
La certification doit-elle signer la fin de l'obligation de DPC des médecins ? "Ne supprimons pas ce qui porte une exigence"
L'obligation de développement professionnel continu (DPC) est-elle sur le point de disparaître pour les médecins ? Alors que se met péniblement en place la certification périodique pour les sept professions de santé à ordre, la question se pose plus que jamais, et met en péril l'avenir de l'agence qui pilote ce dispositif. Alors que l'Igas, qui conseille les pouvoirs publics, a récemment étrillé son action et proposé des scénarios de transformation, la directrice générale de l'ANDPC, Michèle Lenoir-Salfati, fait part de sa position à Egora.

Egora : Dans un rapport rendu public le 12 mars, l'Igas estime que la mise en place de la certification périodique oblige à "reconsidérer" la place du développement professionnel continu. Fin septembre, la Cour des comptes jugeait déjà ces deux dispositifs à la fois redondants et en partie contradictoires. Qu'en pensez-vous ?
Michèle Lenoir-Salfati : Je crois qu'il y a une confusion. Le DPC, ce n'est pas la même chose que la certification périodique. D'ailleurs, les textes réglementaires font du DPC une brique de la certification périodique. Ces dispositifs ne sont pas redondants, mais complémentaires. Telle que je la lis et telle qu'elle est en train de se construire, la certification périodique est un ensemble qui collige l'intégralité des dispositifs qui existent et concourent à l'amélioration des compétences des professionnels : la formation continue, le DPC, l'accréditation des médecins, etc.
Redoutez-vous le rétablissement de l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires?

Nathalie Hanseler Corréard
Oui
Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus
L'Igas et la Cour des comptes recommandent de supprimer l'obligation de DPC pour les professions de santé à ordre. Ce serait une erreur selon vous ?
Garder une seule obligation qui soit globale pour les professionnels de santé à ordre, pourquoi pas, mais je milite pour qu'il y ait des actions de DPC obligatoires dans les référentiels. Le DPC permet d'amener les professionnels à se former sur des sujets à enjeux de santé publique autour des orientations prioritaires. La Cour des comptes le reconnaît, c'est la seule offre véritablement évaluée aujourd'hui, à la fois sur le plan de la construction pédagogique, de l'apport méthodologique et du contenu scientifique des actions. Je suis d'accord pour ne pas accumuler les obligations, mais ne supprimons pas ce qui porte une exigence en termes d'enjeux de santé publique.
Pour les autres professions de santé, l'Igas préconise de maintenir le DPC, mais d'en adapter le contenu. Elle juge le champ actuel des actions proposées trop "étroit", ce qui "fait peser sur elles un risque médico-légal". Comment expliquer cette insuffisance ?
Nous avons 390 orientations prioritaires. Pour les professions sans ordre, il y a tout : les TND, la douleur, les soins palliatifs, le bon usage du médicament, le cancer… Je ne trouve pas cela d'une extrême étroitesse. Chaque profession a par ailleurs travaillé avec nous sur trois à quatre orientations prioritaires ciblées sur ses pratiques. Je trouve étonnant et contradictoire que l'Igas dise que si l'on doit conserver l'obligation de DPC pour les professions sans ordre, il faudrait se limiter à une vingtaine d'orientations. Comment vont-elles s'y retrouver ?
Au-delà de cela, nous n'avons jamais dit que le DPC devait résumer la formation des professionnels de santé. À côté du DPC, ils ont la formation professionnelle tout au long de la vie, financée entre autres par le FIF-PL. C'est là qu'il y a une forme de confusion. On a l'impression que le DPC résume la formation, alors qu'en fait, on fait du DPC sur certains enjeux, puis de la formation à côté sur d'autres problématiques…
Quand l'Igas parle d'étroitesse, ne fait-elle pas plutôt référence à l'offre ?
Nous observons effectivement une offre moins importante en matière d'actions d'évaluation des pratiques professionnelles (EPP) et de gestion des risques (GDR) par rapport aux offres de formation. C'est un sujet majeur sur lequel nous travaillons. Nous avons, par exemple, valorisé le paiement des actions d'EPP pour inciter les organismes de DPC à en déposer. Mais nous faisons face à un problème de fond, que j'avais soulevé dès 2014, qui est que les méthodes d'évaluation de pratiques élaborées par la Haute Autorité de santé sont très médicales. Qu'est-ce qu'un audit clinique pour un opticien ? Autant pour un médecin c'est évident, pour un opticien moins... Ces méthodes sont aussi très hospitalières, plus difficiles à déployer en ambulatoire.
Il faut se demander comment repenser et adapter ces méthodes d'évaluation de pratiques et de gestion des risques à la réalité des professions et des exercices. Nous avons déjà remonté cette problématique à la HAS, sans avoir été complètement entendus.
Dans l'objectif de "mettre en place un pilotage intégré de la certification périodique et du DPC", l'Igas considère que l'ANDPC "ne peut être maintenue en l'état". L'entendez-vous ?
Je suis complètement d'accord avec le fait que l'ANDPC ne peut pas être maintenue "en l'état". Il faut qu'on prenne en compte le fait que la certification arrive. Il y a une interrogation sur qui va porter ces démarches. Dans son rapport, l'Igas fait trois scénarios, dont un qui serait de transformer l'ANDPC en établissement public. C'est évidemment la proposition que nous soutenons. L'Igas reconnaît d'ailleurs que nous sommes plutôt bien organisés et structurés. En septembre, dans un rapport, la Cour des comptes avait formulé un certain nombre de constats identiques à l'Igas, notamment sur le fait qu'il faut simplifier les dispositifs de DPC et de certification, les unifier, les articuler. Elle a estimé que l'ANDPC, bien sûr transformée dans sa gouvernance, serait à même de porter cette nouvelle procédure réformée.
L'Igas esquisse deux autres scénarios d'organisation : la mise en place d'un service à compétence nationale sous l'autorité de l’Etat, ou le transfert du pilotage scientifique et de la gestion opérationnelle du DPC et de la certification à la HAS. Les deux conduiraient à la disparition de votre agence…
Le scénario prévoyant un transfert vers un service rattaché au ministère de la Santé est peu crédible compte tenu de la façon dont l'Etat est structuré. Quant à confier le pilotage à la HAS, cela pose un immense problème. D'abord, la HAS ne dispose pas des personnels qui ont la compétence pédagogique que nous avons. Mais surtout, la HAS ne peut pas réaliser les activités de gestion que l'ANDPC met en œuvre (inscription des professionnels, paiement, indemnisation des libéraux…) ; elle n'aurait qu'un rôle d'évaluation des actions et de pilotage du dispositif. Pour remplir cette mission, l'Igas suggère de transférer les fonds de l'Assurance maladie aux opérateurs de compétences et aux fonds de formation. C'est, à mes yeux, une régression. Avant 2006, les fonds étaient donnés aux fonds de formation. À l'époque, la Cour des comptes avait dénoncé l'absence de transparence sur la gestion de ces fonds.
Dans son dernier rapport de septembre, la Cour des comptes dit que le bon usage des deniers publics impose qu'il y ait un opérateur public de régulation financière. Ce scénario nous apparaît comme étant celui dans lequel il serait intéressant que s'inscrive l'action publique.
"40 000 emplois menacés" : les personnels de l'ANDPC appellent à la grève
Par voie de communiqué, ce lundi 24 mars, les personnels de l'ANDPC ont annoncé qu'ils s'apprêtaient à déposer cette semaine un préavis de grève. Ils évoquent notamment "plusieurs amendements" au projet de loi de simplification de la vie économique qui prévoyaient, entre autres, de supprimer l'obligation de DPC pour les professions de santé à ordre et de reporter l'entrée en vigueur de la certification périodique au 1er janvier 2026. Deux recommandations qui figurent également dans le rapport de l'Igas rendu public le 12 mars.
"Huit années de leur travail au service de la qualité des formations des soignants risquent d'être rayées d’un trait de plume", mettent en garde les personnels de l'ANDPC qui dénoncent l'absence de concertation, de "mesure d'impact sur les organismes de DPC et leurs salariés" et de "scénario de substitution crédible. "Ils mettent en avant la certification périodique dont chacun s’accorde à dire que sa mise en œuvre n’est en rien opérationnelle", rappellent-ils dans leur communiqué, dénonçant un "contexte national de bashing contre les agences publiques".
Ces amendements "visent à terme à la suppression du DPC, de l'Agence nationale du DPC et de l'ensemble des emplois afférents, dans le mépris des personnels concernés qui ne sont pas fonctionnaires et sont maintenus dans l’opacité la plus complète quant à leur avenir", fustigent encore les personnels de l'ANDPC, qui chiffrent à 40 000 le nombre d'emplois "menacés". S'ils ont été jugés irrecevables, ces amendements "ne manqueront pas d’être déposés à nouveau dans le cadre de l’examen du texte en séance publique, à partir du 8 avril", indiquent les personnels, qui appellent à leur rejet.
Contactée par Egora, Michèle Lenoir-Salfati précise avoir été informée du dépôt prochain de leur préavis de grève. "Dans la période d’incertitude ouverte par le rapport Igas et ces amendements, et sans visibilité sur les suites qui seront données, ils craignent pour leurs emplois (aucun n’est fonctionnaire)." Les organismes de formation continue dans la santé, par l'intermédiaire de leur fédération Connexion Santé, ont également réagi, se présentant comme des "victimes collatérales d'une politique de destruction de l'ANDPC".
Les inspecteurs de l'Igas jugent, par ailleurs, que l'ANDPC "n'a pas su accompagner la généralisation du DPC". Ils relèvent que seuls un peu plus de 100 000 professionnels éligibles au financement de l'ANDPC (libéraux et salariés des centres de santé) ont validé leur obligation triennale 2020-2022, soit à peine 22% d'une population "qui elle-même ne représente qu’un quart environ du total des professionnels de santé". Un jugement trop sévère ?
C'est complètement fou ! On confond la température et le thermomètre. L'ANDPC est la seule à rendre compte des chiffres de professionnels inscrits. Ce n'est pas le cas des autres opérateurs. Le taux de 22% évoqué par l'Igas, au fond, ce sont en fait nos chiffres rapportés à l'ensemble de la population : ça n'a aucun sens ! Quelque part, ce n'est pas l'action de l'agence qui est en cause, mais la capacité des autres opérateurs à remonter des données.
Nous avons effectivement eu du mal à améliorer les choses dans le secteur salarié, parce qu'il est chasse gardée. Nous avions proposé dès 2018 d'ouvrir notre système d'information au secteur salarié, ce qui lui permettrait d'avoir l'information en temps réel de l'offre disponible et de pouvoir gérer les inscriptions des professionnels salariés directement via un site qui les met en relation avec les ODPC, mais aussi d'avoir des statistiques fiables sur le nombre de personnes qui s'engagent dans des actions de DPC. La Cour des comptes a repris notre proposition.
En 2024, vous avez pourtant relevé un "record d'engagement" chez les libéraux...
Il y a effectivement une vraie dynamique chez les libéraux. Un secteur dans lequel l'agence a une vraie force de pilotage ; nous regrettons donc de ne pas avoir la possibilité d'agir dans le milieu salarié.
Nous avons deux professions qui se sont beaucoup plus engagées en 2024 : les biologistes et les pharmaciens. C'est lié aux nouvelles compétences qu'ils ont acquises, notamment de prescription des vaccins et de réalisation de Trod en vue de la délivrance d'antibiotiques. S'agissant des médecins, nous avons eu l'an dernier 43 983 inscrits. Ils se sont inscrits plusieurs fois [à plusieurs actions, NDLR]. En 2023, nous totalisions 41 556 médecins inscrits. En 2022, nous étions à 44 634 inscrits ; mais il s'agissait de la fin de la précédente période triennale. Même si ce n'est pas aussi frappant que pour d'autres professions, nous observons aussi pour les médecins une dynamique constante au niveau des inscriptions.
Le sort du DPC et de l'ANDPC sont-ils scellés ?
Chacun se dit que c'en est fait, mais je tiens à rappeler qu'il s'agit-là de rapports. Il n'y a pas de décision à ce titre, les rapports éclairent la puissance publique. Ce qui nous a interpellé, ce sont les contre-vérités factuelles qui y figurent. Notamment quand l'Igas dit que l'ANDPC a centré tout son rôle sur l'évaluation des actions relevant des orientations prioritaires. C'est juste ce que dit le code de la santé publique… De même, quand les auteurs écrivent que les orientations prioritaires ne répondent pas aux préoccupations des professionnels, je m'interroge. Quelles seraient les préoccupations des professionnels ? C'est ma première interrogation. D'autre part, pour moi, la formation n'a pas à répondre à des préoccupations, mais à des besoins de transformation. De même, dire que nous décidons des orientations prioritaires seuls, on n'y travaillerait pas pendant un an et demi avec l'ensemble des acteurs si on en décidait seuls... C'est un processus de concertation. Tout cela me trouble un peu.
Craignez-vous que le retard de mise en œuvre de la certification périodique et la période d'incertitude aboutissent à un désengagement des professionnels de santé ?
C'est le risque. À force d'accumuler des obligations, les médecins qui sont sur le terrain peuvent ne plus comprendre et saisir la différence entre les dispositifs. Nous nous en rendons compte. Un certain nombre de médecins avec qui je discute disent que plus la certification périodique va prendre du temps pour démarrer, moins les gens vont y croire. Il ne faut pas que dans l'esprit des médecins, comme des autres, cela se transforme comme l'Arlésienne.
Pour l'instant, nous n'observons pas de désengagement dans le monde libéral par rapport au DPC. Mais il est vrai que si les professionnels entendent "faut-il garder l'obligation de DPC ?", ils peuvent se dire "pourquoi continuer à en faire ?". Et si une nouvelle obligation ne vient pas rapidement être mise en place et être simple à comprendre pour eux, il y a un risque de désengagement. Ce serait dommage parce que, je ne dis pas qu'on a absolument réussi à implanter l'idée que tout le monde fasse de la formation, de l'évaluation des pratiques ou de la gestion des risques, mais ça s'améliore, ça progresse. Ce serait dommage d'être dans une régression par rapport à cette dynamique.
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