"Non, un médecin sur deux n'est pas en burn-out"

22/01/2019 Par Fanny Napolier
Un médecin sur deux présente des signes de souffrance au travail. Alerter, sensibiliser, proposer des pistes d'amélioration, voilà l'ambition du Dr Ziad Kansoun, psychiatre à l'AP-HM, et premier auteur de la plus grande méta-analyse jamais réalisée sur le burn-out des médecins français.

  Egora.fr : Votre étude porte sur plus de 15 000 médecins, sur 17 ans… Est-ce la première fois qu'un si vaste travail est mené ? Et pourquoi était-ce important de le faire ? Dr Ziad Kansoun : Oui, c'est la première fois qu'une méta-analyse est réalisée en France sur le burn-out des médecins. Les chiffres existants sur le burn-out des médecins sont un peu contradictoires. Si on prend toutes les études réalisées entre 2000 et 2017, le taux de burn-out varie entre 25% et 75%. Ces résultats s'expliquent par les différences de technique, de méthode, d'exactitude des relevés, des chiffres… Nous avons voulu faire une méta-analyse pour mettre tout le monde d'accord et sortir un chiffre vrai scientifiquement. La méta-analyse, c'est le type d'étude qui a le plus de poids scientifique. Notre étude montre que 49% des médecins français présentent au moins une des trois dimensions du burn-out. On ne peut pas encore parler de burn-out, mais c'est un signe de souffrance au travail. C'est un chiffre de référence.   A travers cette étude, quel est votre message ? Je voudrais d'abord qu'on arrête de faire peur avec les chiffres. Je n'ai pas voulu sortir des chiffres pour affoler la population, pour que baisse la confiance dans les soignants. Mon message n'est pas de dire que les médecins sont épuisés, risquent de commettre des erreurs et ne sont pas aptes à exercer. Ce qu'il faut retenir, c'est que la moitié des médecins présentent des signes de souffrance au travail. Dire que la moitié des médecins sont en burn-out, sous-entend que le burn-out est diagnostiqué.

Je veux sensibiliser. C'est un métier qui peut être épuisant, c'est une charge de travail énorme. On travaille avec l'humain, on donne de notre personne, et il faut le dire : 50% d'entre nous en ce moment, présentent des signes de souffrance au travail. Améliorons les conditions de travail, pour améliorer la qualité de vie au travail et notre qualité de vie personnelle. Je voudrais ajouter que le burn-out a été décrit pour la première fois au sein d'une population de soignants, dans les années 1970 par Freudenberger. Son étude portait sur les médecins et infirmiers qui s'occupaient d'une population de toxicomanes poly-addicts. Il a remarqué que ces soignants étaient en souffrance. C'est comme ça qu'il a commencé à décrire le burn-out chez les médecins et les infirmiers de la structure d'addictologie. Depuis sa description, ce syndrome a continué à toucher les médecins plus que les autres corps de métiers.   Une particularité de votre travail, c'est que vous avez fait une analyse par spécialité… Oui. Le premier objectif était de sortir un taux de burn-out chez les médecins, un pourcentage commun. Un deuxième objectif était de déterminer les spécialités à risques Certaines spécialités sont-elles plus à risque que d'autres ? Les 37 études que j'ai inclues dans la méta-analyse, sur 900 qui traitaient du sujet, portaient sur quatre populations de médecins : les internes, les urgentistes, les généralistes et les anesthésistes-réanimateurs. Les autres spécialités n'ont pas été étudiées, donc nous n'avons pas pu les intégrer. Si une étude est réalisée demain sur les psychiatres, ils apparaîtront peut-être plus à risque. Mais pour le moment, nous n'avons pas de chiffres à comparer. Sur les quatre spécialités inclues dans notre étude, les plus concernés par la dépersonnalisation et la diminution de l'accomplissement personnel sont les urgentistes (43%, 32%), les internes (34%, 36%), puis les généralistes (27%, 25%) puis les anesthésistes-réanimateurs (18%, 28%).

Par ailleurs, 12% d'urgentistes et 5% d'internes et de généralistes présentent un burn-out sévère, qui se définit par un épuisement émotionnel pathologique, un accomplissement personnel bas et une dépersonnalisation élevée réunis.
Comment expliquez-vous les différences entre les spécialités ? Nous avons comparé les médecins hospitaliers et les non-hospitaliers, mais le fait de ne pas être à l'hôpital n'est pas protecteur par rapport au fait d'être en libéral. Le burn-out se définit par un épuisement psychologique induit par une exposition fréquente à des facteurs de stress au travail. Une des hypothèses c'est que le travail des urgentistes est source de plus de stress, et peut expliquer la plus forte fréquence de burn-out des urgentistes par rapport aux autres médecins. Par ailleurs, les gardes de nuit apparaissent comme le principal facteur de risque de burn-out. Un autre facteur de risque de burn-out connu est la désorganisation ou la mauvaise organisation du travail. On peut imaginer que le travail des urgences induit une difficulté à organiser le travail entre collègues et dans la structure. La mauvaise organisation et les mauvaises conditions de travail peuvent être responsables du surplus de burn-out chez les urgentistes par rapport aux autres spécialités.   Une réforme des études de médecine est en cours. Est-ce un moyen pour prévenir le burn-out et améliorer la situation ? Bien sûr. Quand on suit des études de médecine, on est confronté au monde du travail très tôt. Les études de médecine, c'est beaucoup de travail. C'est épuisant. C'est une grosse charge de travail, de stress, qui sont des facteurs de risque de burn-out. Avant de penser à soigner, le plus utile c'est de sensibiliser. Il faut reconnaître et admettre que le métier est à risque. Toutes les études montrent que les médecins sont deux à trois fois plus à risque que les autres corps de métier. Il faut se le dire.   Le fait d'avoir une grosse charge de travail est-il un facteur majeur de burn-out ? Les médecins ne doivent-ils pas être capables d'encaisser une grosse charge de travail, et donc préparés dès leur formation ? Oui, mais pourquoi continuer à demander autant aux médecins ? Une étude a été menée aux Etats-Unis Une loi a baissé les heures de travail pour les internes de 90 à une soixantaine d'heures par semaine. Un questionnaire a été passé une première fois aux internes, pendant la période où ils travaillaient 90 heures. Six mois après la réduction de leur temps de travail, le même questionnaire a été donné. On a vu qu'en réduisant le temps de travail, on a réduit les taux de burn-out.   Quelles recommandations ajouteriez-vous pour une meilleure prise en charge ? Tout facteur de stress corrigé se transforme en facteur protecteur. Si on compare les facteurs charge de travail et organisation du travail, le second est un facteur de risque supérieur au premier. A une charge de travail équivalente, un service mal organisé, avec de mauvaises relations entre collègues, va souffrir plus des conditions de travail et du burn-out.

Il faut renforcer le travail d'équipe, améliorer les relations entre collègues et c'est ce qui pourra permettre de prévenir le burn-out. Quand des collègues s'entendent mal, il faut une médiation. Les relations interpersonnelles et travail de groupe passent aussi par une meilleure communication. Il faut plus de réunions, plus d'échanges, notamment sur les situations difficiles. Ça permet à un praticien d'être moins isolé avec une situation clinique difficile. Ça permet de répartir le stress sur plusieurs collègues, au lieu qu'un seul fasse les frais du stress. Quand on est jeune médecin, on ne comprend pas par exemple l'intérêt de la réunion. On considère la réunion comme un perte de temps. Alors que je me rends compte, après quelques recherches, qu'une réunion peut tout changer. Une situation difficile vécue par un seul médecin l'épuise, mais s'il peut la partager, ça peut éviter pas mal de dégâts. Ces recommandations ont fait l'objet d'études, notamment aux Etats-Unis. Pour prévenir le burn-out, il existe aussi des recommandations personnelles. L'efficacité des ateliers de gestion de stress, de relaxation, de mindfulness et d'apprentissage des techniques de communication a été démontrée.  Un médecin qui sait communiquer, communique mieux avec ses patients, avec les familles des patients et avec ses collègues. La communication, c'est ce que l'on dit mais aussi ce que l'on reçoit. C'est comment le médecin va apprendre à recevoir la souffrance du patient qui est en face, le stress de la famille… Ce sont des choses qui peuvent favoriser la souffrance du médecin.   Au-delà des médecins que vous souhaitez sensibiliser, vous cherchez à alerter aussi les pouvoirs publics… Bien sûr. C'est à eux d'embaucher plus de médecins, plus de soignants dans les services. Les services où il y a le plus de burn-out ou d'arrêt maladie sont les services où on manque de personnel. Quand un médecin s'arrête, la charge de travail se répercute sur un nombre moindre de médecin. De la même manière en libéral, il n'y a pas de différence.   Avez-vous le sentiment qu'un changement des mentalités est à l'œuvre ? Les jeunes générations ont-elles un regard différent sur le burn-out ? Sur les 37 études sélectionnées, il y a 20 travaux de thèses. Plus de la moitié des travaux ont donc été réalisés par des internes. Les jeunes générations s'intéressent au sujet, c'est clair. La première méta-analyse, qui est la nôtre, est aussi issue de ma thèse d'interne.

Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

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