"Il faut faire confiance aux gens" : médecins généralistes, ils ne veulent plus avoir à prescrire des arrêts de travail de moins de 3 jours

Le Collège de médecine générale (CMG) lance l'offensive contre les "certificats absurdes" et les "urgences administratives" qui gaspillent un temps médical devenu trop précieux. Son arme : un tampon orné d'un crocodile, inspiré des actions lancées par les médecins belges et néerlandais contre la paperasse. Dans le collimateur des généralistes français, les arrêts de travail courts qui ne nécessitent souvent aucun examen médical.  

29/03/2023 Par Aveline Marques

"Hier j’ai eu une demande de certif pour que H., 5 ans, en moyenne section de maternelle, ait le droit de ne pas faire la sieste à l’école." Sur Twitter, pas un jour ne se passe sans qu'un médecin généraliste ne relate une anecdote de "certifalacon". Ces demandes de certificats médicaux, ressentis comme inutiles et parfois sans fondement règlementaire, gaspilleraient entre 1h30 et 2 heures de temps médical chaque semaine, d'après le ministère, qui a dévoilé le 8 février dernier 15 mesures visant à réduire la charge administrative des médecins, suite à une mission menée conjointement par le Dr Jacques Franzoni et Pierre Albertini, ancien directeur de CPAM. La première de ces mesures vise à faire des certificats "l'exception", et non plus la norme, pour les gros demandeurs que sont les crèches, les écoles, les fédérations sportives, les employeurs, ou encore les services publics ou les bailleurs sociaux lorsqu'il s'agit de l'obtention d’un droit pour les personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie.  

Mais alors que le rapport considère que "l'information précise et actualisée" de l'ensemble des acteurs concernés sur les règles en la matière est un "pré-requis" pour "réguler" la demande, le CMG a décidé de frapper un grand coup en lançant une campagne de communication à destination des patients, des associations et des administrations. Suivant l'initiative belge "Crododile bleu" lancée en début d'année - elle-même inspirée de l'action "Crocodile violet" menée aux Pays-Bas contre les nuisances administratives, le collège invite les omnipraticiens à apposer sur chaque certificat qu'ils jugeraient inutiles un coup de tampon "certificat absurde", orné d'un crocodile. "Le but est d'inciter les gens qui ont demandé ce certificat à réfléchir à cette démarche et à les renvoyer vers le site dédié", explique le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau et "webmaster" du site certificats-absurdes.fr, qui précise que ni le CMG ni même l'illustrateur (Sanaga) ne gagneront un centime sur la vente de tampons. 

 

"Dépolluer" les consultations

L'enjeu pour le Pr Paul Frappé, président du collège, est de "dépolluer" les consultations de toutes les activités qui n'ont "aucune plus-value médicale", a-t-il insisté dans son discours d'ouverture du congrès du CMG, jeudi 23 mars. Ces certificats "qui dérangent aussi bien les patients que les médecins" constituent un luxe que la société ne peut plus se permettre avec une démographie médicale en berne. "C'est toujours pénible de refuser des enfants malades ou des personnes âgées en souffrance, des patients qui ont vraiment besoin d'un avis médical, et de voir dans notre agenda que telle personne a pris rendez-vous pour un certificat pour le compte d'un assureur qui n'a pas confiance en elle", déplore Michaël Rochoy. 

Travail, formation, crèches et assistantes maternelles, scolarité, contrats, assurances, sports… Le site passe en revue les différentes catégories de certificats qui ne devraient plus avoir lieu d'être, si la circulaire interministérielle qui avait été diffusée en 2011 dans une tentative de "rationalisation" de la demande était correctement appliquée. Le texte posait pour principes qu'un...

certificat, qui n'est "pas un simple document administratif", ne pouvait être établi sans examen médical préalable (qui justifie sa demande) et qu'en "l'absence de texte normatif l'exigeant", il n'était donc "pas nécessaire".

 

Mais le CMG va plus loin, en s'attaquant à deux grands domaines pour lequels il considère que le généraliste n'est pas dans son rôle. Dans le domaine des soins, c'est le cas notamment des ordonnances de renouvellement "de soins n'ayant pas vocation à changer", comme les soins de nursing pour des patients âgés ou handicapés dont la situation ne va pas s'améliorer. "Actuellement, les infirmières libérales nous laissent un mot au domicile des patients qu'on voit en visite : 'Bonjour Dr, pourriez-vous me renouveler mon ordonnance : infirmière à domicile, toilette tous les jours, pendant X jours'. On recopie ce qu'elle a écrit : où est la valeur médicale ? C'est une perte de temps, pris sur des visites à domicile que déjà bon nombre de médecins ne veulent plus faire", souligne Michaël Rochoy, qui estime qu'en matière de nursing, les infirmières sont "bien plus pertinentes" pour juger des besoins des patients. "Qu'il y ait besoin d'une prescription initiale, je veux bien, mais un renouvellement tous les ans pour un patient de 85 ans qui a une maladie d'Alzheimer et qui va plutôt en se dégradant…" Même chose pour les kinés, lance-t-il. "On n'est pas là pour contrôler le travail du kiné, nous ne sommes pas leur supérieur hiérarchique, mais des collaborateurs." 

Le généraliste cite également les prescriptions de transport médicalisé, appelant soit à "faire confiance aux ambulanciers", soit à mettre en place "un tiers administratif", qui valide ou non la demande, vérifiant notamment si elle se justifie par la prise en charge de la pathologie qui lui vaut une ALD. "Moi, le patient diabétique qui me dit 'Je vais à l'hôpital voir mon cardiologue', mais qui va en fait voir un spécialiste qui n'a rien à voir avec sa pathologie, je n'ai aucun moyen de le contrôler. Je fais confiance aux gens… Il faut leur faire confiance ! Je n'ai rien contre la lutte contre la fraude, mais les médecins n'ont pas à être des contrôleurs, des assureurs de la non-fraude des gens." Entre les certificats absurdes, les renouvellements infirmiers, les demandes de bon de transport, les renouvellements de traitement "en attendant de revoir le patient", et autres "actes que l'on fait entre deux patients", le généraliste a comptabilisé 2000 actes gratuits l'an dernier. Chacun prend "2 à 10 minutes", souligne-t-il.  

 

Auto-déclaration

Mais le plus gros morceau représente sans doute les arrêts de travail de moins de trois jours, ces "urgences administratives" qui bousculent "inutilement" les plannings des généralistes, que le CMG voudrait bien voir disparaître. Lors d'une conférence de presse organisée dans le cadre du congrès, Paul Frappé a pris l'exemple d'un cuisinier en cantine scolaire souffrant d'une gastro-entérite qui consulterait en vue d'un arrêt de travail. "Ce cuisinier, il va falloir le recevoir rapidement : c'est une urgence qui vient encombrer nos créneaux de soins non programmés, argumente le généraliste. Bien entendu qu'il est pertinent qu'il ait un arrêt de travail. Mais l'examen clinique est le plus souvent normal, on ne va pas attendre qu'il vomisse sur la table pour lui délivrer."  

Le CMG plaide ainsi pour que les arrêts de moins de 3 jours, souvent non indemnisés du fait du délai de carence dans le secteur privé*, fassent l'objet d'une auto-déclaration auprès d'un service administratif, comme cela a été le cas pour le Covid. "On pourrait imaginer un plafonnement dans l'année", suggère Michaël Rochoy, qui estime perdre...

ainsi 1 à 2 consultations par jour. "On libèrerait 50 000 créneaux médicaux par jour, juste avec un changement administratif qui ne coûte rien à personne… si ce n'est aux généralistes, qui perdent des consultations simples, souligne le praticien. D'ailleurs, ce sont eux qui devraient défendre le maintien de ces consultations mais quand la mesure a été annoncée au congrès, elle a été applaudie. On veut travailler mieux, pas faire des consultations faciles." 

Après avoir pesé le pour et le contre en recueillant les avis des représentants des médecins mais aussi des employeurs, la mission Franzoni/Albertini s'est refusée à livrer une recommandation, renvoyant la balle dans le camp des partenaires sociaux. De fait, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et le Medef ont manifesté leur opposition à cette mesure, la première craignant une banalisation des jours d'absence et relevant le risque de voir des salariés tomber malades les lundis et vendredis, et le second soulignant que le salarié n'est pas en capacité de s'autodiagnostiquer et que seul un professionnel de santé peut apprécier son état. Le Medef relève par ailleurs que les arrêts courts peuvent être "éclairants pour l'entreprise au regard des objectifs de prévention et de préservation de la santé au travail de leurs salariés". D'après le patronat, une piste mériterait d'être explorée : la délégation de cette tâche aux assistants médicaux ou aux IPA. 

Des craintes de dérives balayées par Michaël Rochoy. "La plupart des gens n'aiment pas perdre 50 ou 100 euros, réagit le généraliste. Et ce phénomène, s'il devait exister, alors il existe déjà : c'est très simple de dire à son médecin : 'J'ai la diarrhée'.

Interrogé par Egora sur la question peu après l'annonce des 15 mesures de simplification administrative, parmi lesquelles la suppression des arrêts de travail courts ne figure pas, Thomas Fatôme, directeur de la Cnam, a lui aussi botté en touche, rappelant que l'Assurance maladie n'indemnisait pas les arrêts de moins de 3 jours. "C'est un sujet qui relève des relations entre les assurés et les employeurs", a-t-il insisté, rappelant toutefois que la Sécurité sociale s'est "historiquement" construite sur les arrêts de travail. "Cela me semble logique qu'un médecin vérifie si l'état de santé justifie un arrêt de travail et par ailleurs justifie aussi une prise en charge", explique-t-il.  

Pourtant, selon Michaël Rochoy, la Cnam aurait tout à y gagner : c'est elle qui rembourse les consultations de médecine générale permettant la prescription de ces arrêts, à hauteur de 17.50 euros. "17.50 euros multiplié par 50 000… ça concerne quand même la Cnam à hauteur du prix d'une belle villa dans le sud de la France avec piscine, tous les jours !", ironise le généraliste. Par ailleurs, le maintien de la nécessité d'obtenir un arrêt pour les salariés ou un certificat justifiant l'absence pour les enfants sape les efforts de santé publique fournis par les praticiens, relève-t-il. "On essaie de faire de l'éducation en disant il ne faut pas consulter dès le premier jour avec une fièvre, qu'il faut se laisser 2-3 jours, le temps de voir comment agit le Doliprane. Mais s'il faut un arrêt de travail, on se retrouve à voir les patients très rapidement pour rien, juste pour une raison administrative." 

Michaël Rochoy ne s'attend pas à ce que le mouvement "crocodile" français, relayé lundi par Les Généralistes-CSMF, ait un "succès phénoménal", que "l'on vende 50 000 tampons et que tous les généralistes se mettent à tamponner les certificats absurdes". "Mais quelques-uns le feront. L'idée est que les gens qui ont demandé le certificat puissent prendre conscience qu'ils ont fait perdre du temps aux médecins." 

*Délai de carence d'un jour pour la fonction publique 

 

Un congé menstruel… sur justification médicale
Suivant l'exemple de l'Espagne, la municipalité de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) a lancé ce lundi 27 mars l'expérimentation d'un congé menstruel pour ses agentes souffrant de règles douloureuses ou d'endométriose. Elles pourront poser deux jours d’arrêt par mois sans retenue de salaire. Une première en France. Le hic : pour pouvoir en bénéficier, les femmes concernées devront passer par la médecine du travail, qui leur délivrera un certificat médical attestant de la maladie ou de règles douloureuses… 

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