Un tour de France des remplacements en zones rurales : l’aventure originale d’un jeune généraliste en camping-car

19/08/2021 Par Marion Jort
Insolite

Diplômé depuis le mois de mars, le Dr Martial Jardel a décidé de se lancer dans l’initiative originale de parcourir la France en camping-car. Objectif : remplacer ses confrères généralistes qui exercent en zone rurale et dans les déserts médicaux pour leur permettre de partir en vacances. Le jeune médecin souhaite également en profiter pour enrichir sa pratique à travers toute la France. Il raconte son périple à Egora.    Une dizaine d’étapes, neuf départements, cinq mois de périple : c’est le projet fou dans lequel s’est lancé un jeune médecin généraliste. Thésé depuis le mois de mars, Martial Jardel, âgé de 30 ans, a décidé de louer un camping-car et d’effectuer un tour de France des remplacements. Ce Limousin d’origine, fils de généraliste exerçant en milieu rural, a eu envie, sitôt ses études terminées, de retrouver “un peu de liberté” en bougeant là où il en avait envie. “L’idée m’a parue assez naturelle”, explique-t-il. “Je me suis dit que j’avais la chance inouïe de faire un métier que je peux exercer partout. C’est rare. En médecine générale, on a encore plus cette possibilité que certains de nos confrères spécialistes. On peut aller partout, pas que dans les villes.”  Ne souhaitant pas s’installer immédiatement, le Dr Jardel avait conscience avant même de terminer ses études que beaucoup de généralistes ont du mal à trouver un remplaçant pour leurs congés. “C’est du gagnant-gagnant", plaisante le praticien. “Moi, je souhaite découvrir plein de territoires différents. Et eux, ils peuvent partir en vacances !”. 

Pour l’aventure, il décide donc de se déplacer et se loger uniquement avec son camping-car, qu’il loue à un prix réduit, grâce à une concession qui est sensible à son projet. Le Dr Jardel définit son périple sur cinq mois et décide d’anticiper tous ses contrats avant de partir, pour éviter les temps morts. “J’ai décidé d’initier mes remplacements, je me suis dit qu’il fallait que je propose à des médecins de partir en vacances. Pour ça, il a fallu que je mise sur la carte de la confraternité, que des médecins soient sensibles à mon projet dans le sens où, pour un médecin qui part en congé, ça peut être un peu stressant, ils n’ont pas forcément envie de confier leur patientèle à un médecin en camping-car.” Le jeune médecin multiplie les contacts via les ARS, par téléphone et essentiellement grâce aux réseaux sociaux depuis Paris, où il a effectué son internat et où il habite actuellement.  Avant de signer ses contrats de remplacements, il décide...

d’opter pour 15 jours de présence à chacune de ses étapes. “Une semaine c’était un peu court, et trois semaines, un peu long. Deux semaines, avec un week-end au milieu, c'était un bon compromis”, analyse-t-il. Un point commun réunit ses destinations : la sous-densité médicale. “Je ne vais que dans des territoires ruraux, même si la sous-densité médicale y est très forte, ce ne sont pas que des déserts”. Au programme de son périple : un départ de la région Centre, puis direction le Cher, à Sancerre, le Haut-Rhin à Metzeral, la Creuse, l’Aine, la Manche, les Côtes d’Armor, l’Ariège, le Vaucluse, et enfin, la Corse. “Je trouvais ça intéressant de voir la différence entre le Nord et le Sud, de voir en Corse la question de la saisonnalité dans la vie de médecin généraliste”, argumente-t-il notamment. 

Crédit : Martial Jardel, le tour de France des remplacements

 

Le 22 mars, le voilà donc parti pour un marathon dans tous types de structures : cabinet isolé, maison de santé... “Changer tous les 15 jours, c’est passionnant et exigeant. La qualité du remplacement que je vais faire ou trouver est directement corrélée à la quantité d’investissement que j’y mets”, indique le Dr Jardel. Au-delà de l’aspect purement médical, ce tour de France est aussi une question de rencontres humaines. “Chaque destination a ses points forts et faibles. L'accueil est différent à chaque fois. Il y a des médecins que j’ai remplacé qui m’ont invité à dîner quatre fois chez eux, il y a des patients qui m’ont invité chez eux pour manger. Et d’autres où le travail se passait super bien mais où il n’y avait pas forcément un tel lien. Tout est une question de personnes.”    Bien qu’il n’ait pas encore entièrement terminé son tour de France, le médecin estime que tous ces remplacements l’ont déjà beaucoup enrichi. “Le fait d’être MG dans un endroit, c’est un poste d’observation merveilleux parce qu’on reçoit les patients qui nous parlent d’eux en même temps. En nous parlant d’eux, ils nous parlent de leur territoire. Par exemple, à Sancerre, dans le Cher, où il y a deux AOP qui structurent l’économie locale, il y a beaucoup de patients qui sont agriculteurs, vignerons, ouvriers agricoles. Dans le Jura, c’est l’exploitation de vaches laitières, avec la fabrication du comté, en Bretagne, c’est la pêche. C’est une manière, un prisme par lequel on peut découvrir un territoire”, raconte Martial Jardel.   “Les déserts médicaux, une catastrophe”  Si les patients et cette expérience lui apportent beaucoup, il a, lui aussi, le sentiment d’aider la patientèle dont il s’occupe pour quinze jours. Un souvenir en particulier illustre...

à ses yeux, l’intérêt pour les généralistes installés à se faire remplacer : “J’ai fait une visite à domicile d’une dame très âgée, qui avait des troubles de l’articulation depuis 6 mois. Ils évoluaient très doucement et à part ça, elle allait bien. Il y avait eu une suspicion d'AVC en octobre, mais aucune anomalie n’avait été détectée”, détaille d’abord le Dr Jardel. “Moi je l’ai vue, je ne la connaissais pas du tout et ça m’a sauté aux yeux : ça pouvait évoquer une maladie de Charcot, alors que pour ses proches, c’était une évolution lente et pas forcément anormale. Ça ne la sauvera pas, mais ça permet de mieux la prendre en charge et de l’envoyer voir un neurologue”, poursuit-il. “Je me dis que parfois, quand tu es médecin traitant d’un patient, tu peux ne plus voir certaines choses qui apparaissent de manière très insidieuse. D’ailleurs, des médecins m’ont dit qu’ils étaient contents d’avoir un remplaçant qui vient pour voir leurs patients d’un regard neuf.”

Pour pouvoir compléter la prise en charge des patients, encore faut-il que les médecins spécialistes soient disponibles, et que l’hôpital ne soit pas trop loin. En passant de territoire rural en territoire rural, le Dr Jardel a violemment pris conscience des inégalités qui existent entre les différents départements. “Je l’ai constaté de plein fouet. Je ne pense pas que c’était à ce point-là”, lâche-t-il, désœuvré. “A Sancerre, par exemple, j’ai découvert une insuffisance rénale à un patient, il ne pouvait être suivi ni à Nevers, ni à Orléans qui sont à 45 minutes et 1h30 de voiture parce qu’il y avait déjà trop de patients. Il pouvait être suivi à Tours qui est à 2h de chez lui, et son rendez-vous pour une échographie rénale a été fixé le 29 juin. On était le 22 mars…”, indique le médecin, qui s’est donc replongé dans ses livres et ses cours sur l’insuffisance rénale, pour suivre le plus possible son patient. D’autres départements l’ont marqué, comme celui des Côtes d’Armor, en Bretagne. “C’est une catastrophe, les ophtalmos, les dermatos… C’est dommage, car c’est un territoire avec tellement d’identité et de caractère”, se désole le jeune médecin.  S’il a aligné les kilomètres, le médecin reconnaît avoir été, jusque-là, agréablement surpris par la Manche. “Pour tout vous dire, je pensais aller dans un endroit sinistre et finalement, j’ai eu la chance d’aller dans le Cotentin. C’était magnifique et la structure de soin était assez exceptionnelle, sûrement la plus aboutie que j’ai pu voir. 30 professionnels de santé travaillent dans une structure moderne, en bonne intelligence”, s’enthousiasme-t-il.    Transformer l’essai Le Dr Jardel estime aujourd’hui que ce tour de France des remplacements lui a permis d’enrichir sa pratique et son expérience, ainsi que son panorama de l’exercice de la médecine générale. Il aimerait donc pouvoir aider d’autres jeunes médecins à réaliser...

un projet similaire. “Je me dis, pourquoi pas transformer l’essai en essayant de construire une structure, quelle qu’elle soit, afin d’aider les jeunes praticiens à résoudre surtout des problématiques logistiques, qui peuvent être des barrières. L’idée, ce serait de leur faire réaliser que ça peut être une suite possible aux études de médecine, qui peut être chouette à vivre”, imagine-t-il. Il pense, une fois le périple terminé, à monter un réseau de remplacements qui pourraient répondre à une charte de qualité de travail et qui permettrait d’aider les volontaires à trouver des logements. “Il faudrait capter des financements publics ou avoir la possibilité d’avoir des allocations logement. Moi, j’ai eu la chance d’avoir une concession prête à me suivre, mais j’imagine un jeune médecin qui voudrait remplacer pendant deux mois et qui doit se loger dans des Airbnb, à raison de 60 euros la nuit, ça fait déjà un budget de 1800 euros. C’est un gros frein”, poursuit le médecin. Même si le défi est de taille, le Dr Jardel a envie de le relever. “En créant un flux comme ça de jeunes qui, à la sortie de leurs études, prennent ce temps de transition, où il y a parfois une incertitude professionnelle, ça peut favoriser, de manière indirecte, leur installation dans la ruralité”, dit-il, convaincu. Fort de son esprit aventurier, il espère également que les jeunes médecins pourront en profiter pour apprécier la diversité des paysages et des régions françaises. 

De son côté, pour commencer, il s’intéresse à un projet de maison de santé, en région parisienne. Ces longues semaines sur les routes de France, au cœur de la santé rurale, lui ont permis, en tout cas, de confirmer son appétence pour la médecine rurale et fait prendre conscience que le manque de suivi de ses patients lui manquait. “Le temps de la ruralité viendra”, assure-t-il.

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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