"La Cnam ne demande pas aux médecins généralistes de travailler davantage qu’aujourd’hui"

Interview exclusive
Après plus d’un an de report, les syndicats et la Cnam lanceront les négociations pour une nouvelle convention. Alors que les attentes sont fortes, le gouvernement et l’Assurance maladie prônent une politique de donnant-donnant : il ne s’agit pas seulement de revaloriser les médecins mais aussi et surtout de mieux prendre en charge les patients. Le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme revient sur les enjeux des semaines à venir.

  Le collectif «Médecins pour demain», qui rassemble près de 9 000 praticiens, veut faire grève les 1er et 2 décembre prochains pour obtenir un doublement du tarif de la consultation de référence du généraliste. Une revalorisation substantielle du C est-elle prévue dans cette future convention ? Thomas Fatôme : Dans cette négociation conventionnelle, il y a un volet tarifaire, c’est une évidence. J’ai déjà eu l’occasion de dire que la question de la revalorisation était ouverte. Le quantum sera fondamentalement lié aux ambitions qu’on pourra porter ensemble avec les médecins.   Alors que les délégations de tâches et les transferts de compétences sont appelés à se développer, faut-il repenser le modèle économique du généraliste ? Il y a certainement un double mouvement à opérer. Premièrement, renforcer encore la coordination des soins, construire ces équipes autour des médecins traitants et des équipes de soins spécialisées, et accélérer les évolutions dans le partage de compétences, qui permettent de soulager les médecins de certaines tâches et de mobiliser d’autres professionnels de santé sur des tâches nouvelles, comme on vient de le faire avec les pharmaciens sur la vaccination. Lorsque l’on met en place une nouvelle organisation des soins et que l’on fait bouger les curseurs sur les compétences, ça a des conséquences sur le modèle économique. Nous sommes lucides là-dessus. La consultation à 25 euros, c’est une moyenne qui vient parfois rémunérer des consultations longues et parfois des actes plus simples. La discussion doit avoir lieu dans la convention. Oui, il faut faire évoluer le modèle économique, sans doute diversifier les modes de rémunération, mais là aussi avec l’idée que nous souhaitons permettre aux médecins, avec ces équipes traitantes, de prendre en charge plus de patients. C’est un objectif fondamental, compte tenu des tensions sur la démographie médicale, des résultats prometteurs sur les assistants médicaux, du développement des maisons de santé… Tout cela s’inscrit dans cette logique d’offrir à la population davantage de réponses en termes d’accès aux soins et surtout, de lui redonner le «réflexe médecin traitant».   Dans leur lettre de cadrage, les ministres appellent à mettre en place «un modèle de rémunération mixte pour les médecins volontaires». Comment cela peut-il se traduire ? Il y a souvent eu dans les conventions des options, des contrats ouverts à ceux qui le souhaitaient, comme le contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi), ancêtre de la Rosp, ou l’option pratique tarifaire maîtrisée (Optam). Cela fait partie des sujets que nous regardons. Nous regardons aussi ce que nous amènent les dispositifs de l’article 51 : beaucoup d’expériences de paiement en équipe, sous différentes formes, qui viennent se substituer ou compléter la rémunération à l’acte.   Faut-il renforcer la Rosp des généralistes, voire l’étendre à davantage de spécialités? Nous souhaitons rénover cette rémunération sur objectifs et discuter avec les professionnels d’un élargissement de son champ. Le but est que les professionnels se l’approprient davantage et que son impact en termes de santé publique soit renforcé, avec des objectifs prioritaires, notamment autour du dépistage des cancers et de la vaccination. Dès lors que l’activité s’y prête, qu’on est capable de définir des indicateurs pertinents, correspondant à des objectifs qui ont eu du sens, c’est une démarche que l’on souhaite étendre audelà des spécialités concernées aujourd’hui. Dans les lignes directrices adressées par les ministres, la prévention fait logiquement partie des priorités pour cette négociation.  

  Comment mieux valoriser l’expertise clinique des médecins? Faut-il continuer à développer des consultations complexes? S’engager sur une hiérarchisation des consultations applicables à toutes les spécialités, comme le réclame la CSMF ? Au-delà de la médecine générale, il sera d’abord utile de continuer à soutenir les spécialités cliniques qui, pour beaucoup, restent en bas de l’échelle des revenus. Je pense notamment aux psychiatres et pédiatres, que nous avons revalorisés avec l’avenant 9 – c’était un début. Il faudra aussi travailler sur les consultations de prévention prévues par le PLFSS, même si les médecins libéraux ne seront probablement pas les seuls acteurs de ces bilans.   Cette convention répondra-t-elle à la hausse de l’inflation ? Il est clair que le contexte inflationniste est une donnée que l’on devra intégrer dans la construction de la convention. On construit une convention pour cinq ans, et nos capacités à prévoir l’évolution de ce paramètre sont limitées… Mais cela ne peut être négligé.   La majoration de déplacement n’a pas été revalorisée depuis 2002. SOS Médecins, notamment, attend un engagement fort surle tarif des visites à domicile… Nous avions convenu au cours des discussions de l’avenant 9 que le sujet de la visite à domicile reviendrait. Ce sera le cas. Nous aurons à faire un premier bilan des visites longues étendues par l’avenant 9, et à intégrer cette problématique avec le développement des SAS. Nous souhaitons également regarder comment soutenir les visites à domicile qui s’appuient sur la téléconsultation, notamment aux téléconsultations assistées par des infirmières qui font le lien avec le médecin traitant. Nous traiterons ces trois sujets dans une optique de service rendu à la population, d’organisation du système de soins, et dans un contexte où la tension sur la démographie médicale fait qu’il est peu probable que le nombre de visites réalisées par des médecins traitants augmente massivement dans les prochaines années. De ce point de vue-là, le binôme infirmière-médecin nous semble encore une fois intéressant   Allez-vous renforcer les incitations financières à l’exercice coordonné ? Ou pénaliser ceux qui ne s’y engagent pas? De nombreux médecins risquent de perdre leur forfait structure cette année… Le développement de l’exercice coordonné est évidemment un sujet très important. On doit continuer à le promouvoir dans la pratique individuelle au travers de ces organisations de proximité que sont les équipes de soins et les MSP et, en parallèle, affirmer davantage la responsabilité territoriale des médecins, au service d’un certain nombre de missions : les soins non programmés, la permanence des soins ambulatoires, la participation aux CPTS, aux actions de prévention sur le territoire… Il faut sans doute mieux différencier ces deux sujets.   Alors qu’aujourd’hui, l’exercice coordonné peut être l’un ou l’autre… C’est le cadre posé par l’avenant 7, au travers du forfait structure.   Cela continuera de passer par le forfait structure ? Je ne peux pas me prononcer à ce stade. La négociation n’a pas commencé…  

  Comment inciter les généralistes mais aussi les autres spécialistes à voir plus de patients en soins non programmés (SNP)? D’abord en construisant auprès d’eux des équipes, en recrutant des assistants médicaux, et en récréant ce « réflexe médecin traitant ». Fondamentalement, tous les généralistes font du SNP, c’est une part de leur activité. Notre objectif prioritaire dans cette convention, c’est de les mettre en situation de prendre en charge davantage de patients, et donc de répondre en 24 à 48 heures à cette demande. Une capacité qui s’est sans doute effritée ces dernières années compte tenu des tensions démographiques et de la diminution du nombre de médecins libéraux installés. Ensuite, il va falloir continuer à développer le SAS, avec un objectif qui a été fixé à lafin 2023. La question de la participation des généralistes et des autres spécialistes à ces SNP régulés, au-delà de leur patientèle, fait partie des sujets qui sont sur la table.  

«Oui, il faut faire évoluer le modèle économique, sans doute diversifier les modes de rémunération»

  Comment favoriser la participation des généralistes à la PDSA? Le dernier rapport du Cnom montre un taux de volontariat inférieur à 39%... Il y a quand même 40 % des généralistes qui y participent: on peut saluer leur mobilisation. Cela rejoint le sujet de la responsabilité territoriale. Il faut davantage partager l’investissement dans ces missions, qui sont des missions de service public, comme la PDSA. Faut-il mieux valoriser financièrement cette mission ? Pourquoi pas. Je ne suis pas sûr que ce soit fondamentalement des arguments financiers qui limitent l’investissement dans une garde. Tout ce que nous pourrons faire pour soutenir cette activité, cette responsabilité territoriale, nous le ferons. Il faut faire en sorte de considérer que cette mission fait partie de l’exercice, afin que cette charge soit partagée par davantage de professionnels de santé afin d’en alléger la charge pour chacun.   Cette politique de «droits et devoirs», mise en avant par la Cnam et le ministère, peut être mal perçue par les médecins sur le terrain, qui veulent être revalorisés et déchargés, et cela sans contrepartie parce qu’ils n’en peuvent plus… Il faut dissiper une ambiguïté : l’Assurance maladie ne demande pas aux médecins généralistes de travailler davantage qu’aujourd’hui. Ce que l’on souhaite, c’est les aider à sortir de l’eau, en travaillant sans doute un peu différemment, de façon plus collective, avec davantage de personnels administratifs et soignants auprès d’eux : plus d’assistants médicaux, plus d’infirmières Asalée, d’infirmières en pratique avancée (libérale ou salariée) pour les aider. Nous proposons ce deal gagnant gagnant: on vous aide davantage, en vous mettant en position – mais en tant que responsable de cette équipe – de prendre en charge davantage de patients. Ce que nous voyons avec les assistants médicaux et les infirmières Asalée, c’est que ce n’est parce qu’il y a des objectifs d’augmentation de patientèle MT ou de file active qu’ils les remplissent, mais parce que le système qui se met en place leur permet de gagner du temps : sur la préparation du patient, sur les tâches administratives, sur le suivi des patients chroniques… Je comprends qu’un médecin qui est déjà extrêmement chargé nous dise : «Mais pourquoi vous voulez nous faire travailler davantage ? », ça n’est pas ce qu’on lui propose. On lui propose de travailler différemment, de l’aider et lui donner les soutiens pour être en situation de prendre en charge davantage de patients. C’est là où cette logique de droits et devoirs, de liberté et de responsabilité prend son sens. Le conseil de l’Uncam est également très attentif à cette logique.   Comment favoriser l’embauche d’un assistant médical? Faut-il revoir lesconditions/les contreparties? Tout est sur la table. Avec un objectif simple : créer les conditions du déclic, de manière très large, pas seulement dans les zones sous-denses. Les paramètres financiers, la  durée de l’aide, les conditions tiers temps, mi-temps, temps plein… tout ça est sur la table. On sait aussi qu’il y a des freins sur lesquels l’Assurance maladie n’a pas seule la main, comme les locaux. Les collectivités locales doivent s’investir davantage dans l’appui aux médecins qui veulent aménager leurs locaux, pour éventuellement accueillir un assistant médical. C’est tout l’intérêt du CNR santé. Il y a aussi cette crainte de l’embauche. Il faut simplifier les démarches de recrutement, avec l’Urssaf, par exemple, afin d’aller au maximum vers une logique de clé en main. L’objectif est de recruter 10000 assistants médicaux à l’horizon 2025. C’est une dynamique à accélérer fortement.   Le syndicat UFML plaide pour une négociation ouvrant la voie à la possibilité de facturer lesrendez-vous non honorés par les patients. Est-ce envisageable ? Je ne crois pas que ce sujet relève fondamentalement du champ conventionnel. Mais je comprends pleinement la préoccupation des médecins sur ce phénomène de non-présentation des assurés, particulièrement dans cette période où le temps médical est précieux. L’Assurance maladie pourra certainement dans les prochains mois jouer son rôle d’information, de prévention sur l’importance de la bonne utilisation de notre système de santé, en rappelant les règles évidentes de civisme. Comme nous avons relayé cet été la campagne d’information sur la bonne utilisation des urgences. Nous sommes motivés pour travailler avec les acteurs sur l’utilisation éthique des ressources de notre système de santé, par les professionnels comme les patients. Nous ne sommes pas dans une consommation de biens comme les autres. Cela fait partie des sujets sur lesquels la Cnam souhaitera s’engager dans les prochains mois.   Autre enjeu de temps médical: la poursuite d’activité des médecins seniors. Quelles sont les marges de manœuvre de l’Assurance maladie ? Il y a déjà plus de 12 000 médecins qui font du cumul emploi-retraite, ça montre bien que ça marche. Est-ce qu’il y a d’autres leviers ? Nous sommes prêts à prendre notre part afin de créer des conditions favorables au maintien d’activité des médecins libéraux qui le souhaitent, car c’est un enjeu majeur dans certains territoires, compte tenu de la pyramide des âges : conditions financières, accompagnement individuel, simplification… Sachant que le PLFSS contient des mesures fortes sur les cotisations retraite, qui vont représenter un incitatif fort.  

  Dans la lettre de cadrage, François Braun et Agnès Firmin Le Bodo prônent un «exercice solidaire» des médecins qui ne sont pas en zone sous-dense. Faut-il rémunérer davantageceux qui vont exercer de façon permanente ou ponctuelle dans ces zones? Dans notre rapport « Charges et produits », publié avant l’été, nous avons posé ce sujet: nous souhaitons favoriser les consultations avancées de certains spécialistes dans les zones sous-denses. La construction d’équipes de soins spécialisées doit nous y aider. Cela doit faire partie de cette responsabilité territoriale, de l’exercice d’un médecin. Il faut faire en sorte qu’un médecin spécialiste installé en métropole aille deux demi-journées par mois, par exemple à 50 ou 80 km, exercer en zone sous-dense. Au-delà de cela, la révision de nos contrats d’aide à l’exercice dans les zones sous-denses fait partie du cahier des charges de la négociation.   Il devait y avoir une négociation surles équipes de soins. Comment va-t-elle s’articuler avec la négociation de la convention ? Nous devons reparler avec l’Union nationale des professionnels de santé des Escap (équipes de soins coordonnées autour du patient). Pour le reste, ces sujets sont en lien avec la position du comité de liaison inter-Ordres. Nous souhaitons les reprendre, afin d’accompagner l’exercice coordonné dans l’optique d’une meilleure prise en charge des patients.   Une mesure du PLFSS 2023 inquiète les syndicats. Cet article renvoie à la discussion conventionnelle la possibilité de conditionner «le cas échéant» le conventionnement d’un professionnel de santé à sa «zone d’exercice». Est-ce la porte ouverte à un conventionnement sélectif desmédecins? Le fait que le législateur donne aux partenaires conventionnels un même cadre pour toutes les professions de santé permettant de travailler, dans le dialogue social, à des leviers qui pour de mieux répartir les professionnels sur le territoire, ça me semble nécessaire. On pense beaucoup aux médecins, mais des modes de régulation existent pour d’autres professions, comme les infirmières et les masseurs-kinésithérapeutes – et d’ailleurs nous en reparlons en ce moment avec les kinés, car la régulation n’a pas encore produit tous ses effets. La particularité pour les médecins libéraux est qu’on a à la fois une répartition inégale sur le territoire, avec des zones de déserts médicaux, et une tension très forte sur une bonne partie du territoire.   Le rapport «Charges et produits» 2022 montre que les généralistes sont moins inégalement répartis que les infirmières libérales et les kinésithérapeutes… Oui, et c’est pour cela que la question ne se pose pas de la même manière. On ne peut pas comparer la situation d’une profession qui a une densité démographique très dynamique comme les kinés et les Idel, avec la situation des généralistes, dont la démographie est en décélération. C’est aussi pour cela que l’exercice coordonné et le renforcement des coopérations avec les infirmières sont importants. On parlait des bilans de prévention, des visites à domicile… Il y a certes des déséquilibres forts pour les infirmières mais néanmoins une densité importante avec des soignantes présentes et disponibles sur les territoires. C’est une ressource sur laquelle il faut s’appuyer, à la fois pour les transferts de compétences et pour la constitution des équipes autour des médecins traitants.

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Michel Rivoal

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