burn out et l'autre en arrêt de travail." Si les généralistes allemands suivent autant de patients, c'est parce qu'ils sont entourés de toute une équipe, relève de son côté le Dr Battistoni : secrétaire, assistant, infirmière… Pour le Dr Philippe Cuq, co-président du syndicat Le Bloc, c'est bien le tarif des consultations qui pose problème. "Pourquoi les MG aujourd'hui n'ont pas les moyens d'embaucher une secrétaire médicale alors que d'autres spécialités plus rémunératrices ont du personnel ? Tout ça c'est une question d'honoraires."  

La modulation des rémunérations, l'autre grand sujet de la négo

Conformément à l'article 42 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019, l'avenant conventionnel qui doit être signé au printemps par les syndicats et la Cnam définira également les conditions de "modulation de la rémunération" des médecins, et à terme de toutes les professions de santé conventionnées, "en fonction de leur participation à un mode d'exercice coordonné". "Une modulation, c'est quelque chose qui doit faire varier les éléments de rémunération, en plus et en moins selon que le professionnel s'engage, prend sa part, assume une forme de responsabilité comme ses confrères, ou pas", expliquant Nicolas Revel à Egora.
Si les syndicats sont prêts à entendre qu'un médecin qui participe à des réunions de coordination soit justement indemnisé pour le temps perdu, ils s'opposeront à ce que son confrère qui refuse d'adhérer à une CPTS voit sa rémunération forfaitaire amputée. Pour MG France, c'est clairement "un point bloquant" qui peut rendre impossible la signature d'un accord. Le sujet devrait être abordé en toute fin de négo.

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