Téléconsultation : faut-il tout déréguler ?

01/10/2020 Par Aveline Marques
E-santé

Alors que la télémédecine s'est considérablement développée durant le confinement, les syndicats de médecins libéraux et la Cnam négocient un nouveau cadre conventionnel afin de pérenniser son usage. Il est notamment question de permettre le remboursement d'une téléconsultation de médecine générale effectuée par un praticien situé en dehors du territoire. Mais pour les syndicats, ce serait la porte ouverte aux plateformes.   "D'un côté, on nous demande de réguler l'offre de soins avec le SAS et les CPTS, de l'autre on nous demande de la déréguler avec la téléconsultation", s'est emporté le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, à l'issue de la deuxième séance de négociations de l'avenant 9, qui s'est tenue mercredi après-midi au siège de la Cnam. Objectif de cette séance : développer et pérenniser l'usage de la téléconsultation, qui a explosé durant le confinement, passant de 40 000 actes facturés en début d'année à 4.5 millions en avril. Aujourd'hui, plus d'un médecin sur deux y a recours et 3% des consultations remboursées sont des téléconsultations, indique la Cnam. Pour le ministre de la Santé comme pour le directeur général de la Cnam, il est nécessaire d'assouplir le "cadre" posé par l'avenant 6, sur la base de certaines des dérogations accordées par décret en mars dernier.   "Ouvrir la boite de Pandore" "La règle des 12 mois" pourrait ainsi sauter : dans le cadre actuel, "vous ne pouvez être remboursé d'une téléconsultation que si vous avez vu le professionnel au cours des 12 derniers mois", rappelle Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam. Ce dernier souhaite également remettre en cause "la logique de territorialité" en permettant le remboursement de consultations spécialisées effectuées hors parcours de soins coordonné auprès de praticiens situés en dehors du territoire. De même, dans les zones sous-dense ou "quand le patient n'a pas de médecin traitant ou que celui-ci n'est pas disponible", la Cnam se montre disposée à supprimer cette clause de territorialité pour les consultations de médecine générale. Mais pour l'ensemble des syndicats de médecins libéraux, il n'en est pas question. "On ne peut pas se permettre d'ouvrir la boite de Pandore", commente le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Car faire l'impasse sur la territorialité, c'est permettre aux plateformes type Care, Livi ou Doctolib de proposer des consultations de médecine générale remboursées par l'Assurance maladie. "La télémédecine ne peut pas être une solution aux déserts médicaux", tranche le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, qui insiste sur la nécessité de "garder le patient dans une organisation territoriale, à plus forte raison en zone sous dense, où il est aussi important d'avoir accès un médecin en présentiel". Pour éviter que la téléconsultation donne lieu à une "professionnalisation", la FMF réclame la mise en place d'un ratio consultations présentielles / consultations à distance, voire d'imposer une alternance précise pour ne pas "passer à côté de certaines pathologies".   Un tarif "à pleurer" La Cnam entend également renégocier le cadre de la télé-expertise, qui elle, ne décolle....

toujours pas (8630 télé-expertises facturées au premier semestre 2020). Elle propose de permettre à l'ensemble des patients d'en bénéficier, et non plus aux seuls patients en ALD, atteints de maladie rares, résidents en Ehpad ou en zone sous-dense, ainsi que revoir le mode de rémunération pour les médecins requérants : d'un forfait annuel basé sur les déclarations du médecin requis à un paiement à l'acte, coté par le requérant. Mais pour les syndicats, c'est bel et bien le tarif de l'acte qui pose problème : 5 à 10 euros pour le médecin requérant (dans la limite de 500 euros par an), et 12 à 20 euros pour le médecin requis. "En élargissant les patients éligibles, la Cnam se contente de nous dire de travailler plus pour gagner plus", constate Corinne Le Sauder. "Cinq euros pour le médecin généraliste, c'est à pleurer", renchérit Luc Duquesnel. De son côté, MG France plaide pour la mise en place d'une télé-expertise de niveau 3, consistant en un "échange confraternel" entre médecin requis et médecin requérant autour d'un cas, valorisé à hauteur d'une consultation classique.   Consultations par téléphone Autre sujet de discorde entre les syndicats et la Cnam : le remboursement des consultations par téléphone, qui a pris fin avec l'état d'urgence, en juillet. Pour Thomas Fatôme, cette dérogation ne se justifiait que par "la situation épidémique particulière". Mais pour les représentants des médecins libéraux, la téléconsultation sans visio correspond à un réel besoin, notamment pour les patients situés en zone blanche ou les patientsi âgés n'ayant pas la capacité d'utiliser les nouvelles technologies. "Cette consultation a une valeur, insiste Jacques Battistoni. On prend du temps pour le patient, on envoie des ordonnances, on prescrit des examens." Enfin, les deux parties ont abordé le développement de l'usage par les médecins des outils numériques, notamment en vue de l'ouverture pour chaque citoyen, en 2022, d'un espace numérique de santé comprenant un dossier médical partagé. Si plus de 9 millions de DMP ont été ouverts, les médecins restent réfractaires à l'utiliser puisque sur le premier semestre, seuls 16% des généralistes ont alimenté au moins une fois un DMP. La Cnam propose de valoriser l'alimentation du volet médical de synthèse dans le DMP par le biais du forfait structure (dans les missions socles?). Un bonus pourrait être mis en place pour...

valoriser l'alimentation du VMS en données structurées. Une incitation financière qui n'a pas vocation à être pérenne, selon la Cnam, puisqu'il s'agit d'amorcer l'usage. "Remplir un VSM structuré, pour un patient polypathologique, âgé, c'est 30 à 45 minutes. Il n'y aucune prise en compte du temps passé par les médecins sur ces missions-là", se désole le président des Généralistes-CSMF, qui réclame un paiement à l'acte. "Alors qu'on aborde des sujets d'importance majeure pour améliorer l'accès aux soins, le parcours de soins, on est face à une Assurance maladie qui n'a pas envie d'y mettre les moyens", conclut-il.   Et la perte d'activités, alors ? "Les généralistes ont perdu 500 millions d’euros d’honoraires et les spécialistes 1 Md€, soit au total 1,5 Md€ pour cette seule profession !", s'est indigné le SML dans un communiqué du 29 septembre, demandant à ce que l'indemnisation de la perte d'activité due au confinement figure au menu des négociations de l'avenant 9. "La perte moyenne de revenu s’établit à 10 000 € pour chaque généraliste et à 20 000 euros par spécialiste", insiste le syndicat. "Des pertes sèches que le système d’aide mis en place par l’Assurance maladie, à hauteur de 1,4 Md€ pour l’ensemble des soignants libéraux, n’a pas pris en compte, puisqu’il se fonde uniquement sur les charges."

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