Installation : une enquête révèle ce que veulent les jeunes médecins
Augmenter de 20 % le nombre de médecins formés ne suffira pas à repeupler les déserts. C'est un fait sur lequel tout le monde s'accorde. Mais comment inciter les jeunes à s'installer ? Alors que la tentation de la coercition est de plus en plus forte, l'Ordre a sondé les âmes de quelque 15 000 médecins : internes, remplaçants, installés. Les résultats de cette vaste enquête, présentés ce jeudi 11 avril, tordent le cou à certaines idées reçues.
"Nous sommes en pénurie de médecins. Sachant que seuls 15 % d’entre eux souhaitent entrer dans un exercice libéral, si un conventionnement sélectif leur est imposé, soyez assurés que ces 15 % encore sensibles à l’exercice libéral à la fin de leurs études choisiront immédiatement un poste de médecin salarié. Car des milliers de postes salariés sont vacants sur le territoire français", plaidait Agnès Buzyn à l'Assemblée nationale il y a 3 semaines encore. Pour s'être opposée systématiquement aux nombreux amendements au projet de loi de santé limitant la liberté d'installation des médecins, la ministre de la Santé a été taxée de corporatisme. Élus de l'opposition, maires, associations de patients : à mesure que les déserts médicaux s'étendent, ils sont de plus en plus nombreux à réclamer une politique coercitive en la matière.
C'est dans ce contexte que la commission Jeunes médecins du Conseil national de l'Ordre des médecins (conseillers nationaux et organisations de jeunes) a souhaité mener l'enquête sur les "déterminants à l'installation". Le questionnaire a été diffusé à l'ensemble des médecins du 7 janvier au 27 février : sur les 15 319 répondants, 70 % sont déjà installés (40 % libéral, 22 % salarié, 8 % exercice mixte), 16 % sont des internes et 14 % des remplaçants.* Si les résultats confirment l'attrait des jeunes pour les nouveaux modes d'exercice et soulignent l'importance des rythmes de travail, ils montrent également que l'exercice libéral est loin d'être un repoussoir.
- Les jeunes veulent s'installer en libéral
C'est sans doute le résultat le plus surprenant de cette enquête : contrairement à ce qu'avance Agnès Buzyn, 75 % des internes envisagent une activité libérale, quelle que soit sa forme. Seuls 19 % des répondants plébiscitent le salariat, dont 17 % à l'hôpital.
La majorité des remplaçants (65 %) et des internes (57 %) souhaitant exercer en libéral annoncent d'ailleurs leur intention de s'installer dans les 3 ans. Mais paradoxalement, seuls 35 % des primo-inscrits à l'Ordre en 2014 exercent effectivement en libéral cinq ans après. "Il y a une rupture entre l'intention de l'installation, presque massive, et la réalité de l'installation, déplore le Dr Bruno Boyer, président de la commission Jeunes médecins. Ils veulent le faire!" Comment expliquer un tel décalage ? L'enquête identifie de nombreux freins.
- La question cruciale du rythme de travail
Pour la majorité des internes (82%), le choix du lieu et du mode d'installation dépendra des horaires et du rythme de travail. Seuls 46 % des remplaçants jugent pourtant que ce critère a fait pencher la balance entre libéral et salariat.
- L'appréhension du risque économique ?
Pour 59 % des internes et 43 % des remplaçants, le "risque économique" est un frein majeur à l'installation. Évoquant "une crainte multifactorielle", l'Ordre insiste sur la nécessité de former aux notions de gestion, d'entreprenariat et de management afin de faire "mûrir et se concrétiser les projets d'installation" et plaident pour que les territoires jouent un rôle d'"incubateur", comme pour les start-up. D'autant que plus l'exercice est coordonné, plus les charges administratives apparaissent lourdes aux yeux des jeunes. "On nous demande d'effectuer un travail de cadre, en plus d'un autre travail de cadre", résume Vanessa Fortané, vice-présidente "pluripro" de Réagjir, qui exerce en MSP. Sans oublier la question essentielle de la protection sociale. "Il faut aussi intégrer au risque financier ces 90 jours de maladie avec zéros revenus, à payer le salaire d'une secrétaire. Il faut avoir les reins solides", alerte la jeune généraliste. Les organisations de jeune militent pour une prise en charge du régime obligatoire dès le 7e jour.
- Les aides financières sont secondaires
Alors que l'Assurance maladie et les collectivités locales ont multiplié les aides à l'installation ces derniers temps, il semblerait que ces coups de pouce ne jouent qu'un rôle mineur. Seuls 41 % des internes affirment que ce soutien financier direct va déterminer leur installation, tandis que 48 % jugent qu'il comptera peu ou partiellement et 10 % pas du tout. Même constat chez les remplaçants. Quant aux installés, 69 % assurent que les aides financières n'ont eu "aucune influence". "Il ne suffit pas de faire un chèque et de dire 'débrouillez vous avec ça'", insiste le Dr Boyer. Par ailleurs, contrairement à leurs ainés, les organisations de jeune ne font pas de l'augmentation du tarif de la consultation une priorité.
- Les facteurs favorisant l'installation
"Je veux exercer la médecine de ville, si je peux en zone sous-dotée. Mais si j'ai une femme et des gosses, je ne vais pas m'installer dans un village où la première école est à 30 km", nous confiait récemment un interne de 25 ans. L'enquête révèle en effet que la présence de services publics arrive en tête des facteurs déterminants l'installation pour les internes et remplaçants (citée respectivement par 62 % et 57 % d'entre eux), à quasi-égalité avec la proximité familiale (61 et 60 %). Viennent ensuite, dans l'ordre les raisons personnelles, les transports, l'attachement au territoire, le coût du logement, les équipements culturels et sportifs et la "connectique satisfaisante". Bref, l'aménagement du territoire au sens large. Par ailleurs, 86 % des internes détermineront leur projet d'installation en fonction de leur conjoint. "En moyenne, la première inscription à l'Ordre se fait à 32 ans, rappelle Pieter Prats, porte-parole de l'Isnar-IMG. La vie de famille est déterminante." Pour 59% des médecins déjà installés, 81% des internes et 87% des remplaçants, la présence sur le territoire d'autres professionnels de santé ou d'un hôpital est également importante. Pour l'Ordre, c'est le signe d'une "appréhension à être seul responsable de la santé du territoire".
- Plébiscite pour l'exercice collectif ou coordonné
Si 75 % des internes ayant répondu à l'enquête envisagent l'exercice libéral, seuls 3% d'entre eux comptent s'installer seul (contre 24% des installés). L'exercice mixte emporte 27 % des suffrages, suivi par le cabinet de groupe (24 %) et la maison de santé (21 %). Mais les jeux sont loin d'être faits : 15 % des répondants seulement affirment que leur projet d'installation est bien défini. Pour les jeunes médecins, cette faible proportion témoigne d'une "difficulté à se projeter" qui s'explique par le faible temps de stage en médecine de ville. Pour l'heure, 85% des externes ont fait au moins un stage en ville. La réforme du 3ème cycle prévoit que les internes en médecine générale accomplissent deux stages sur six au cabinet, mais toutes les facultés ne sont pas en mesure d'atteindre cet objectif, encore moins de partager le stage en trois terrains d'exercice. "C'est une perte de chance en termes de découverte des différents modes d'exercice", relève Sayaka Oguchi, présidente du SNJMG. Dans ce contexte, le remplacement exclusif apparaît comme une étape préalable presque incontournable : 81% des installés sont passés par là. * Par ailleurs, 53 % des 15 319 participants à l'enquête sont des généralistes, 37% exercent une autre spécialité médicale et 10 % une spécialité chirurgicale. Les répondants sont des femmes à 60 % et la majorité (52 %) ont moins de 40 ans.
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