
Capture écran Youtube "Supprimer les médecins généralistes ?", Doc'n'roll
"Supprimer les médecins généralistes" : quand un jeune spécialiste bouscule la profession
Sa vidéo, postée le 24 février sur Youtube sous le titre "Supprimer les médecins généralistes ?", a suscité une avalanche de commentaires, certains médecins allant jusqu'à l'accuser de "non-confraternité". Si certains de ses "propos ont pu être mal perçus", le Dr Nans Florens, néphrologue au CHU de Strasbourg, a réussi son pari : susciter le débat sur l'organisation des soins primaires en France et sur l'évolution du métier de médecin.

Capture écran Youtube "Supprimer les médecins généralistes ?", Doc'n'roll
Faut-il "supprimer les médecins généralistes ?" En postant cette vidéo au titre un brin "provocateur", le Dr Nans Florens ne s'attendait pas à susciter "autant de réactions" au sein de la profession. "Mes propos ont été mal perçus par un certain nombre de gens, reconnait ce néphrologue strasbourgeois de 36 ans. Y compris par des personnes qui n'ont pas regardé la vidéo... Mais je suis content qu'on puisse aborder le sujet."
Bousculer le "système", c'est l'une des raisons d'être de "Doc'n'Roll", la chaine YouTube qu'il a lancée il y a cinq ans aux côtés d'un ami infirmier. Suivie par plus de 12 000 personnes, la chaine mêle vulgarisation scientifique et médicale, contenu pédagogique à destination des étudiants et… sujets d'actualité. Après s'être attaqué au Samu/Smur dans une vidéo qui a "suscité bien moins de réactions chez les urgentistes", le jeune spécialiste a mis sur la table la question de l'organisation des soins primaires en France. "J'ai beaucoup hésité avant de faire cette vidéo", nous confie-t-il. Ce qui l'a décidé : "Une conversation avec des amis généralistes, et notamment avec une amie très proche qui m'expliquait comment sa collaboration avec une IPA avait révolutionné sa pratique."
Redoutez-vous le rétablissement de l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires?

Nathalie Hanseler Corréard
Oui
Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus
Que les généralistes se rassurent : pour Nans Florens, il n'est pas du tout question de se passer de leurs services. Mais bien de recentrer leur pratique là où leur expertise est véritablement requise. "Le métier de médecin est en train de changer", pointe-t-il. "Il y a de nouvelles professions de santé qui se développent et vont nous aider à absorber la demande croissante de soins et à remplir notre mission : permettre aux gens de vivre plus longtemps, et de vivre mieux, avec les maladies chroniques. C'est de ça dont il est question aujourd'hui quand on est médecin : comment on prend en charge des cas de plus en plus compliqués, spécifiques, pointus ? Il faut former les praticiens à ça. Tout ce qui va relever du soin courant, de la routine médicale, qui était le centre de la médecine il y a 20 ou 30 ans, ce n'est plus à nous de le faire. Et ça c'est valable pour les généralistes comme les spécialistes", considère-t-il.
Je ne dis pas que le métier de médecin généraliste est facile, bien au contraire
Si un "noyau dur de médecins", notamment au sein du mouvement Médecins pour demain, "refusent l'arrivée de ces nouveaux collègues" - en particulier des IPA -, c'est "essentiellement pour des raisons financières", estime le médecin hospitalier. "Je pense qu'ils ne veulent pas qu'on leur vole des consultations faciles qui rapportent maintenant 30 euros en médecine générale", lance-t-il dans sa vidéo.
Des propos qui ont outré nombre de généralistes sur les réseaux sociaux. "Je suis médecin généraliste et je ne partage pas du tout cette vision très simpliste, qui mélange bobologie et médecine générale sous le terme fourre-tout de 'soins primaires'", fustige l'un d'entre eux. "Oui, il ne fait aucun doute qu'on peut former en quelques années une personne à être parfaitement apte à prendre en charge à peu près correctement un rhume, une gastro-entérite, une entorse, etc. De la même manière, oui on peut aussi lui faire faire du suivi basique de maladie chronique ciblée", commente ce confrère sur Youtube. "Mais moi, mon cœur de métier ce n'est pas ça. Mon cœur de métier c'est de gérer des cas particuliers, c'est-à-dire des patients polypathologiques, pour lesquels il faut avoir des connaissances plus approfondies et transversales. Mon cœur de métier, c'est la vision d'ensemble, qui permet de donner un sens aux actions proposées. Pour ça, il faut aussi que je puisse voir mes patients pour de la bobologie : dans 90 % des cas c'est l'occasion de parler d'autres choses et de faire aussi de la prévention", fait-il valoir.
"Je ne dis pas que le métier de généraliste est facile, bien au contraire : c'est probablement le métier le plus compliqué", se défend Nans Florens. "Ils ne doivent pas avoir une formation au rabais. Les professionnels du soin primaire sont les plus importants. Nous derrière, on est tranquilles : je reçois les patients pour une problématique très précise, je fais très peu de dépistage, très peu de prévention…"
Mais de là à dire "que chaque consultation de généraliste nécessite 12 ans de médecine, qu'il va explorer toute la complexité et l'ensemble des diagnostics différentiels à chaque fois, c'est un mensonge", tacle le néphrologue. "Quand je vois un patient ultra stable et que je lui demande s'il veut renouveler son traitement pour six mois, et qu'il me répond : 'Non, je vois mon médecin tous les mois pour renouveler l'ordonnance.' Ça me rend fou. Là, on ne va pas me dire que ce n'est pas une consultation facile."
Pour le praticien, pour préserver ses ressources et continuer à être "solidaire le plus longtemps possible", le système de santé français doit s'inspirer "de ce qui marche ailleurs" : au Royaume-Uni, au Canada et surtout aux Etats-Unis, où Nans Florens a exercé durant deux ans en postdoctorat. "Le système de santé américain est inégalitaire, mais ce n'est pas la question. Là-bas, quand un hôpital est en déficit, il ferme. Donc ils organisent le soin pour qu'il soit efficace sur le plan financier, je trouve ça intéressant de regarder ce qu'ils font."
Le point de vue d'un spécialiste hospitalier "hors sol", qui ne connait rien à la médecine générale ? "Ça, ce sont des arguments ad hominem de disqualification, dénonce le youtubeur, par ailleurs enseignant à la faculté de médecine. Ça biaise le débat : c'est un spécialiste qui parle, donc tout ce qu'il dit sur les soins primaires n'a pas de valeur." Si le point de vue sur la question des généralistes est central, les spécialistes du second recours comme les hospitaliers ont leur mot à dire, estime-t-il. "Le maillage du système de santé, c'est une toile d'araignée : on est tous interdépendants. On doit pouvoir dire ce qui ne marche pas."
D'ailleurs, Nans Florens a aussi "beaucoup de choses à dire" sur sa propre spécialité. "La néphrologie libérale ça rapporte un max de blé", lance-t-il. "La problématique aujourd'hui c'est l'accès à la greffe, qui doit être optimisé, les modes de fonctionnement hétérogènes sur les bilans pré-transplantation. Il y a un sujet sur la dialyse dans les centres privés, poursuit-il. A l'hôpital aussi : est-ce qu'il y a besoin que le néphrologue soit toujours présent pour faire la visite en dialyse ? On voit beaucoup trop souvent nos patients, on devrait se concentrer sur la gestion de cas complexes, sur la coordination de filières."
Pour le jeune enseignant, "on ne peut pas continuer à vouloir faire une médecine qui n'est plus efficace, qui laisse un certain nombre de gens sur le carreau et des problématiques de soin non résolues, sous prétexte qu'on a un fantasme autour de la profession, du médecin à l'ancienne, poursuit-il. Il faut arriver à faire un acte de métacritique sur la façon dont on pratique cette médecine-là"… sans pour autant être taxé de "non confraternité", comme certains médecins le lui ont reproché. Peu après notre entretien, Nans Florens a d'ailleurs reçu un courrier de l'Ordre, interpellé par un confrère "sur une éventuelle dérive déontologique" et lui réclamant des explications.
Mais Nans Florens ne se démonte pas : "Notre métier est au service de la population, les gens ne sont pas au service de cet idéal. Si jamais on n'est pas d'accord avec l'évolution du système, on fait autre chose…"
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