Confrontés depuis le 6 avril à des “déprogrammations administratives”, “imposées de façon autoritaire et unilatérale”, les médecins spécialistes interventionnels ont été contraints de diminuer d’au moins 50% leurs activités dans les blocs opératoires, a assuré le Dr Philippe Cuq, chirurgien vasculaire et co-président du Bloc, lors d’une conférence de presse organisée ce mardi avec le syndicat Avenir Spé.
"Ça s'est passé de façon assez brutale”, à coup de courriers des ARS envoyés aux établissements de santé qui “se tournent ensuite vers leurs médecins et imposent des mesures administratives”, a-t-il affirmé. Ce dernier a alerté sur ce “grand danger”, déplorant des “injonctions” voire des “menaces de contrôle et de non paiement des actes”. “Nous n’avons pas notre mot à dire, a ajouté, amer, le Dr François Honorat, anesthésiste réanimateur et co-président du Bloc. Nous subissons les conséquences de la loi Bachelot qui oblige les établissements à obéir à l’ARS.”
Les médecins spécialistes concernés subissent également un manque de personnel et de matériel, déployés dans d’autres services, notamment des services Covid. “Les ARS essaient de transférer du personnel du secteur libéral vers le secteur hospitalier public”, a illustré par exemple le Dr Philippe Cuq. “On ne prend pas en compte l’expérience de l’année antérieure”, a pour sa part déploré le Dr Patrick Gasser, gastro-entérologue et président d’Avenir Spé, qui craint un retard au diagnostic. “Les choses sont tendues et se tendent de plus en plus.”
“Bombe à retardement”
Alors que des déprogrammations ont lieu depuis le 13 mars 2020, où tout s’est arrêté “de façon brutale”, les spécialistes craignent une “bombe à retardement sanitaire”, ayant constaté, dès l’été dernier, d’importants retards de diagnostic, de prise en charge et “l’augmentation de la morbi-mortalité”. La Ligue contre le cancer annonçait par exemple près de 100.000 retards de diagnostic de cancer depuis la crise sanitaire. De même, Renaloo, l’association de patients atteints de maladies rénales, a enregistré 1.000 greffes qui n’ont pas pu être réalisées en 2020 et 16.000 personnes en attente.
Recul historique de la #greffe de #rein en Fr en 2020 en raison du #COVID19
— Renaloo (@Renalooo) March 10, 2021
1 millier de greffes en moins ‼️
plus mauvais bilan en 15 ans
Pertes de chances sans précédent pour les patients
Inquiétudes +++ pour les semaines à venirhttps://t.co/ZVt77m09Zj pic.twitter.com/xROZ62zqWe
Une étude inédite chiffre l'ampleur des déprogrammations lors de la première vague de Covid
“Souvent l’administration assimile caractère d’urgence et perte de chance avérée à court terme, a souligné le Dr Philippe Cuq, qui a estimé par ailleurs que certaines interventions pourraient être maintenues. On insiste pour dire qu’il y a des pertes de chance à moyen terme et à long terme.”
Selon l’union syndicale Avenir Spé-Le Bloc, les déprogrammations administratives actuelles concernent entre 40 et 80% des interventions "quel que soit le territoire”. Des blocs opératoires ont aussi été intégralement fermés, comme à Marseille. Les médecins spécialistes regrettent la non prise en compte des situations locales. “On préfère la déprogrammation médicale, la collégialité, en prenant en compte tous les éléments”, a insisté le Dr Cuq qui a par ailleurs noté un phénomène très important dans cette troisième vague : les “auto-déprogrammations”. Certains patients, par peur, préfèrent ne pas maintenir leur intervention.
“Des décisions sources d’erreurs”
Ces déprogrammations en série posent également des questionnements éthiques. “Quand on vous dit d’enlever 50% de votre activité, il faut malheureusement faire un tri [...] et, tout cela, dans l’urgence, a indiqué le chirurgien vasculaire. On estime que ces décisions administratives sont des sources d’erreurs pour nous ; de frustration, d’incompréhension et de détresse pour les patients.”
L’union syndicale a ainsi souligné l’enjeu de la responsabilité médicale dans cette période où il n’y a “pas de jurisprudence spécifique” - ce qui risque d’accroître les plaintes de patients - et où il existe des difficultés autour de l’obligation d’information du patient. “Quand on annule une intervention, un examen, il est très difficile de donner une date précise au patient.”
Au regard de cette situation “stressante” et “pesante”, les deux syndicats tirent la sonnette d’alarme : “On est démunis, isolés dans cette responsabilité”, déclarent-ils conjointement. L’Union a ainsi écrit un courrier “modèle” destiné aux professionnels de santé concernés, que ces derniers pourront envoyer au DG ARS en cas de situation de déprogrammation administrative “échappant à la décision médicale”. “Nous n’en acceptons ni le principe ni la responsabilité”, peut-on lire dans ce courrier, dont une copie pourra être envoyée au patient et au directeur d’établissement.
“On ne veut pas assumer cette responsabilité qui nous est imposée par l’administration. On préfère le dire calmement, l’écrire calmement et vous en faire part pour que les pouvoirs publics prennent conscience de ces difficultés”, a conclu le Dr Cuq.
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