Pr Paul Frappé : "Si les médecins refusent en bloc la prescription par les IPA, le train passera sans qu'on n'apporte rien au débat"
Statines, antihypertenseurs, antibiotiques… Des listes de médicaments que pourraient primo-prescrire les infirmières en pratique avancée (IPA) dans le cadre de l'accès direct ouvert par la loi Rist de mai 2023 sont actuellement soumises à concertation en vue d'un arrêté. Se gardant de tout "corporatisme", le Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale (CMG), s'est engagé dans une démarche constructive pour accompagner cette évolution, qui pose néanmoins de "nombreuses questions". Dans une interview accordée à Egora, il en expose les enjeux.
Egora : Le CMG, en tant que conseil national professionnel, a été sollicité pour donner son avis -et éventuellement modifier- les listes de "produits et prestations" qui pourraient être primo-prescrits par les IPA dans le cadre de l'accès direct. Quels sont les enjeux de cette concertation? Pr Paul Frappé : L'enjeu est de cadrer la prescription des IPA en accès direct, de définir ce qu'il est cohérent d'autoriser ou non. Sachant que le principe d'une prescription est acté : les IPA ont déjà la possibilité de prescrire des traitements, de les renouveler. Il s'agit d'étendre cela à un certain nombre de médicaments, en primo-prescription, sur diagnostic posé mais aussi avant diagnostic médical... Ce qui pose de nombreuses questions. Pour les IPA de soins primaires, il est question de les autoriser à prescrire des traitements de première ligne du diabète, de l'hypertension et des dyslipidémies et ce, sans diagnostic médical préalable. C'est donc l'IPA qui serait amenée à poser le diagnostic? L'idée de ce texte, c'est que l'IPA peut faire ces diagnostics car ils sont basés sur des données chiffrées : que ce soit une IPA ou un médecin, le résultat affiché est le même. Une IPA pourrait, par exemple, constater une hypertension chez un patient, lui prescrire les examens pour confirmer le diagnostic, une automesure, et revoir le patient à distance pour vérifier qu'il y a bien une hypertension. C’est une vision mécanistique de la démarche diagnostique, ce n'est pas aussi simple dans la pratique. Ce qui pose question, c'est surtout la prescription médicamenteuse. Tout ce qui est prescription d'examens, d'imagerie, de biologies voire d'avis spécialisés fait moins polémique. Pour autant, les textes devront rappeler le cadre sur la question de la responsabilité : si l'IPA prescrit un bilan et qu'il y a une CRP à 300, à qui revient la responsabilité de l'interprétation ? Que peut faire le médecin traitant qui reçoit un résultat d'examen sans savoir pourquoi il a été prescrit, dans quel contexte ? Il est prévu que ce soient les IPA qui visent les résultats et sachent relever des anomalies, mais on a quand même besoin de rappeler clairement le cadre sur ce point. Une fois ce diagnostic posé, le patient sera-t-il suivi par l'IPA ou réorienté vers un médecin ? Il est bien précisé que cela s'inscrit toujours dans le cadre d'un exercice coordonné. Il n'est pas question de laisser l'IPA seule dans la nature et de placer le médecin dans l'ignorance. Précisons quand même que tout ce dont on vient de discuter est ce qui nous est proposé… nous allons faire de nombreuses remarques en tant que CNP. Vous êtes également invité à proposer des traitements de seconde ligne qui pourraient être prescrits par l'IPA "dans le cadre d'une stratégie de gradation thérapeutique déterminée par le médecin". Jusqu'où aller ? Pour ce qui est de la deuxième ligne, cela concernera davantage les IPA des autres mentions. En oncologie, par exemple. En médecine générale, tout l'enjeu réside dans la cohérence, la lisibilité du rôle de l'IPA. Ce qu'elle pourra prescrire en dépendra. En l'occurrence, on envisage de confier à des IPA de la mention "suivi de pathologies chroniques stabilisées" des choses qui relèvent de la prise en charge initiale de pathologies chroniques… Dans cette liste qui nous est proposée, il y a aussi des motifs de consultation comme la cystite ou l’angine, qui n’ont rien à voir avec les pathologies chroniques stabilisées [voire encadré]. Alors ou bien il faut rester dans ce cadre, ou il faut renommer ces IPA. En revanche, il y a peut-être des actes d'ordre administratif que l'on pourrait leur confier. Il faut peut-être aussi poser des limites pour les patients polypathologiques : quand il y a 3, 4 pathologies chroniques chez un même patient, on ne peut pas tout avancer de front, il faut hiérarchiser. En médecine générale, on ne raisonne pas en silo, on avance plus par effet domino, on cherche la priorité, ce qui peut améliorer le reste. Au-delà de prescrire, ce qui est intéressant c'est le repérage : repérer les déstabilisations des pathologies chroniques, les contextes à risque de déstabilisation (déménagement, veuvage, retraite…). C'est là, peut-être, qu'on pourrait trouver une place à la prescription, pour éviter un retard à la prise en charge de ces déstabilisations. L'IPA pourrait lancer le plus tôt possible des bilans, dont certains prennent du temps, voire une primo-prescription de certains médicaments pour gérer la déstabilisation. Il y a aussi des choses qu'on ne voit pas en tant que médecin traitant, et qui nécessitent un deuxième regard : n'y aurait-il pas lieu, là, de prescrire ? D'adapter la posologie ? Voire de déprescrire ? Cet anticoagulant-là est-il toujours justifié ? Ce serait une ineptie de poser la prescription sans considérer la question de la déprescription. Cela sous-entendrait que la médecine est forcément interventionnelle, faite d'ajouts. L'IPA peut intervenir à ce niveau, pour modifier les prescriptions en accord avec le médecin traitant. Ces listes sont donc amenées à évoluer… Là, nous sommes dans une première phase de consultation. Ensuite, les listes seront soumises à la HAS et à l'Académie de médecine. Elles vont nous revenir à nouveau en consultation lors de cette étape. Mais quoiqu'il arrive, il y aura une liste. Si les médecins refusent en bloc la prescription par les IPA, dans une sorte de réaction corporatiste primaire, le train passera sans qu'on n'apporte rien au débat. Il faut que l'on soit constructif pour que les choses soient cohérentes dans le système de soins. Mais la question n'est plus de savoir si l’on est pour ou contre la prescription des IPA. C'est déjà acté par le Code de Santé Publique. Le débat rejoint tout de même la problématique de la lisibilité des métiers. C'est bien beau d’annoncer que les IPA vont permettre dans les zones ultra désertifiées de pallier le déficit en offre de soins mais si c'est pour leur donner un rôle de médecin, on risque de tout mélanger. Il faut définir la place de chacun, pour que le patient se retrouve dans le système de soins. Sinon on est dans un gloubi-boulga où tout le monde devient un touche-à-tout, bon à rien, rejetant la responsabilité sur l'autre.
Plusieurs listes de "prestations et de produits de santé" que pourraient primo-prescrire les IPA sont en cours de concertation. L'une serait commune à toutes les IPA, quelle que soit la spécialité. En accès direct, elles pourraient ainsi délivrer aux patients adultes qu'elles suivent un arrêt de travail de moins de 3 jours, prescrire un programme d'activité physique adaptée, un transport sanitaire, un antibiotique en cas de cystite ou d'angine après réalisation d'un test positif, ou encore orienter vers un diététicien pour un bilan nutritionnel ou vers un psychologue dans le cadre de "Mon Parcours psy". D'autres listes sont spécifiques à chaque "mention" d'IPA et dépendantes de la présence d'un diagnostic préalable ou non. Ainsi, il est proposé de permettre à une IPA de soins primaires de prescrire à un patient "sans diagnostic préalable" des traitements antihypertenseurs, hypolipémiants ou hypoglycémiants de première ligne. Après diagnostic médical, la liste est plus étendue, incluant par exemple des traitements de l'insuffisance cardiaque "dans le cadre d'une conduite diagnostique et de choix thérapeutiques déterminés par un médecin".
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