Que faire face au "consumérisme" des patients? Le désarroi de cette consoeur vous a émus

29/07/2021
Ça vous a fait réagir
Après dix ans d’exercice en semi-rural en Auvergne, Anne* a décidé de déplaquer, essorée et écœurée par l’attitude “consumériste”, “culpabilisante” et "menaçante” de ses patients. Une décision lourde à porter pour cette généraliste, qui a débuté ses études de médecine sur le tard, à 32 ans, “par vocation”. Symbole du “désastre médical” et de la “dégradation de l’exercice de la médecine générale”, cette histoire vous a fait réagir.  
 

Je ne peux que constater la dégradation de notre exercice”, "taillable et corvéable à volonté, pour les bons besoins de la société”, “la médecine moderne, simple prestation de service”... Suite au récit du parcours d’Anne, vous avez été nombreux à témoigner de votre agacement et de votre désillusion face au comportement de certains patients en consultation. Si la décision de déplaquer pour devenir médecin salarié était une décision difficile à prendre pour la praticienne, lecteurs d’Egora, vous lui avez malgré tout apporté tout votre soutien. 
 

Au-delà du cas personnel de Anne, ce témoignage vous a aussi permis de vous interroger sur la pratique de la médecine générale, et plus généralement, sur le rapport des patients au système de santé. Au fil de vos échanges ont émergé des pistes de réflexion pour lutter contre le consumérisme médical. Voici une sélection de vos commentaires. 

 

"Installez-vous en secteur 3"

Par Donbonetti

"Très précise description du consumérisme promu à la fois par les patients et la permissivité de la couverture sociale comme pansement de la désocialisation et de l'inculture narcissique : faillite totale des valeurs et le médecin est pris au mieux en étau, au pire en otage... Laissez crever les cons et installez vous en secteur 3. Le fric restera un passeport de l'exigence mais vos qualités feront qu'elle ne sera pas mise en avant pour d'autres raisons que votre attention à soigner et entendre. Restera cependant un biais insatisfaisant de sélection d'autant qu'il faudra encore savoir dissuader les bobos friqués, les lymophiles itinérants, les vegans déjantès et autres pokémons de cette société vautrée. Aimer la médecine reste cependant le chemin de la réalisation de soi mais aimer c'est un échange et il faut savoir éliminer tous ceux pour qui aimer c'est traiter le médecin comme une pute. Il reste des patients pour rechercher une relation vraie, beaucoup qui ne la trouve plus dans un système complètement décadent et dèshummanisé et il reste même... des malades qui ont besoin de soins, de temps et d'aide. Ils sont encore très nombreux ... Vous parlez vous-même de 80%, puisque ce sont 20% qui vous pourrissent la vie ... Comme disent tous les débiles narcissiques, du foot aux candidats à The Voice : "j'ai tout donné et je vais rien lacher". Pour une fois, il vous faut appliquer cette maxime montante, ce stéréotype du langage des égos. Car, autre maxime en miroir également très répandue par la pub et reprise par les consuméristes narcissiques : "Nous (vous aussi) le valons bien " Courage et merci de votre témoignage si révélateur d'une partie croissante de notre société : celle sur qui s'appuie le totalitarisme, mais c'est (bien que pourtant lié) un autre sujet..."    

"Je retrouve les trois plaies de la médecine libérale"

Par Amoraillon 

"Je retrouve dans ce témoignage émouvant les trois plaies de la médecine dite "libérale". 1) La jalousie morbide des médecins en place, tout sourire pour dire "installez-vous donc chez nous, nous avons besoin de vous" et pas de proposition de constitution de groupe et féroces critiques puisque la clientèle afflue chez vous. 
2)la maladie de Picsou avec l'argent devenu un être à part entière. Je lis ici : "allez en secteur 3, c'est le bonheur assuré ". Étant responsable syndical, j'ai entendu cela des centaines de fois, et je n'ai vu que 3 médecins le faire en 30 ans ...car il faut clairement se l'avouer...

la Sécurité sociale est une rente pour nous. Pas de chômage chez les médecins ! Revenu moyen dans le bas certes, mais le bas de la classe des riches de ce pays...
3) La fonction sociale du médecin est inévitable et 20% de clients emmerdeurs ou inintéressants me parait être un chiffre raisonnable.  Donc la solution choisie par notre collègue est la bonne. Le salariat, la médecine en groupe, l'entraide entre collègues. Le mieux serait la nationalisation de la santé comme au Royaume-Uni, où l'Etat structure la santé et où les soignants sont des employés de la structure, consacrés aux soins, ce pour quoi nous avons été formés ! Jeunes médecins, si possible accédez au salariat, sinon faites des groupes de praticiens avec gardes, accueil de soins urgents, travail 4 jours par semaine, et surtout partage intégral d'honoraires, condition majeure pour anesthésier l'oncle Picsou qui sommeille en chacun de nous.  Bravo pour ce témoignage qui résume bien la problématique de la médecine libérale. Mais sincèrement être médecin est un sacré beau métier, avec le bonheur des études, la passion de la vie professionnelle et la richesse intellectuelle accumulée pour épanouir notre retraite ! Il n'y a pas de quoi pleurnicher !"  

"Enorme souffrance dans l'exercice de ce métier de généraliste libéral"

Par Petitbobo

"Le témoignage d'Anne et quasi tous les commentaires temoignent d'une énorme souffance dans l'exercice de ce métier de généraliste libéral. On est loin des commentaires lénifiants et convenus qui fleurissent à chaque fois qu'Egora nous annonce la bouche en coeur que le ou la major de l'internat a choisi la médecine générale... Le "plus beau métier du monde" relève de la méthode Coué ou oublie de dire que l'exercice de ce plus beau métier du monde est souvent une galère au bout d'un certain temps. Installé debut des années 70, j'ai connu ça moi aussi. En un temps où, pourtant, la patientèle était encore civile dans sa grande majorité, quelle que soit sa CSP ou son origine (...comme on le lit en filigrane). Mais les "horaires m'ont tuer" et ont tué ma vie familliale. Il y a des choses que le couple ne tolère plus. Il n'y a pas que l'éloignement du plus proche théatre ! 
J'ai saisi cette malheureuse ciconstance pour "changer d'orientation" mais encore faut-il pouvoir ! Moi je suis tenant de l'ouverture de solutions alternatives à l'exercice libéral de généraliste au bout d'un certain temps d'exercice : comme pouvoir se spécialiser (je regrette la disparition des CES) ou se salarier. Il n'y a pas de honte, il y a des a priori négatifs qui n'ont pas lieu d'être. Combien de fois j'ai entendu : "c'est bien toi qui a raison !". Celui qui est un bon médecin généraliste en libéral ne devient pas un crétin dès qu'il devient salarié. C'est d'ailleurs la conclusion qu'en a tiré notre consoeur Anne. Pour autant...

comme disent les enfants jouant aux gendarmes et aux voleurs : "qui veut faire le gendarme ?" ... "qui fera le boulot de généraliste ?" Réponse : les jeunes qui le veulent, et ensuite les moins jeunes qui veulent continuer, et ne veulent pas saisir les alternatives..."  

"La faute à la génération des MG affairistes"

Par Vozigues

"Ce consumérisme ce n'est pas la seule faute du public, des patients irresponsables et profiteurs de la Sécu, ce serait aussi la génération des MG affairistes, longtemps pléthorique, que l'on protégeait de la concurrence future à coup de numerus clausus, etc. et qui n'aspirait qu'à faire des actes et encore des actes: "Pour moins de 20 C, 30 C  par jour t'as plus rien [pour changer ta BM?]!" Alors autant vaut-il accepter tout pour conserver un client qui pourrait passer à la concurrence... J'ai personnellement connu en 23 ans d'installation plus la "jungle" que le désert médical, je sais de quoi je parle. Avec le départ de cette brave jeune consoeur, et de son digne et courageux époux (qui n'est pas médecin sans doute ?), ce coin d'Auvergne n'aura ce qu'il mérite quand les "vieux" chibanis finiront par partir (à 70 ans ça doit commencer de fatiguer !): plus de médecin, plus de larbin !"  

"J'ai établi des règles, c'est moi le commandant de bord"

Par F. MG 

"Bon témoignage qui recoupe le mien. Dès le départ avec mon nouveau cabinet j'ai établi des règles auxquelles je n'ai pas dérogé. C'est moi le commandant de bord. Je prends les patients en tant que médecin traitant qu'après une relation de confiance. Le bouche-à-oreille fait le reste. Dès le départ je dis : pour les antibiotiques, les arrêts de travail de complaisance, vous vous trompez de porte. Si vous n'êtes pas satisfait, vous changez de médecin. J'ai une certaine souplesse cependant. Doliprane pour un patient cancéreux, je peux le justifier. Pour un certificat antidaté -on en fait tous- mais je précise dans le dossier médical que c'est avec l'accord du patient. Le problème avec notre consœur c'est qu'elle n'a pas été compagnonnée correctement avec les confrères. De plus si un spécialiste oserait me parler mal alors que j'ai fait mon boulot correctement non seulement je le remets à sa place mais en plus il est boycotté. De plus n'importe quel spécialiste ne pourrait pas faire une semaine de médecine générale et ils le savent tous. Entre diagnostiquer une embolie pulmonaire, un infarctus d'un ulcère gastrique d'un début d'infection rénale d'une sciatique ou ne serait-ce que de la dermato ou de la pédiatrie, ils s'enfuient tous. Le mieux pour notre consœur, est d'aller dans une MSP avec pleins de jeunes médecins. Ou le salariat mais avec le même risque d'être maltraitée. C'est comme en entreprise dans laquelle j'ai travaillé. Il faut d'emblée définir les règles du jeu. En ce qui me concerne je refuse tous les jours des patients en tant que médecin traitant mais j'ai toujours pris les "urgences". Qu'on me juge ou non (vu que sur Egora les non médecins sont foisons maintenant) j'en ai rien à faire."  

 
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