"Ras le bol de ce diktat administratif" : la démission fracassante d’un généraliste président de CPTS
L’aventure a démarré en 2016, autour du lit d’un patient en fin de vie. « Il m’a dit : ‘Docteur, je veux mourir ici’, se souvient le Dr Xavier Lambertyn, généraliste de 58 ans installé à Lachapelle-aux-Pots, dans l’Oise. Alors j’ai respecté son vœu, ou plutôt j’ai suivi son ordre, car il avait du caractère ! ». Et c’est ainsi que tous les jours, durant deux mois, vers midi, le praticien retrouve les infirmières libérales pour mettre en œuvre un protocole de soins palliatifs. De là, est venue l’envie de mieux se connaître, de mieux travailler ensemble, de se « coordonner ». Alors que le mot n’est pas encore à la mode, les professionnels du territoire commencent à « réfléchir à comment mieux s’organiser » pour prendre en charge leurs patients âgés. En 2017, Marisol Touraine lance les CPTS : c’est « l’outil » qu’ils attendaient. Mais « on allait trop vite, le cahier des charges national n’était pas sorti, ni sa déclinaison régionale. L’ARS était à la rue. On nous a donné carte blanche », retrace le généraliste. La toute première CPTS des Hauts-de-France, couvrant le Pays de Bray, un territoire de 25.000 habitants, naît le 15 mars 2019. 220 hospitalisations évitées D’abord financée au travers d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) signé avec l’ARS puis l’an dernier avec un premier versement déclenché par la signature de l’accord-cadre interprofessionnel (ACI) avec l’ARS et la CPAM, la jeune CPTS constitue « une communauté de soin », rassemblant une cinquantaine de professionnels de santé, dont une dizaine de médecins, soit la quasi-totalité des soignants du territoire, assure Xavier Lambertyn. « On travaille avec l’hôpital de Beauvais, avec les SSR, avec le médico-social. » Leur projet de santé est centré sur la prise en charge des patients âgés à domicile. Avec des résultats : « Nous avons plus de 300 patients en file active. Nous avons évité 220 hospitalisations », chiffre le président de la CPTS, qui s’est efforcé de calculer l’économie réalisée par le système de santé. Si l’on considère qu’une journée d’hospitalisation coûte environ 700 euros, et que la durée moyenne de séjour d’une personne âgée est de 10 jours, « on a réalisé plus d’1,5 million d’euros d’économies », compte Xavier Lambertyn. En regard de cette somme, le coût de fonctionnement de la CPTS, qui se limite à la rémunération d’une coordinatrice et au défraiement des réunions, s’élève à environ 80.000 euros par an, souligne le généraliste, soit 240.000 euros en trois ans. « On rend service à la population et on soulage les médecins », se satisfait ce dernier. Face au Covid, la CPTS s’est également mobilisée, en montant un centre de vaccination et des antennes de prélèvements pour les tests. Toujours avec le souci de toucher les patients les plus âgés. « On est dans un secteur rural et on s’adressait à des patients de plus de 70 ans au début, rappelle le généraliste. Combien ont un ordinateur et sont capables de prendre un rendez-vous sur Doctolib ? Donc on a ouvert une ligne téléphonique et la coordinatrice a appelé tous les maires des communes du territoire pour qu’ils déposent dans leurs boîtes aux lettres un papier avec le numéro pour prendre rendez-vous. » Près de 10.000 vaccinations ont pu ainsi pu être réalisées par les professionnels de la CPTS, mobilisés les soirs et week-ends, jusqu’à ce que l’ARS ferme le centre en novembre 2021. « On s’est fait critiquer sur tout » Alors que le gros de la crise sanitaire était passé, la CPAM et l’ARS ont...
« voulu rediscuter de l’ACI » et notamment des fameuses « missions socles » qui conditionnent légalement les financements des CPTS, depuis la négociation à l’été 2019 du premier accord-cadre. Il prévoit en effet que la CPTS doit assurer trois missions* dans les deux ans suivant sa signature : améliorer l’accès aux soins en facilitant la recherche d’un médecin traitant pour les patients du territoire qui en ont besoin et en organisant les soins non programmés (le SAS a depuis fait son entrée), organiser des parcours pluri-professionnels autour des patients et enfin, développer des actions de prévention. Une première réunion de 4 heures est organisée entre les représentants de la CPTS, de l’ARS et de la CPAM en février dernier. Les professionnels de santé comprennent vite qu’ils ne cochent pas toutes les cases. Soulignant le travail néanmoins réalisé, ils sont invités à faire parvenir « des justificatifs » aux tutelles. Nouvelle réunion le 12 mai dernier. « La trésorière, infirmière, m’avait enjoint à garder mon calme », se souvient Xavier Lambertyn. Raté : le généraliste, syndiqué à la FMF, a claqué la porte au bout de 30 minutes, annonçant sa démission de la présidence de la CPTS. « On s’est fait critiquer sur tout, déplore-t-il. Ils nous ont dit ‘c’est bien ce que vous avez fait’ mais vous êtes hors les clous’. » L’ARS et la CPAM leur ont ainsi reproché d’axer l’ensemble de leurs actions sur les personnes âgées (voire réponse de l’ARS ci-dessous). « C’est le besoin que l’on rencontre sur le territoire, justifie le praticien. Je ne vais pas faire un projet de santé sur les bébés blonds aux yeux verts ! »
Malgré la mobilisation de la CPTS dans la campagne de vaccination contre le Covid, les tutelles ont considéré que la mission prévention n’était pas remplie non plus. « Vous n’avez pas fait de plan d’actions, donc ça ne compte pas », leur aurait-on répondu. « On avait autre chose à faire !, s’emporte le futur ex-président. Notre ‘plan d’action’ à nous, c’était de faire les plannings et gérer les commandes de doses, calculer chaque jour le nombre de patients qu’on allait pouvoir vacciner, et saisir les dossiers. » Quant à la mission « médecin traitant », qui avait déjà soulevé les objections des syndicats médicaux durant les négociations conventionnelles en 2019, « il faut savoir qu’on est dans une des zones les plus dépeuplées en médecins, souligne Xavier Lambertyn. Neuf médecins sont partis à la retraite dans le secteur et dans la ville voisine de Seine-Maritime, six médecins sont partis au 1er janvier, ça nous a énormément impactés. On a plus de 10.000 patients sans médecin traitant. » Un argument qui n’a pas ébranlé l’ARS. « Ils nous ont dit ‘on va donner le numéro de votre coordinatrice aux patients, elle sera en charge de leur trouver un médecin. Il nous faut suivre cet indicateur’. C’est leur grand mot, l’indicateur… », ironise-t-il. « Avec cette densité médicale on rame comme des fous. Comment voulez-vous qu’on fasse ? Cette mission on ne peut pas l’assumer. J’en avais discuté avec des collègues sur le terrain qui m’avaient prévenu que si c’était comme ça, ils quitteraient la CPTS, poursuit-il. Donc...
on a dit stop, la CPTS on ne l’avait pas envisagée comme ça. Et là le directeur financier de l’ARS m’a répondu que si on ne remplissait pas ces missions-cadre, ils ne nous verseraient plus les fonds de l’ACI. Là je suis monté dans les tours… J’ai autre chose à faire que de perdre mon temps dans des réunions avec des gens qui ne veulent rien entendre. J’arrête la CPTS. Moi je suis dans le pratico-pratique, je ne suis pas un administratif.» « Il y en a ras le bol de ce diktat administratif » Quatre jours après cette réunion houleuse, l’ensemble du bureau de la petite CPTS, dans lequel toutes les professions de santé sont représentées, emboîte le pas à son président et annonce sa démission. « De toute façon, ces missions on ne peut pas les remplir… Et si on ne peut pas les remplir, on a plus de financements. » Une assemblée générale doit se tenir le 8 juin prochain pour officialiser ces départs et envisager l’avenir : une nouvelle équipe voudra-t-elle assumer cette charge ou la première CPTS créée dans les Hauts-de-France sera-t-elle également la première CPTS à être dissoute ? « On avait plein de projets : on voulait acheter du matériel pour faire des mesure ambulatoire de la pression artérielle (mapa), reprendre tous les carnets de santé pour mettre à jour les vaccinations », regrette le Dr Lambertyn, qui se dit « écœuré » après s’être investi durant des années, officiant souvent le soir, après sa journée de consultations, de façon bénévole. « Il y en a ras le bol de ce diktat administratif. Là, j’en ai marre, j’ai donné, j’arrête. Je ne fais pas ça pour rendre service à l’ARS mais pour rendre service à mes patients. On s’est aperçus que quand on se coordonnait entre professionnels, les patients étaient beaucoup mieux pris en charge. Ils sont contents et leurs familles aussi. Au moindre problème, ils sont prévenus. La coordinatrice fait le lien entre tous. » Pour le généraliste, ce n’est pas la « CPTS qui va sauver la santé en France. C’est un outil qui peut servir au médecin. Mais on ne doit pas en être les esclaves. » Et le généraliste de souffler : « C’est du gâchis. » *L’avenant 2 à l’ACI, signé en décembre 2021, a ajouté une nouvelle mission-socle : la réponse aux crises sanitaires graves
Jointe par Egora, l’ARS des Hauts-de-France a rappelé qu’en « souscrivant au contrat défini dans l'ACI », qui permet d’octroyer jusqu’à 580.000 euros par an pour les territoires les plus vastes (287.500 euros pour les plus petits), « les CPTS s'engagent en retour de ce financement à réaliser plusieurs missions », dont celles ayant trait à l’amélioration de l’accès aux soins. « Dans le cadre de la revue de gestion réalisée entre les parties au contrat (la CPTS du pays de Bray, l'ARS et l'assurance maladie), il est apparu que la CPTS ne met pas en œuvre certaines de ses missions socle. En effet, la CPTS s’oriente à ce jour exclusivement sur la prise en charge de la personne âgée et n’envisage pas la mise en place d’autres missions cependant obligatoires », déplore l’ARS. « En conséquence, et dans un contexte où les tentatives de dialogue souhaitées par l'ARS et l’assurance maladie n'ont pas trouvé d'écho auprès de la CPTS, les financements prévus en contrepartie de la réalisation de ces missions socles ont été suspendus. Il a toutefois été proposé un accompagnement vers une nouvelle forme d’organisation territoriale adaptée aux ambitions des porteurs et à la spécificité du territoire avec l’enjeu de maintenir la continuité des financements des actions portées. Cette proposition ne semble pas, en l’état, recueillir l’adhésion du président de la CPTS. »
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