Assistants médicaux : les points sur lesquels ils ne lâcheront rien

16/01/2019 Par Karen Ramsay
À quelques jours de l’ouverture des négociations conventionnelles entre l’Assurance maladie et les syndicats représentatifs des médecins libéraux, nous avons interrogé les Drs Jacques Battistoni, président de MG France et Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, sur les chantiers de la rentrée. Bataille rangée ou guerre déclarée ?

  Egora-Le Panorama du médecin : Les négociations avec l’Assurance maladie s’ouvriront le 16 janvier* avec deux dossiers prioritaires, dont celui des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Que proposez-vous pour que cette mise en place se passe le mieux possible ? Jacques Battistoni : Beaucoup de choses ! D’abord que les CPTS apparaissent aux yeux des professionnels de santé comme un ensemble de services pour leur organisation personnelle et pour leurs qualité et confort de vie professionnelle au quotidien. Pour illustrer ce sigle un peu barbare de CPTS, les négos devront mettre en avant les bénéfices que peuvent en tirer les professionnels, et valoriser les actions mises en place par les CPTS ainsi que les outils mis à disposition des soignants. L’objectif est de proposer une meilleure prise en charge de la population, mais nous n’arriverons à rien sans que les professionnels de santé n’y trouvent d’abord eux-mêmes un avantage.

Luc Duquesnel : Il faut d’abord préciser qu’on ne part pas de zéro. Des CPTS existent déjà, et on avait des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) multisites qui étaient des CPTS sans le savoir... Mais toutes ne bénéficient pas des mêmes financements. L’objectif de ces négos est de pouvoir financer, dans un premier temps, un tronc commun des CPTS, pour assurer la coordination au sein de ces structures et l’accompagnement à leur création. Soit une double action : un financement socle au sein de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) des CPTS et un financement complémentaire en fonction des actions menées au travers du fonds d’intervention régional (FIR) des agences régionales de santé (ARS).   En amont des négos, vous avez rencontré la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS), présidée par le Dr Claude Leicher. Où en sont vos discussions ? J. B. : La FCPTS vise à aider et accompagner les professionnels dans la création de leur CPTS sur l’ensemble des territoires. Nous nous sommes tous entendus sur l’essentiel des missions que doivent remplir les CPTS, notamment la nécessité d’avoir un médecin traitant sur tout le territoire et d’organiser une réponse aux demandes de soins non programmés. Cette demande, qui a donné lieu à une mission d’enquête réalisée par Thomas Mesnier en 2018, émane de la population qui doit avoir un mode d’emploi de notre système de santé. Les autres missions des CPTS sont celles décrites par le président de la République en septembre dernier : organiser et améliorer les relations entre le premier et deuxième recours, entre les soins de ville et l’hôpital, agir pour l’éducation à la santé, la promotion de la santé, la prévention, et le maintien à domicile. Il y a un consensus sur la nécessité de valoriser ces missions, à des degrés divers. Nous avons aussi veillé à la création, au sein de la FCPTS, d’un comité d’interface qui fasse le lien entre les syndicats et la fédération. L. D. : J’ai fait partie de l’AG fondatrice de la FCPTS. Et les rôles sont bien définis : les syndicats négocient un accord conventionnel, et la fédération accompagne les projets en cours et recueille les attentes et les besoins. En 2017, nous avons travaillé pendant plusieurs mois sur l’ACI des maisons et pôles de santé avec les syndicats des médecins et des autres professionnels, et la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS). Ce travail en commun nous a permis d’avoir un ACI, reconnu comme étant une grande avancée par rapport au règlement arbitral.   À ce propos, tous les syndicats sont-ils sur la même longueur d’onde ? L. D. : Nous faisons le pari que cela va fonctionner ! Il y a quand même une prise de conscience des syndicats de l’intérêt de s’organiser au niveau d’un territoire. Ce serait une erreur magistrale que les professionnels de santé libéraux ne se coordonnent pas. J. B. : Nous allons le vérifier. Discuter entre nous fait partie du travail préparatoire à la négociation. L’objectif de MG France est de constituer un front commun des organisations syndicales des professions de santé afin de dégager une vision commune de ce qu’on peut faire ensemble et de porter les mêmes revendications. J’ai plutôt l’impression que nos positions ne sont pas très éloignées et que nous devrions trouver un terrain d’entente.  

"Il est inconcevable de devoir partager un assistant médical entre trois, voire quatre médecins généralistes"

  L’autre dossier des négos concerne la mise en place des assistants médicaux (AM), que certains ont chiffré à un coût de 50 000 euros par an et par assistant médical. Alors que la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) parle d’un modèle plutôt dégressif. Allez-vous revenir à la charge sur cette question ? J. B. : Évidemment ! L’AM doit d’abord répondre à nos besoins et à nos attentes. Et pour cela il faut en mettre un nombre adéquat à disposition des territoires qui en ont besoin. Quand MG France a porté le concept de l’AM, deux angles se sont clairement dessinés : celui-ci doit venir en aide aux médecins généralistes qui se retrouvent en difficulté à la suite du départ en retraite d’un confrère du voisinage, et aussi permettre de gagner du temps médical. Mais pour que cela fonctionne, il est crucial d’avoir un nombre suffisant d’AM. Il est inconcevable de devoir partager un AM entre trois, voire quatre médecins généralistes. L. D : Il ne faut pas oublier qu’en parallèle de ces deux négociations il y aura aussi celle sur la convention des cabinets médicaux qui va définir le niveau de formation et le salaire de ces AM. Cette négo se fait dans le cadre d’une convention paritaire avec les syndicats de salariés, car ces AM seront salariés. Pour connaître le coût d’un AM, il faut d’abord savoir quel salaire lui sera versé. Ce coût ne se limite pas d’ailleurs au salaire. C’est aussi l’impact immobilier, notamment les frais d’aménagement du cabinet et de fonctionnement. Il faut donc s’interroger sur l’intégralité du modèle économique.   Pour la Cnam, l’assistant médical évoluera uniquement au sein d’une équipe de deux médecins au minimum, et principalement dans les zones sous-dotées… J. B. : Dès que deux médecins partagent un AM, ils forment de facto un groupe de médecins. Pour mettre en commun les services d’un assistant, ils doivent s’organiser entre eux pour définir ses modalités d’intervention. Dès lors qu’il y a partage avec un autre médecin, nous sommes déjà dans la constitution d’une association, on ne peut plus parler de médecin isolé. Nous défendrons ce point avec force auprès de l’Assurance maladie.

"J’attends qu’on me prouve comment un généraliste pourra, à terme, rémunérer un AM avec une consultation de secteur 1 à 25 euros"

L. D. : Quels sont les médecins libéraux qui ont besoin d’un AM ? On parle d’exercice regroupé, mais parle-t-on de MSP, de CPTS mais aussi d’équipes de soins primaires ? Ce serait un comble que des médecins en exercice isolé ne bénéficient pas de cette aide. De plus, avoir un AM ne doit pas être synonyme de plus d’heures de travail pour le médecin généraliste afin de pouvoir payer son assistant. L’AM doit lui permettre de prendre en charge plus de patients sans travailler plus et/ou d’améliorer la qualité de la prise en charge. J’attends aussi qu’on me prouve comment un généraliste pourra, à terme, rémunérer un AM avec une consultation de secteur 1 à 25 euros. On dit que l’augmentation de l’activité va permettre de le financer. Mais les seuls exemples qui marchent, c’est le ratio un AM pour un médecin. En témoigne cette expérimentation en Pays de la Loire menée par l’URPS médecins en lien avec l’ARS. Celle-ci fonctionne parce que ce ratio est respecté ! Une question organisationnelle se pose également : par exemple, dans un cabinet de trois médecins, comment un seul AM peut-il gérer en simultané trois patients qui ont rendez-vous à 9h30 ? Enfin, on doit élargir au-delà des seules zones sous-dotées la possibilité de bénéficier d’un AM.   Pour ce qui est du profil de cet assistant médical, votre préférence irait vers une super-secrétaire ou un parcours plus paramédical ? J. B. : Nous avons choisi pour l’instant de ne pas trancher. Parce que les besoins des médecins peuvent être divers : ont-ils besoin d’une aide au secrétariat ou d’une intervention dans la consultation ? Nous serons peut-être amenés à choisir à l’avenir, mais je ne le souhaite pas car ce choix impliquerait de se priver de compétences. L’AM doit apporter une valeur ajoutée : intervenir dans le dossier médical, repérer les alertes, faire de la prévention ou du dépistage, orienter le patient…

L. D. : Les missions vont définir le niveau de formation, et donc le profil. Je pense qu’on sera davantage sur le niveau d’une aide-soignante avec deux aspects : une part médico-technique et une part assistance clinique. Le modèle économique n’est pas le même.   Entendez-vous les craintes des infirmières par rapport à ce nouveau statut ? J. B. : Certaines tâches pourraient clairement être réalisées par une infirmière. Nous avons d’ailleurs interrogé les syndicats infirmiers pour savoir si, le cas échéant, il ne vaudrait pas mieux privilégier un profil plus soignant. Leur mécontentement nécessite un dialogue franc, pour échanger sur les besoins ressentis par les médecins et les attentes de la population, et en regard avec les craintes des infirmières. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais la discussion devra nous permettre de dégager des points sur lesquels nous pourrons avancer. Je pense notamment à une gestion conjointe de la réponse aux demandes de soins non programmés pour laquelle la présence des infirmières serait très utile. Il faut inventer un nouveau partage des soins au sein de l’équipe avec les infirmières. Nous allons associer les syndicats infirmiers à notre réflexion en cours sur la place de l’AM.   Ces négociations donneront probablement lieu à des concessions. Sur quelle mesure, en revanche, ne céderez-vous pas ? J. B. : Sur le fait que l’AM ne doit pas être réservé aux médecins en exercice de groupe. On ne doit pas en priver un médecin isolé. L. D. : Très clairement, sur le nombre d’AM ainsi que sur les aides financières. Il ne faut pas croire qu’en mettant à disposition et en finançant pendant un temps quelques AM, il n’y aura plus de problème d’accès aux soins. Nous ne signerons pas un texte qui ferait courir des risques financiers aux médecins. On sera très vigilant sur ce point.  

"Nous avons l’impression que certains professionnels voudraient profiter de notre situation de tension démographique pour "faire à notre place""

  De nouvelles missions sont confiées aux pharmaciens : téléconsultation, bilan de médication, vaccination antigrippale... Un projet d’expérimentation de prescription de médicaments par les pharmaciens a d’ailleurs récemment été rejeté. Ce qui est loin de rassurer les médecins. Qu’en pensez-vous ? J. B. : Qu’on tente de trouver des solutions à la question de la démographie médicale, on peut le comprendre. Mais cela ne peut pas se faire en enlevant au médecin généraliste des éléments de son activité professionnelle qui ne lui posent pas problème. Aujourd’hui, nous avons l’impression que certains professionnels voudraient profiter de notre situation de tension démographique pour "faire à notre place". Nous voulons travailler en équipe pour décider entre nous de la prise en charge d’une population. Mais nous ne voulons pas que des amendements à la loi décident de la manière dont cela doit être fait au sein de cette équipe. La construction des CPTS doit se faire à partir du bas, par des équipes de soins qui décident elles-mêmes de leur organisation. Et non de manière autoritaire et administrative. L. D. : Le pharmacien fait partie de l’équipe de soins primaires sur le territoire. On l’observe d’ailleurs : les médecins, infirmiers et pharmaciens travaillent en étroite collaboration, écrivent des protocoles de prise en charge, etc. Ce qui coince, c’est quand une directive arrive "d’en haut". Il faut arrêter d’agiter à Paris des chiffons rouges qui créent des irritations et des tensions dans les territoires… alors qu’on a l’habitude de travailler ensemble. Prenons l’exemple de la vaccination : en tant que médecin généraliste et médecin traitant, je n’ai pas d’objection à ce que ce soit l’infirmier ou le pharmacien qui vaccine mes patients. Ce qui m’importe, c’est qu’il le note dans le dossier du patient. Globalement, c’est un plus. Mais chacun doit rester sur sa formation et son coeur de métier. Que diraient les pharmaciens si les médecins se mettaient à distribuer et vendre des médicaments aux patients ? On doit aller vers un exercice coordonné et protocolisé. Tout ce qui peut aller à l’encontre de ce genre d’exercice n’est pas dans l’intérêt du patient. Et les pharmaciens ne doivent pas être dans la pratique de la médecine foraine.   Un quota de quinze à trente jours de formation par an a été annoncé pour la recertification des médecins. Cette mesure vous semble-t-elle applicable au terrain ? J. B. : La barre a été placée très haut. Il faut s’entendre sur la notion d’"action de formation". S’il s’agit de quitter son cabinet et de se faire remplacer, c’est totalement impossible dans le contexte actuel. Mais si l’on considère que cela s’applique aussi à la formation continue – par exemple une réunion de concertation autour de patients ou un groupe qualité interprofessionnel –, on peut arriver assez vite à un nombre de jours significatifs. Aujourd’hui, le budget de l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) ne prévoit plus que trois jours d’indemnisation. Mais si les médecins se forment localement avec d’autres professionnels de santé, s’ils font une analyse de leurs pratiques sur leur territoire et la confrontent avec des référentiels d’activité, on peut imaginer que cela soit indemnisé dans le cadre des CPTS. L. D. : Entre l’Assurance maladie et les médecins généralistes de secteur 1, il existe un contrat : si l’on applique les tarifs conventionnés la Sécurité sociale nous finance en contrepartie notre formation. Cette indemnisation est de vingt et une heures… alors que la moyenne européenne est à quarante. On demande donc au Gouvernement de revenir à quarante heures d’indemnisation (ce qui était précédemment le cas) et donc d’investir dans la formation continue des médecins généralistes. Cela fait trente ans que j’exerce comme médecin traitant. Or aujourd’hui, si je respecte toujours mes tarifs conventionnés de secteur 1, l’Assurance maladie, elle, ne respecte plus son contrat.   Pensez-vous que le plan "Ma santé 2022", lancé en septembre dernier, est à la hauteur de la crise que connaît la profession ? J. B. : C’est une réforme qui a l’ambition de toucher l’ensemble des secteurs. Parce qu’il y a aussi, en parallèle des deux sujets déjà évoqués, une réforme des hôpitaux de proximité et le chantier de la réforme de la formation initiale. Ce qui doit donner lieu à une loi santé au printemps 2019. Les bases d’une réforme d’envergure existent, mais il faut s’accorder sur ce qu’on souhaite. Le plan "Ma santé 2022" s’appuie sur le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) qui propose des pistes intéressantes. Il reste à le mettre en musique. Pour l’heure, nous réservons notre jugement. Tout dépendra des orientations qui seront annoncées dans le cadre de la loi santé et de l’issue de la négociation, et donc du rapport de force entre les différents partenaires. L. D. : Il n’est pas à la hauteur pour une simple raison : l’évolution en baisse des médecins généralistes depuis 2007 avec un nombre de libéraux en chute libre mais de salariés en hausse. C’est important de faire la différence entre les deux. Car si cette spécialité médicale n’est pas attractive, son modèle économique ne l’est pas non plus en libéral. Nous ne parvenons plus à adapter nos organisations professionnelles à une démographie qui diminue et une demande de soins qui augmente. Qu’observe-t-on ? L’État s’étant désengagé vis-à-vis de la médecine générale, les seuls qui prennent le relais sont les collectivités locales et territoriales qui vont jusqu’à rémunérer 8 000 euros par mois des médecins généralistes en leur permettant d’exercer dans des cabinets équipés et avec une secrétaire médicale. Il faut donc travailler sans tarder sur le tarif de la consultation médicale. Et adapter son tarif à son contenu. Le modèle économique est aujourd’hui déconnecté de ce contenu alors que la médecine générale a énormément évolué en trente ans.   *Début de la négociation ACI CPTS le 16 janvier à 15 heures et de la négociation sur l’assistant médical le 24 janvier à 9h30. Les discussions s’enchaîneront par la suite en alternance.

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