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Productivité des médecins salariés, secteur 2, ouverture aux libéraux… Les pistes de l'Igas pour booster les centres de santé

Missionnée en 2023 par les anciens ministres François Braun et Agnès Firmin Le Bodo, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de rendre un rapport sur l'évaluation du modèle économique des centres de santé pluriprofessionnels. 

12/02/2025 Par Aveline Marques
Politique de santé
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Le modèle économique des centres de santé est-il viable ? Alors que les représentants du secteur plaident pour de nouveaux modes de financement moins dépendants du paiement à l'acte, l'Igas vient de rendre un rapport proposant 20 pistes d'évolution pour que ces structures, réputées économiquement fragiles, puissent redresser la barre et constituer une réponse à la désertification médicale. Représentant 1.2% des dépenses de soins de ville en 2022, les centres de santé constituent "encore une part très limitée de l'offre de soins primaires au niveau national", relève l'Igas. Néanmoins, ils la "consolident" en "réalisant des prestations délaissées ou peu prisées des libéraux" (83% pratiquent le tiers payant intégral, la moitié font des visites à domicile…), souligne cette mission, commanditée en mars 2023 par les anciens ministres François Braun et Agnès Firmin Le Bodo.

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1) Une statistique. Environs 60 000 généralistes libéraux en France pour 101 départements donc 600 par département. Une dizaine de... Lire plus

Mais la situation financière et économique des 586 centres de santé pluriprofessionnels en activité en 2022* s'est détériorée ces dernières années du fait d'une forte augmentation des charges d'exploitation (+82% depuis 2016) non compensée par celle des recettes, encore très majoritairement composées des honoraires (+6.4%, en moyenne, par an sur la période), constate ce rapport. Le déficit médian d'exploitation estimé parmi les centres s'établit à près de 10% des dépenses et varie fortement selon les catégories de gestionnaires : de -5% pour les centres gérés par des associations à -32% pour ceux gérés par des collectivités territoriales et même -67% pour les centres universitaires.

Pour autant, la mission Igas ne plaide pas en faveur de "modifications substantielles du modèle économique" des centres de santé. Pour les inspecteurs, les gestionnaires des centres doivent avant tout "actionner l'ensemble des leviers économiques dont ils disposent pour équilibrer leurs comptes". Le rapport relève ainsi qu'un quart des centres déclarent ne pas avoir perçu en 2022 la subvention Teulade, qui permet une prise en charge partielle par l’Assurance maladie du montant des cotisations dues pour les praticiens ou auxiliaires médicaux. Cette même année, "15 % des centres n’ont pas perçu la Rosp" et 10% des structures adhérentes à l'accord national des centres de santé n'ont obtenu "aucune rémunération forfaitaire spécifique".  

 

Trop de lapins

Le rapport identifie également d'importants manque à gagner : une sous-cotation des actes (majoration de soins nons programmés, par exemple) qui serait due à une "méconnaissance d'un certain nombre de praticiens des règles de cotation", une part très importante de rendez-vous non honorés (aux alentours de 13-14%) qui justifierait la facturation de "dépassements exceptionnels" ou encore des "dysfonctionnements de la procédure de déclaration d'un médecin traitant" (MT), qui privent les centres d'une part du forfait patientèle. Jusqu'à il y a peu, la déclaration ne pouvait se faire que par papier faute d'accès des médecins à Ameli Pro. Les retards accumulés ces dernières années pourraient ainsi expliquer "une partie (voire la totalité)" des différences de patientèle MT entre médecins salariés et libéraux : en 2022, les premiers ont suivi en moyenne 700 patients adultes contre 1100 pour les libéraux.

Reste que l'activité des médecins salariés est "moins productive en nombre d’actes que celle des médecins libéraux". L'Igas avance "des raisons liées tant à la durée du travail – supposée moindre, dans un exercice salarial, qu’aux caractéristiques de la patientèle – plus vulnérable en centre" (18% de patients C2S et AME). "Le nombre médian d’actes cliniques de médecine générale par ETP annuels de médecins généralistes employés par les centres s’est établi à 3 396 en 2022, alors que le nombre médian d’actes cliniques pour les médecins généralistes libéraux en activité était de 4 614 la même année, soit un écart de 36 %", relève l'Igas. 

 

Rémunération variable

Or, dans un modèle économique fondé sur une tarification à l’acte, "le suivi de la production des actes est nécessaire pour s’assurer d’une production suffisante pour couvrir les charges", insiste la mission. "Dans les centres rencontrés, il s’avère que la productivité des praticiens (globale comme individuelle) n’est pas suivie". "La seule « norme » négociée avec les professionnels de santé se limite à fixer un objectif de durée de la consultation (le plus souvent, 20 minutes) ou à organiser les agendas en fixant un nombre de consultations par heure (le plus souvent, trois par heure dans les centres que la mission a visités)." Raison pour laquelle la mission recommande de "maintenir ou envisager l’introduction d’une part significative de rémunération variable individuelle et/ou collective dans les contrats de travail". 

L'Igas déplore à ce titre une "interprétation restrictive" de l'Ordre des médecins ces dernières années, qui a conduit à s'opposer à certains contrats de travail au nom du respect de l'indépendance professionnelle. L'article 97 du code de déontologie précise en effet "qu'un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins", rappelle en effet l'Ordre de Paris, dans une réponse annexée au rapport. "En conséquence, le Conseil estime qu'un médecin salarié doit être rémunéré par un salaire décent, plein et entier, correspondant à ses compétences, à ses missions et à ses responsabilités ; et dans l'hypothèse où un complément variable à cette rémunération pleine et entière était envisagé, il ne pouvait s'agir que d'une part accessoire (inférieure à 50%) et déterminée, selon des objectifs qui ne sauraient être uniquement quantitatifs". Et l'Igas de rétorquer que "la rémunération des médecins qui exercent en libéral repose fondamentalement sur ce levier : sans activité, pas de rémunération"…

La mission formule d'autres propositions choc : "ouvrir la possibilité aux professionnels libéraux d’exercer en centre de santé en contrepartie d’une redevance pour l’utilisation des locaux/plateaux techniques" afin de rentabiliser des locaux souvent inoccupés du fait d'un exercice des salariés majoritairement à temps partiel ou encore "étudier l'opportunité d'autoriser les centres à passer en secteur 2 Optam". A la peine, certains centres développent en effet une offre de soins non remboursés (bilans de prévention, consultations esthétiques, médecines "non conventionnelles"), constate l'Igas.

 

Capitation

La mission s'oppose, en revanche, à la création d'un statut spécifique dans la fonction publique territoriale pour les médecins généralistes salariés de centres de santé gérés par des collectivités, une revendication de l'Union confédérale des médecins salariés. "La mise en œuvre d’un tel statut pourrait, dans un contexte de tension sur les ressources médicales, accroître de manière dommageable la concurrence actuellement observée entre les centres de santé pour le recrutement de professionnels de santé", mettent en garde les auteurs.

Déplorant des réticences persistantes d'une partie des praticiens français, "y compris en centre de santé", au partage des tâches, la mission Igas recommande de "mieux rémunérer la spécificité pluriprofessionnelle" et de valoriser les pratiques de délégation. Elle plaide pour le développement de "centres de santé aux pratiques coordonnées intégrées (binômes médicaux/paramédicaux…)" dans les établissements de santé.

Enfin, "la mission est favorable à l’émergence d’un nouveau modèle de financement, fondé sur une composante de capitation, pour les centres dont les professionnels de santé s’engagent, organisent et mettent en pratique le partage des tâches entre médecins généralistes et infirmières, afin de garantir l’accès aux soins sur tous les territoires". 

*C'est-à-dire des centres employant au moins un médecin généraliste et un auxiliaire médical. Ces chiffres diffèrent de ceux de l'Observatoire des centres de santé qui comptabilisait 976 centres avec au moins un généraliste en 2023. 

Un mode d'exercice attractif 

Les centres de santé pluriprofessionnels ont employé environ 6000 médecins en 2022 (représentant un peu plus de 2400 équivalents temps plein annuels), 1450 chirurgiens-dentistes, 3900 paramédicaux et 5250 professionnels médico-administratifs. La "forte augmentation récente" des effectifs (+24% depuis 2016) dans un contexte de raréfaction des ressources médicales illustre "l'attrait pour ce mode d'exercice", relève l'Igas. "Les professionnels médicaux choisissent le plus souvent d'être employés à temps partiel, voire à temps très partiel", note le rapport.  

4 débatteurs en ligne4 en ligne
Photo de profil de Francois Cordier
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
 L'article 97 du code de déontologie précise en effet "qu'un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute
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Débatteur Passionné
Pharmaciens (CNOP)
il y a 1 mois
Pour apprécier les rapports de l IGAS, consultez le rapport LALANDE de 2006 concernant la biologie médicale, suivi des ordonnances BALLEREAU. Résultats : les groupes financiers possèdent des chaînes d
Photo de profil de M A G
3,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
Preuve, si besoin il y avait, que les médecins libéraux survivent seulement en augmentant la cadence et/ou en faisant des horaires à rallonge. "environ 6000 médecins en 2022 (représentant un peu plu
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