
"Un gériatre sur trois est un ancien Padhue" : ce que deviennent les médecins étrangers régularisés
Alors que les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exerçant en France se sont récemment mobilisés pour dénoncer les modalités du concours leur permettant d'être régularisés, l'Ordre des médecins révèle, dans un rapport à paraître, ce que sont devenus ceux qui ont obtenu le feu vert des autorités compétentes. Combien sont-ils ? D'où viennent-ils ? Où exercent-ils ? Dans quelles spécialités ? Egora fait le point.

Mercredi 12 février, les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exerçant en France manifestaient pour protester contre les résultats des dernières épreuves de vérification des connaissances (EVC), du fait du faible nombre de candidats admis sur liste principale, et pour dénoncer leur statut précaire. Hasard du calendrier, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) s'apprête à publier un rapport, qu'Egora a pu consulter, sur ce que sont devenus les Padhue ayant obtenu leur autorisation de plein exercice. C'est-à-dire ceux qui ont été admis à l'examen de validation des connaissances, ont réalisé leur parcours de consolidation des compétences (d'une durée de deux ans) et ont finalement obtenu le feu vert de la commission d'autorisation d'exercice ; une procédure gérée par le Centre national de gestion (CNG).
Par ce rapport, dont le prisme est "exclusivement démographique", l'Ordre des médecins espère faire taire les "affirmations erronées" selon lesquelles il rechignerait à intégrer ces praticiens, au motif qu'ils "viennent d'ailleurs", explique le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom et coauteur du rapport, à Egora.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
"Dès lors que les compétences sont assurées en amont, l'Ordre joue son rôle d'intégration dans la communauté médicale", assure le généraliste de Pujols (Lot-et-Garonne), soulignant que le nombre d'anciens Padhue inscrits au tableau de l'Ordre ne cesse d'augmenter. Mais justement, combien sont-ils concrètement ? D'où viennent-ils ? Où exercent-ils leur activité dans l'Hexagone une fois leur parcours du combattant passé ? Dans quelles spécialités ? Chiffres à l'appui, l'Ordre offre un aperçu de leur situation au 1er janvier 2025. Voici ce qui ressort de son rapport, d'une quarantaine de pages.
Une explosion des Padhue depuis 15 ans
Au 1er janvier 2025, 19 154 médecins anciens Padhue exerçant ou non une activité sont inscrits au tableau de l'Ordre, indique l'instance dans son rapport à paraître. Ils étaient 7 963 en 2010, ce qui représente une augmentation de 141% sur la période (+11 191 médecins), ou encore "une multiplication par 2,4 des effectifs sur cette période de 15 ans", peut-on lire. "Les anciens Padhue sont, pour les trois quarts d'entre eux, des médecins arrivés ces 20 dernières années, ils sont pour l'essentiel encore en activité et pas retraités", précise le Dr Mourgues.
Parmi les anciens Padhue inscrits à l'Ordre, près de 93% sont en effet actifs (actifs réguliers, intermittents ou retraités actifs). Parmi eux, une grande majorité a une activité régulière (83,4%), 6,1% des anciens Padhue exercent une activité intermittente et seuls 3,3% sont retraités actifs. "Ils sont une cohorte de médecins, un contingent, qui a sa place, puisqu'ils représentent 8% des médecins en activité régulière" inscrits à l'Ordre, souligne son vice-président.
Le Dr Mourgues ajoute, par ailleurs, que les anciens Padhue ne représentent pas les seuls médecins étrangers inscrits à l'Ordre, bien qu'ils soient "un des piliers", puisque viennent s'ajouter les médecins diplômés au sein de l'Union européenne, et dont le processus d'intégration est différent.

Le Cnom dessine, en outre, un portrait-robot de ces anciens Padhue, dont l'âge moyen est de 52,4 ans (contre 47,9 ans pour l'ensemble des médecins inscrits à l'Ordre). 13,5% d'entre eux ont moins de 40 ans, et 31,7% ont 60 ans ou plus. Le taux de féminisation de ce contingent est de 36,9%, contre 52,6% pour l'ensemble des médecins inscrits au tableau.
Une surreprésentation du bassin méditerranéen
Les anciens Padhue inscrits à l'Ordre sont, pour "les trois quarts d'entre eux", diplômés de cinq pays du bassin méditerranéen. D'abord, en majorité d'Algérie (38,8%, soit 6 891 médecins), Tunisie (15,1%, 2 691 médecins), Syrie (8,6%, 1 524), Maroc (7,4%, 1 310) et Liban (4%, 704). Viennent ensuite Madagascar, la Russie, le Bénin, le Togo... Si l'on ne tient compte que des anciens Padhue en activité régulière, c’est-à-dire qui ne sont pas en cumul emploi-retraite ou en activité intermittente, on retrouve des proportions similaires concernant les pays d'obtention de leur diplôme.
Un apport important dans les zones moins dotées
Après avoir validé leur parcours en France, ces anciens Padhue exercent, pour la plupart, en Ile-de-France, révèle le rapport. "Ils sont quasiment 38%, alors que les médecins toutes origines de diplôme confondues sont 20% [à y exercer]", indique le Dr Mourgues. Un "fait notable". Les Hauts-de-France prennent la deuxième place des régions plébiscitées par les anciens Padhue (8,8%), suivis de près par l'Auvergne-Rhône-Alpes (8,6%). Au niveau départemental, le rapport de l'Ordre fait état d'une répartition "très contrastée d'un département à l'autre", avec, par exemple, 2% d'anciens Padhue dans le Doubs contre 29% dans l'Eure et Loir. Ils sont aussi très nombreux dans le Val d'Oise, l'Orne, l'Essonne, l'Aisne ou encore la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis.
Globalement, les anciens Padhue ont plutôt tendance à s'établir dans des territoires à faible densité médicale, observe le Dr Mourgues. "La proportion d'anciens Padhue dans les médecins inscrits au tableau est plus faible dans les départements à densité médicale moyenne ou forte", notamment les métropoles régionales avec CHU ou les zones littorales (3,7% dans les Bouches du Rhône, 1,7% seulement en Loire Atlantique, 1,4% dans les Pyrénées Atlantiques, à titre d'exemple).
Se basant sur deux exemples (l'Orne et l'Eure et Loir), l'Ordre avance par ailleurs que ces médecins étrangers ont un "exercice fortement orienté vers les espaces (péri) urbains et ruraux défavorisés", selon la typologie des territoires de vie santé de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes).
A la lumière de ces éléments, l'Ordre souligne la "contribution" des anciens Padhue, et estime qu'ils constituent une "réponse aux zones en tension médicale, sans toutefois permettre à ces territoires en difficulté d’accès aux soins d’améliorer de façon substantielle leur densité médicale". "S'ils n'étaient pas là, [les départements sous-dotés] n'auraient pas des densités faibles mais très faibles, mais malgré leur apport, ces départements restent à densité faible. C'est le verre à moitié vide ou à moitié plein…", commente le Dr Mourgues, pour qui il n'existe, de toute façon, pas une seule solution pour mettre fin aux déserts médicaux.
Des médecins étrangers surtout salariés, mais…
Le Cnom s'est également penché sur les modes d'exercice de ces médecins étrangers diplômés en dehors de l'UE et inscrits à l'Ordre. 61% d'entre eux s'avèrent être salariés, 23% sont libéraux, et 16% ont un exercice mixte (libéral et salarié). Parmi les salariés, 84% sont hospitaliers. A titre de comparaison, parmi l'ensemble des actifs inscrits à l'Ordre (pas uniquement les anciens Padhue), 43% sont libéraux, 47% sont salariés (dont 30% hospitaliers) et 11% ont un exercice mixte.
Si l'activité salariée hospitalière reste largement plébiscitée par les anciens Padhue en activité régulière (hors activité intermittente et cumul emploi retraite), que ce soit en 2010 (65,6%) ou en 2025 (52,7%), au cours des 15 dernières années, ces derniers "semblent se tourner aussi vers d'autres modes d'exercice, et notamment le salariat hors hôpital", les centres de santé par exemple, précise le rapport. Ainsi, "la proportion de Padhue exerçant en tant que salariés hors hôpital" est passé de 3,8% en 2010 à 9,8% en 2025.
L'Ordre a également réalisé un suivi longitudinal des primo-inscrits Padhue en 2010. Celui-ci montre que si l'activité régulière a été largement choisie par les anciens Padhue au moment de leur première inscription en 2010 (93,6% d’entre eux), leur proportion a diminué au fil du temps. "Certains choisissent l’exercice intermittent/remplaçant au cours de leur carrière", indique-t-on.

Un tiers des gériatres sont d'anciens Padhue
S'agissant des spécialités exercées par les anciens Padhue inscrits au tableau, le rapport montre une "proportion plus importante de spécialistes médicaux" hors médecine générale par rapport aux deux autres cohortes (médecine générale et spécialistes chirurgicaux). En effet, 63,8% exercent en qualité de spécialistes médicaux (hors MG) alors qu’ils sont, respectivement, de 19,6% et 16,7% pour les médecins généralistes et spécialistes chirurgicaux. Sur l'ensemble des médecins inscrits au tableau de l'Ordre, toutes origines de diplôme confondues, 40,7% sont généralistes, quand ils sont respectivement 12,7% et 46,5% pour les spécialistes chirurgicaux et médicaux.
Près de la moitié des médecins actifs anciens Padhue inscrits au tableau de l'Ordre exercent dans les spécialités suivantes : médecine générale (19,8%), psychiatrie (8,8%), anesthésie-réanimation (7,8%), radiodiagnostic et imagerie médicale (6,7%), pédiatrie (6,6%) ou encore en gériatrie (5,9%), cardiologie (5,1%), gynécologie obstétrique (4,4%), ophtalmologie (2,8%) et pneumologie (2,5%). En revanche, si l'on tient compte de la proportion de ces anciens Padhue parmi les actifs de chaque spécialité, les chiffres de l'Ordre offrent une autre lecture. "Un gériatre sur trois en France est un ancien Padhue", indique ainsi le Dr Mourgues. A contrario, s'ils sont plus nombreux à faire de la médecine générale, les anciens Padhue ne représentent que 3,5% des actifs dans cette discipline, par "effet de volumétrie". En effet, "la médecine générale, c'est 40% des [médecins] inscrits en France", précise le vice-président du Cnom.
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