Entre "espoirs" et "déceptions", le président de l'Ordre livre son analyse du Ségur de la santé

28/07/2020 Par Sandy Bonin
Interview exclusive
Si le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, s'est peu exprimé en amont du Ségur de la santé, il revient pour Egora sur les propositions retenues par le ministre de la Santé. Il salue une volonté politique de faire émerger des idées de terrain trop longtemps ignorées, mais s'inquiète de la mise en application de ces mesures alors qu'aucune loi de santé n'est annoncée.  

 

Egora.fr : Êtes- vous satisfait du bilan de ce Ségur de la santé ? 

Dr Patrick Bouet : Cela va dépendre de la façon dont on le regarde. Si on l'envisage comme un Ségur de l'Hôpital, on peut être satisfait, puisqu'un certain nombre de mesures d'amélioration des conditions de travail et d'activité des professionnels ou encore d'organisation de l'hôpital sont désormais mises sur la table.  

Si on le regarde comme un Ségur de la santé en général, on constate que plusieurs éléments que nous avions mis en avant, notamment sur la territorialité et la démocratie sanitaire, sont désormais également sur la table. Ce que nous préconisions depuis plusieurs années devient une réalité dans la réflexion de ce qui pourrait être l'organisation à venir du système de santé.  

Si on regarde ce Ségur du côté de l'activité privée libérale, on a un peu le sentiment qu'il y a une forme de déséquilibre entre ce qui a été mis sur la table du côté hospitalier et les propositions faites au niveau de l'activité de l'exercice ambulatoire et de la coopération entre les exercices ambulatoires et hospitaliers. Il y a beaucoup d'attente à ce niveau-là. On sait bien, et le Covid vient de le confirmer, que sans coopération totale au niveau territorial de l'ensemble du système, on restera dans une problématique structurelle. 

 

Estimez-vous, comme le pensent les syndicats de médecins, qu'il faudrait lancer un nouveau Ségur du monde libéral ? 

Je ne pense pas qu'on ait intérêt à lancer des Ségur sectoriels. Je crois qu'aujourd'hui, ce dont a besoin le système de santé, c'est d'une vision globale et ambitieuse. Je note qu'il y a eu dans les propos du ministre de la Santé des termes ambitieux en matière de nouvelle analyse du système de financement, d'ambition dans les investissements… Mais il nous semble qu'il manque encore quelque chose qui soit une ambition structurelle globale de l'ensemble du système. Même si effectivement aujourd'hui, des idées que nous proposions par le passé et qui étaient regardées un peu fixement sont désormais sur la table. Je pense notamment à la responsabilité populationnelle ou encore à la coopération entre les acteurs du système de santé… Jusqu’à maintenant, il faut avouer que les lois de santé qui nous ont été proposées étaient très loin d'avoir cette ambition.  

 

Les mesures proposées sont le fruit de plusieurs séances de négociations auxquelles vous avez participé. Comment avez-vous jugé la qualité de ces négociations ? 

Ce qui nous a gênés dès le début des négociations c'est que nous n'avions pas de vision claire de la façon dont les choses allaient se mettre en place. Nous avons eu un problème de méthode au départ. Nous avons également eu un problème d'échange parce que le grand nombre de participants faisait que ce qui était proposé comme piliers ne paraissait pas suffisant pour parler de tous les problèmes. Après ces problèmes de méthode, nous avons rencontré un problème de suivi. Il y a eu en parallèle un travail collectif et beaucoup de travaux bilatéraux par petit groupe. Cela a représenté une certaine difficulté pour avoir une vision globale. Nous avons eu le sentiment que le Ségur était la propriété de ceux qui l'animaient, plus que la propriété de ceux qui en étaient les participants. 

 

"L'idée est de sortir de ce modèle économique qui nous a été imposé depuis 30 ans"

 

Pourtant, en regardant les mesures annoncées, on a le sentiment que des idées proposées de longue date par les acteurs de terrain ont été entendues et devraient être mises en application… 

C'est ce qui nous apparaît aujourd'hui très important. Je suis, si je peux m'exprimer ainsi, un vieux routier des négociations. On voit bien aujourd'hui que tout ce qui était mis sur la table depuis de nombreuses années et qui n'était pas pris en compte dans les différents dispositifs législatifs, semble être devenu une matière commune, tant au niveau politique qu'au niveau acteurs de santé. Il s'agit de quelque chose de nouveau. Dans les 33 propositions retenues par le ministre de la Santé, nous y retrouvons beaucoup de ce que nous défendons depuis des années. Cela crée un espoir important que le monde politique ait compris à la fois l'étendue des problèmes qui se posaient au système de santé et l'importance d'y apporter des solutions innovantes basées sur les territoires, la démocratie sanitaire ou encore la coopération des acteurs. L'idée est de sortir de ce modèle économique qui nous a été imposé depuis 30 ans par des économistes de la santé. Ces derniers nous ont tous fait croire qu'il fallait faire des économies et qu'il fallait rationaliser le système pour enfin comprendre que c'est un système qui est au service de la population. C'est quelque chose de nouveau dans l'approche politique des solutions.  

 

Ce renouveau vient-il du fait qu'Olivier Véran était encore un médecin en exercice l'an dernier ? 

Nous avons probablement la chance d'avoir un ministre qui n'a pas complétement quitté son habit de médecin et qui comprend aujourd’hui, en tant que praticien, ce que d'autres n'avaient pas compris alors qu'ils étaient également médecins. Olivier Véran a compris que la politique doit permettre d'organiser un système au service de la population, tout en respectant l'ensemble des acteurs du système de santé dans la mission qui est la leur.  

Il ne faut pas non plus entendre que je suis pétri de la conviction que tout va se passer comme nous l'entendons. Il faut que nous restions très vigilants. Mêmes si les propositions qui sont sur la table sont celles que nous attendions, il y a désormais la question de la mise en œuvre. Nous n'avons pas entendu parler d'une nouvelle loi de santé. Nous n'avons pas connaissance des vecteurs législatifs qui ont été mis en place pour organiser l'ensemble du dispositif. Nous ne savons pas quels sont les éléments réglementaires qui vont arriver. Il ne faudrait pas que nous perdions la vision globale du système de santé. Nous aurions aimé que tout ceci débouche sur une nouvelle loi d'organisation et de programmation. Nous aimerions bien qu'il y ait un plan général de réorganisation du système de santé.  

 

On est encore en train, aujourd'hui, de faire des textes réglementaires issus de la loi HPST

Avez-vous obtenu des engagements concrets sur la mise en œuvre de certaines propositions du Ségur?  

Il y a d'abord eu une négociation au niveau du secteur public. Elle a permis de montrer qu'il fallait que les acteurs du système de santé aient une reconnaissance à la hauteur du service qu'ils rendent à la population. Il va y avoir une négociation conventionnelle.  

Tout va également dépendre de la marge de manœuvre qui va être donnée au directeur général de la Caisse nationale d'Assurance maladie. On voit bien qu'on a mis beaucoup plus d'argent sur le service public que ce qui va probablement être donné à l'Assurance maladie pour agir avec les partenaires conventionnels. Ces questionnements devront trouver très rapidement des solutions. Il ne serait pas supportable pour le système de santé que l'ensemble de ses composantes ne trouvent pas la réponse qu'ils attendent à la hauteur de ce que d'autres ont pu trouver. L'équilibre est absolument nécessaire.  

Enfin, pour innover dans la démocratie sanitaire, il va bien falloir des textes législatifs. Notre interrogation est là. On est encore en train, aujourd'hui, de faire des textes réglementaires issus de la loi HPST. Si ce qui est annoncé dans ce Ségur et qui suscite un grand espoir ne progresse que par petits bonds parce qu'il n'y a pas de loi ambitieuse qui rassemble toutes ces données, il risque d'y avoir des déceptions très fortes. Et au-delà des déceptions, nous risquons de nous retrouver dans une situation pire que celle qui a précédé le Ségur.  

 

"Pour l'Ordre il est très clair qu'une équipe de soins doit être absolument coordonnée par un médecin"

 

Comment jugez-vous la proposition de consulter directement des infirmières en pratique avancée (IPA) sans passer par la case médecin ? 

Ça n'est pas le concept que nous avons de la mise en place d'une organisation du système de santé. Nous avons porté un projet d'IPA en précisant que respecter les périmètres métier était essentiel. L'action de chacun des professionnels doit être bien coordonnée. Pour l'Ordre il est très clair qu'une équipe de soins doit être absolument coordonnée par un médecin. C'est une définition fondamentale qui n'est pas négociable Le parcours de soins garanti à chaque usager l'est par l'intermédiaire d'un médecin traitant. 

 

En savez-vous plus sur la proposition émise par le Ségur de créer une profession médicale intermédiaire ?  

J'ai entendu les annonces ministérielles. Je pense que les ordres sont bien positionnés pour réfléchir sur un ensemble de dispositions. Mais je n'ai ni de lettre de mission ni de précision sur le contenu d'une mission éventuelle ! Et surtout, je ne crois pas qu'on puisse réfléchir sur un nouveau métier sans avoir la capacité de réfléchir sur les métiers actuels. Il ne suffit pas de dire qu'on va créer une nouvelle profession. Il faut d'abord raisonner sur le parcours de santé, sur sa coordination, sur les périmètres des métiers actuellement exercés et sur leurs nouvelles fonctionnalités. A partir de là, on pourra se poser la question de professions nouvelles. Mais encore faut-il que nous ayons parfaitement stabilisé les responsabilités des professions actuelles.

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